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Les formes de la coopération régionale et internationale contre le terrorisme

Paragraphe 2. Le développement de la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme

B- Les formes de la coopération régionale et internationale contre le terrorisme

La lutte contre le terrorisme en France passe nécessairement par une coopération au niveau européen. Les États membres ont investi le champ des questions sécuritaires plus tôt qu'il n'est généralement dit, c'est-à-dire plus d'une décennie avant la relance opérée par l'Acte unique européen. Les besoins de la lutte policière contre le terrorisme et la grande criminalité ont ainsi précédé l'action judiciaire et la levée des contrôles aux frontières intérieures.

Avant toute autre considération, les besoins de la coopération policière ont engagé les États membres sur le terrain de l'action en commun autour de deux thèmes de préoccupation : la lutte contre la drogue et celle contre le terrorisme. Faute de bases juridiques adéquates, cet investissement du terrain sécuritaire s'est opéré de manière informelle et dépourvue de transparence, sous forme de « clubs » ou de « groupes » d'appellations diverses.

En réponse à la vague de violence dont les États européens sont victimes depuis les années 70, elle marque le véritable début de la coopération intergouvernementale répressive. Créée à partir de 1975, lors d'une réunion du Conseil européen à Rome, la structure des « groupes Trevi » va ainsi occuper l'essentiel de l'espace malgré son absence de support juridique. La coopération Trevi a une triple fonction :

- L’échange d'informations et l'évaluation de la menace terroriste ; - L’échange d'informations sur l'équipement des services nationaux ; - La coopération directe.

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Cf. la loi n° 87-543 du 16 juillet 1987 autorisant la ratification d'un accord entre les États membres des communautés européennes concernant l’application de la Convention européenne pour la répression du terrorisme faite à Dublin le 4 décembre 1979, JORF du 18 juillet 1987, p. 8023.

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Cf. la loi n° 87-542 du 16 juillet 1987 autorisant la ratification de la Convention européenne pour la répression du terrorisme, faite à Strasbourg le 27 janvier 1977, JORF du 18 juillet 1987, p. 8023.

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La structuration de la coopération Trévi se caractérise, tout d’abord, en ce qu'elle est strictement intergouvernementale, excluant par principe le jeu des institutions communautaires jusqu’au traité de Maastricht. Ensuite, en ce qu'elle reproduit les trois niveaux de travail ordinaires au Conseil, experts, hauts fonctionnaires, ministres. L'importance de telles réunions va ainsi contribuer à favoriser une culture commune, faite d'échanges et d'informations mutuelles, sans laquelle les progrès ultérieurs n'auraient pas été possibles. Sur le plan matériel, trois groupes vont se distinguer en fonction de leur objet : le terrorisme (Trevi I), la coopération scientifique et technique (Trevi II), le crime international (Trevi III). Son bilan est essentiel, même si sa dimension exclusivement politique exclut tout prolongement normatif et interdit l'adoption de mesures juridiquement contraignantes. La construction d'un réseau de coopération entre les autorités policières des États membres, même informel, lance ainsi une impulsion qui ne s'interrompra pas. Par exemple, elle est à la source de la technique des « officiers de liaison » qui, à compter de 1987, facilitera les échanges entre États.

De même, la structuration de ces mécanismes d'échanges est sans conteste à la base du phénomène d'institutionnalisation qui se traduira dans la création « d'agences » et elle explique l'attrait que la coopération européenne va représenter pour ses partenaires outre-Atlantique, États-Unis et Canada. En revanche, l'absence de transparence et de légitimité démocratique de ces instances va lourdement peser sur leur image devant les opinions publiques nationales et limiter leurs perspectives d'évolution.

L'accent mis sur la coopération policière ajoutée à la pression de la violence terroriste va mettre au jour le décalage existant en Europe entre la coopération policière et la coopération judiciaire pénale. Le projet de convention sur la répression du terrorisme, débattu en 1976 au sein du Conseil de l'Europe, et auquel les autorités françaises vont s'opposer, à propos de l'infraction politique (de même qu'elles refusent la ratification de la convention européenne d'extradition), va mettre au jour cette impasse.

Le Conseil européen du 5 décembre 1977 va être l'occasion pour le président de la République française, Valéry Giscard d'Estaing, de proposer officiellement à ses partenaires la création d'une « Europe judiciaire » visant la constitution d'un « espace judiciaire », notamment constitué par un engagement conventionnel d'automatiser le jeu

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de l'extradition entre les États membres223. Ce faisant, cette tentative de sortie par le haut va révéler les dissensions entre les membres de la Communauté, même si elle met en avant la dimension « judiciaire » pour mieux contourner l'obstacle des compétences pénales en cause224.

Développer une coopération judiciaire appliquée à la matière pénale n'est pas une tentative aussi révolutionnaire qu'on a pu le dire. Tout d'abord, parce que, sur la base du traité CEE de l'époque et de son article 220, la Communauté a su impulser, autour de la Cour de justice des Communautés européennes, une coopération civile entre les juges nationaux qui constitue un grand succès, celle de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 sur la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. Ensuite, parce que la lutte contre le terrorisme a inspiré aux États, dès 1975, l'idée de systématiser entre eux le jeu de la Convention du Conseil de l'Europe en matière de terrorisme. Cette initiative belge va aboutir à l'accord de Dublin du 4 décembre 1979 qui oblige, pour des faits terroristes précisément identifiés, à appliquer le principe « aut dedere, aut punire », c'est-à-dire « poursuivre ou livrer ».

Néanmoins, la tentative va faire long feu, la France ayant proposé en vain un projet de convention de coopération en matière pénale entre les États membres des Communautés européennes visant l'ensemble de la délinquance grave, y compris le terrorisme. L'un des principaux partenaires, les Pays-Bas, s'oppose au texte au motif que les Communautés ne constituent pas le lieu adéquat pour une telle collaboration pénale, au contraire du Conseil de l'Europe225.

Une nouvelle fois, au début des années 80, la partie française, en 1982, va relancer son projet de convention générale, en l'assortissant d'une proposition de Cour pénale européenne destinée à juger éventuellement les auteurs de terrorisme. En vain, la Belgique rejoignant l'opposition néerlandaise226.

C'est donc en parallèle du processus de relance de la construction communautaire, à proprement parler, qu'une série de conventions à objet répressif (cinq en matière pénale

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J. CHARPENTIER, « Vers un espace judiciaire européen », AFDI, Vol. 24, 1978, p. 927.

224

R. DE GOUTTES, « Variations sur l'espace judiciaire pénal européen », D. 1990, p. 245.

225

C. VAN DEN WIJNGAERT, « L'espace judiciaire européen : vers une fissure au sein du Conseil de l'Europe ? », RDPC, 1981, p. 523-541.

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et deux en matière civile) vont être signées et ratifiées par les États membres, la proximité de l'échéance fixée par l'Acte unique conduisant même à animer un groupe « Trevi 92 ».

La Convention relative à l'application du principe « non bis in idem » du 25 mai 1987, entre les États membres des Communautés européennes, précède un second texte signé à Bruxelles, le 25 mai 1987, relatif à l'application, entre ces États, de la Convention du Conseil de l'Europe sur le transfèrement des personnes condamnées.

L'accord de San Sebastián du 26 mai 1989 entre les États membres, relatif à la simplification et à la modernisation des modes de transmission des demandes d'extradition, vise à améliorer les délais de transmission des demandes d'extradition, via des moyens de communication modernes tandis que l'accord de Rome du 6 novembre 1990, relatif à la transmission des procédures répressives, institue une procédure plus complète et plus simple de transmission des poursuites pénales, que la procédure plus complexe de la Convention du Conseil de l'Europe en la matière. Il s'y ajoute la Convention de Bruxelles du 13 novembre 1991 entre les États membres sur l'exécution des condamnations pénales étrangères qui s'efforce, elle aussi, de simplifier, entre les États parties, les dispositions du texte correspondant du Conseil de l'Europe227.

Quelques vaines tentatives ont été amorcées afin d’« alléger les conditions dans lesquelles s'exerce le contrôle des citoyens lors du franchissement des frontières intracommunautaires »228. C'est néanmoins dans le cadre d'un processus plus général de relance, à la suite du Livre blanc sur le marché intérieur229, que la construction d'un espace commun, en lien avec les traités communautaires va être entreprise. L'une de ses manifestations, au sommet de Fontainebleau en 1984, sera la proposition de création d'un « passeport européen » illustrant le lien de la citoyenneté et du futur ELSJ.

227

R. DE GOUTTES, « De l'espace pénal européen à l'espace judiciaire pénal pan-européen », in Droit

pénal droit européen, Mélanges G. Levasseur, Paris, Gazette du Palais-Litec, 1992, p. 3.

228

Cf. le projet de résolution relative à l'allégement des conditions dans lesquelles s'exerce le contrôle des citoyens des États membres lors du franchissement des frontières intracommunautaires, présenté par la Conseil le 9 juillet 1982 (JOCE C 197/6 du 31 juillet 1982), aboutissant deux ans plus tard à la déclaration du Conseil européen de Fontainebleau des 25 et 26 juin 1984 relative à la suppression aux frontières intérieures des formalités de police et de douane pour la circulation des personnes et des marchandises,

JOCE du 19 juin 1984.

229

Cf. CCE, L'achèvement du marché intérieur, Livre blanc de la Commission à l'intention du Conseil européen, COM(85) 310, 14 juin 1985, Bruxelles, juin 1985.

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La relance communautaire liée à l'Acte unique renouvelle profondément la réflexion et elle enclenche un processus plus global. Les États en sont conscients, accompagnant le traité d'une déclaration dans laquelle ils s'engagent à se mobiliser au- delà de la libre circulation qui est leur moteur : « en vue de promouvoir la libre circulation des personnes, les États membres coopèrent, sans préjudice des compétences de la Communauté, notamment en ce qui concerne l'entrée, la circulation et le séjour des ressortissants de pays tiers. Ils coopèrent également en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, la criminalité, la drogue et le trafic des œuvres d'art et des antiquités ».

En promettant la construction d'un espace intérieur, à l'intérieur duquel la libre circulation des personnes est assurée, en vertu de son article 13 qui écrit un nouvel article 8 A du traité CEE, l'Acte unique révèle deux sources de tensions durables. La première oppose les Britanniques et leurs partenaires autour du sens à donner aux « personnes » visées. Là où le Royaume-Uni ne perçoit que des ressortissants communautaires, les autres entendent que l'ensemble des personnes physiques, y compris les ressortissants des pays tiers, soient concernées.

La seconde ambiguïté porte sur le rôle qui pourrait être dévolu à la Communauté. Malgré l'ambition du traité, une Déclaration générale relative aux articles 13 à 19 de l'Acte unique européen l'accompagne et spécifie qu’« aucune de ces dispositions n'affecte le droit des États membres de prendre celles des mesures qu'ils jugent nécessaires en matière de contrôle de l'immigration de pays tiers, ainsi qu'en matière de lutte contre le terrorisme, la criminalité, le trafic de drogue et le trafic des œuvres d'art et des antiquités » (Déclaration politique des gouvernements des États membres relative à la libre circulation des personnes). L'attribution de compétences à la Communauté est donc loin d'être acquise, bien au contraire.

Ce débat sur les compétences n'est pas resté circonscrit aux cercles diplomatiques et la Cour de Justice en a eu connaissance dans un arrêt d'autant plus significatif qu'elle est saisie par la quasi-totalité des États membres à l'encontre d'une simple communication de la Commission traitant des relations entre les politiques migratoires et la politique sociale, au titre de l'article 118 du traité CEE230. La Cour rejette d'abord les prétentions françaises selon lesquelles la politique migratoire vis-à-vis des pays tiers serait

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« entièrement » étrangère aux matières sociales pour lesquelles l'article 118 prévoit une collaboration entre États membres. Elle circonscrit néanmoins par la suite le champ d'une éventuelle intervention de la Communauté : la politique migratoire ne peut relever de la matière sociale au sens de l'article 118 que « dans la mesure où elle concerne la situation des travailleurs des pays tiers, pour ce qui est de l'influence qu'ils exercent sur le marché communautaire de l'emploi et des conditions de travail ».

Enfin, si l’on est amené a résumé l’état actuel de la coopération de la France en matière de lutte contre le terrorisme au niveau européen, l’on peut citer le rôle de l’INTCEN (European Union Intelligence and Situation Centre / Centre de renseignement et de situation), composé de l’unité d’analyse et de l’unité des relations extérieures - chargé de l’analyse du renseignement, des alertes précoces et de l’évaluation des situations au profit de la Haute Représentante du Service européen d’Action extérieure, des différents services de l’UE compétents dans les domaines de la sécurité et de politique étrangère, de défense et du contre-terrorisme, ainsi qu’aux États membres.

L’on peut évoquer aussi les travaux menés au sein des trois groupes de travail chargés du suivi de la lutte contre le terrorisme au sein de l’UE :

- Le Conseil sur le terrorisme (COTER) qui a vocation à traiter des questions de terrorisme en dehors des frontières de l’UE, notamment via la tenue de dialogues bilatéraux avec nos principaux partenaires, et de l’assistance technique aux pays tiers ; - Le TWG (Terrorism working group), compétent pour les questions spécifiques à la sécurité intérieure de l’Union ;

- Le groupe chargé du suivi de la liste antiterroriste européenne.

Par ailleurs, au lendemain des attentats de Madrid de mars 2004, le poste de coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme a été créé afin de coordonner les activités menées au sein de l’UE dans le domaine de la lutte antiterroriste. La France a aussi développé des relations de coopération en matière judiciaire et policière au sein du pilier justice et Affaires intérieures de l’UE et des agences Europol et Eurojust.

Au niveau international, la France participe à la lutte contre le terrorisme au sein de l’ONU qui joue un rôle central dans la lutte contre le terrorisme, notamment par le

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biais de : la mise en œuvre de la stratégie mondiale antiterroriste adoptée en septembre 2006 et revue régulièrement ; différentes conventions sectorielles spécifiques développées au cours des années pour répondre aux nouvelles menaces ; l’action du Comité contre le terrorisme (CCT) du Conseil de Sécurité des Nations Unies (résolution 1373 (2001)) et de sa direction exécutive ; l’action du Comité du Conseil de sécurité (CCS) des Nations Unies (résolution 1267 (1999)) chargé d’appliquer les sanctions contre les entités et individus liés à Al-Qaida ; l’Organisation des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) (renforcement des capacités juridiques, policières et préventives des États) notamment au sein de la section de prévention et de lutte contre le terrorisme de l’ONUDC.

Outre l’ONU, la France contribue également à la lutte mondiale contre le terrorisme dans le cadre du G8 dont le Groupe Lyon-Rome traite des questions de terrorisme et de crime organisé ; au sein du Conseil de l’Europe notamment à travers son Comité d’experts sur le terrorisme (CODEXTER) ; à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), qui s’est vue reconnaître pour la première fois en 1999 un rôle en matière de réponse au terrorisme. Depuis le 11 septembre 2001, la prise en compte du terrorisme dans les travaux de l’OTAN a été renforcée ; à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui s’est dotée en 2002 d’une unité d’action contre le terrorisme qui joue le rôle de centre de coordination de l’OSCE pour la lutte contre le terrorisme ; au sein du Groupe d’Action financière (GAFI), créé par les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour lutter contre le blanchiment et qui a vu son mandat élargi après le 11 septembre 2001 à la lutte contre le financement du terrorisme et a adopté à cette fin neuf recommandations spéciales ; dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen qui a adopté en novembre 2005 un code de conduite anti-terroriste.

Enfin, elle joue le même rôle au sein du Forum global contre le terrorisme (GCTF), lancé en septembre 2011 à New York, à l’occasion des commémorations du 10ème anniversaire des attentats du 11 septembre. Réunissant 29 États et l’UE, il concentre son action autour de cinq groupes de travail, dont trois à vocation géographique (Sahel, Corne de l’Afrique, Asie du Sud-Est) et deux à vocation thématique (lutte contre l’extrémisme violent, promotion de l’État de droit et la justice pénale). Lors de la réunion ministérielle du 7 juin 2012 à Istanbul, un mémorandum sur la justice

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pénale et l’État de droit ainsi qu’un autre sur la lutte contre la radicalisation ont été adoptés. À l’occasion de la troisième réunion ministérielle qui s’est tenue à Abou Dabi le 14 décembre 2012, un plan d’action pour les victimes du terrorisme et un mémorandum sur les enlèvements avec demande de rançon ont été adoptés.

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Section 2

Les dispositifs de lutte contre le terrorisme des pays du CCG

Dans les pays du CCG, les textes constitutifs des dispositifs de lutte contre le terrorisme ne sont pas abondants comme en France. En effet, outre certaines dispositions du Code pénal, l’on retrouve généralement un seul texte destiné à lutter contre le terrorisme et parfois un second pour lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Épargnés des attentats terroristes, ces pays ont tardivement adopté de tels textes, d’une part, suite aux pressions de leurs partenaires occidentaux et, d’autre part, pour se mettre en conformité avec leurs engagements internationaux et appliquer les recommandations et autres résolutions onusiennes. L’étude de ces textes nous révèle que les pays du CCG ont repris, parfois presque à la lettre les dispositions des conventions régionales auxquels ils ont adhéré, en l'occurrence la Convention des pays du CCG pour la lutte contre le terrorisme, la Convention arabe de lutte contre le terrorisme et la Convention de l’OCI pour la lutte contre le terrorisme.

L’on peut résumer le contenu de ces dispositifs dans trois points, d’une part, le renforcement de l’arsenal juridique (Paragraphe 1) et institutionnel (Paragraphe 2) et, d’autre part, le renforcement de la coopération internationale de lutte contre le terrorisme (Paragraphe 3).

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