• Aucun résultat trouvé

La mise à l’écart de l’élément matériel pour une adaptation plus large

Paragraphe 2. L’adaptation des législations nationales tenant compte du caractère mouvant de l’acte terroriste

B- La mise à l’écart de l’élément matériel pour une adaptation plus large

Il faut souligner que le facteur matériel, qui varie toujours, a eu une grande influence sur l’impossibilité de s’accorder sur la définition du terrorisme et son rapport avec l’acte terroriste instable. Pour trouver une bonne définition, précise et globale du terrorisme, il faut exclure le facteur matériel de la définition. La définition reposera alors essentiellement sur l’instigateur et l’objectif que vise l’acte terroriste sans tenir compte, ni du comportement criminel, ni du résultat criminel qui en découle.

Sur cette base, l’on peut élargir la notion de l’acte terroriste en se concentrant sur les effets psychologiques qu’il cause. L’on insistera sur l’intention de semer la peur et la terreur à travers lesquelles le criminel tente de changer la politique du gouvernement. Tout cela se fait sans tenir compte des moyens utilisés dans l’acte terroriste, qui changent et évoluent continuellement sans que le texte législatif ne puisse les contenir et sans tenir compte, non plus, des résultats qui ont abouti à cette peur ou cette terreur.

L’essentiel est de mettre en relief l’utilisation illégale de la force ou de la violence afin de répandre la terreur et de créer un climat de peur qui peut aboutir à des changements politiques ou sociaux.

Nous proposons une définition unifiée du terrorisme, dans son sens le plus large, pour tous les pays du Golfe, parce que le terrorisme est une sorte de violence dans son sens le plus large, un sens qui englobe l’utilisation de la force et la menace de son utilisation.

Le terrorisme sera défini comme tout acte visant à répandre la terreur dans la société ou dans une partie de la société :

- pour atteindre un objectif criminel ou politique précis ; - pour faire de la propagande à une cause ;

61

Cela étant dit, le terrorisme est pratiqué habituellement par des groupes rebelles, révolutionnaires, extrémistes ou criminels à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.

Par ailleurs, il faut que la définition de la notion globale du terrorisme ne porte pas atteinte aux droits de l’homme et ne se confonde pas avec les infractions ordinaires. L’on doit également éviter dans cette définition d’utiliser des expressions pompeuses qui sont loin de la réalité et de l’esprit juridique, et qui ne s’accordent pas avec les lois pénales. Dans ce contexte, il faut que la législation contienne les paramètres et les caractéristiques d’une loi pénale.

Pour que le terrorisme soit considéré comme une infraction, l’acte doit comporter deux éléments : l’élément matériel et l’élément moral. Ce dernier étant le plus important. En France, l'article 421-1 du Code pénal français énonce clairement que la qualification pénale des actes de terrorisme s'opère grâce au cumul d'un critère objectif (la présence de l'infraction sur la liste) et d'un critère subjectif (un mobile d'intimidation ou de terreur)120. Cependant, depuis une vingtaine d'années, la prévention pénale du terrorisme est une caractéristique majeure de la politique criminelle antiterroriste afin d’adapter les lois, ce qui a engendré la prééminence du critère subjectif pour déceler en premier l’intention de l’auteur. Cette mutation de la politique criminelle antiterroriste, de la réaction vers la prévention, s'est opérée au lendemain des attentats commis à Paris au cours de l'année 1995.

À partir de la loi du 22 juillet 1996, l'immense majorité des dispositions introduites dans le Code pénal pour parfaire la répression du terrorisme a pris la forme d'incrimination d'actes de soutien au terrorisme : soutien logistique et financier (infractions à la législation sur les armes, recels, délits d'initié, blanchiment, financement du terrorisme), ainsi que le soutien humain (recel de malfaiteurs, participation aux groupes de combat et mouvements dissous, et surtout participation à une association de terroristes). La législation pénale est désormais conçue comme un outil d'anticipation permettant à la répression de s'exprimer avant que toute action terroriste ne soit perpétrée.

L'article 421-1 du Code pénal dresse une longue liste d'infractions, figurant déjà dans l’arsenal répressif français, soumises au nouveau régime dérogatoire au droit commun « lorsqu'elles sont en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de

troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ». Pour que les infractions

120

62

énumérées par cette disposition soient soumises au régime particulier instauré, il faut aussi que se trouve vérifiée à leur égard une condition subjective. Elles doivent être « en relation

avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ». Comme il a été relevé par la doctrine, « cette

définition se caractérise par son imprécision. Imprécision que le législateur, obnubilé par un souci d'efficacité, a délibérément entretenue »121. En réalité, c'est bien la conception extensive, caractérisée par son imprécision, qui a été privilégiée.

Il est néanmoins permis de se demander si cela conduit à donner à la notion « d'entreprise individuelle ou collective » une précision suffisante pour lui permettre de remplir le rôle essentiel de qualification des actes de terrorisme. Or, ce qui doit permettre d'écarter ces risques de débordement de la qualification de terrorisme, c'est justement cette notion d'entreprise individuelle ou collective.

La condition subjective de l’article 421-1 du Code pénal est définie en fonction d'un mobile spécifique « troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ». Pouvait-on trouver formulation plus vague ? Certes, la notion de trouble à l'ordre public est connue des juristes, mais c’est une notion large. La règle devient encore plus floue lorsqu'elle se réfère, sans en préciser la signification, aux deux notions spécifiques de l'intimidation et de la terreur. Il convient de faire rappeler que l’article 421-1 du Code pénal n’est qu’une transposition du contenu de l’article 706-16 du Code de procédure pénale, instituée par la loi 86-1020 du 9 septembre 1986. L'affirmation de la constitutionnalité des dispositions de l'article 706-16 du Code de procédure pénale, dans la version instituée par la loi précitée, a de quoi surprendre tant le critère subjectif qu'elle retient est vague et imprécis. Pour les 62 sénateurs qui l'avaient soumise à l'examen du Conseil Constitutionnel, la loi ne satisfait pas au principe de la légalité parce qu'elle se référait à un élément purement subjectif et parce qu'elle ne définissait pas les infractions relevant du régime dérogatoire avec une précision suffisante à la fois122. La déclaration de constitutionnalité écarte donc l'un et l'autre argument. Elle est convaincante à l'égard du premier, beaucoup moins vis-à-vis du second.

L'imprécision est donc la caractéristique majeure de la définition des infractions de terrorisme. Comme si cela ne suffisait pas, le législateur, dans son souci d'efficacité, avait

121

J.-P. MARGUÉNAUD, « La qualification pénale des actes de terrorisme », RSC, janv.-mars 1990, p. 1-28, spéc., p. 8.

122

63

ajouté un autre facteur d'ambiguïté. Le dernier alinéa de l'article 706-16 précisait en effet que : « Les dispositions du présent article sont également applicables aux infractions connexes ».

La critique est d'autant plus forte que l'intention est silencieuse dans le cas de l'article 421-2-1 du Code pénal, relatif à l'association de malfaiteurs. La participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, ne peut que procéder d'une connaissance de l’acte terroriste et d'une adhésion à ce qu'elle représente elle- même d'action terroriste. Au contraire, le financement du terrorisme, tel que visé à l'article 421-2-2 du Code pénal, est pour sa part expressément intentionnel, les fonds, valeurs ou biens fournis, réunis ou gérés, devant l’être, « dans l'intention » de les voir utilisés, ou « en sachant

qu'ils sont destinés à être utilisés », en vue de commettre un acte de terrorisme. Quant à la

non-justification de ressources de l'article 421-2-3 du Code pénal, elle est pour sa part définie dans l'indifférence à l'intention. Mais, là encore, il ne peut s'agir que d'une condition nécessairement implicite, tant par nature que par application de l'article 121-3.

Issu de la loi du 21 décembre 2012, le recrutement en vue de participer à un groupement terroriste ou de commettre un acte terroriste n'a pas, non plus, précisé l’intention. Néanmoins, ici encore, les faits procédant de sa réalisation ne sauraient qu’être intentionnels.

La loi du 13 novembre 2014 s'inscrit aussi dans cette tendance, en incriminant ce qui a été dénommé « l'entreprise terroriste individuelle », pour combler les lacunes de l'incrimination de la participation à une association de terroristes. La loi est encore venue étoffer la catégorie des infractions terroristes en créant une nouvelle incrimination autonome : l'entreprise individuelle terroriste, incriminée par le nouvel article 421-2-6 du Code pénal et punie, selon l'article 421-5 du même code, de 10 ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende.

En effet, le nouveau délit vise à prévenir l'éventuel passage à l'acte individuel en réprimant, en amont, les actes préparatoires d'un éventuel projet terroriste. Pour reprendre Hadjer Rouidi, « Ce glissement confirme la thèse d'une "dilatation de la responsabilité pénale" en ce sens que la répression concerne de plus en plus des comportements éloignés dans le temps de la consommation de l'infraction redoutée »123.

123

64

La politique d'incrimination en matière de terrorisme subit d'importantes adaptations destinées à rejoindre les infractions dans leurs différences, et dans les multiples critères exploitables pour une répression diversifiée et efficace. Il ne faut pas négliger cette correspondance entre qualification et répression. La répression doit être suffisamment souple pour rejoindre la qualification. Certes, l'incrimination est en lien avec la répression, mais la répression n'est pas toute contenue dans l'incrimination, tant elle passe par de nombreuses mesures techniques destinées à la rendre plus efficiente. C'est le cas pour deux dispositions récentes de la loi du 21 décembre 2012, qui se veulent « adaptées » à ce que les infractions terroristes représentent, au fil de leur élargissement, de variété et de spécificité à la fois, de tous les actes répréhensibles possibles. L'une est relative à d'importantes dérogations au droit pénal de la presse, l’autre à l'extension de la compétence internationale au profit des juridictions françaises.

Pourtant, des difficultés subsistent. En effet, selon la nature du dommage, la loi vise tantôt les seuls actes de terrorisme, tantôt les actes de terrorisme et les attentats. Or, il est quelquefois difficile de dissocier l'attentat isolé de l'attentat terroriste. Seuls les critères subjectifs de ces infractions permettent cette distinction. En ce sens, si l'attentat peut être perpétré spontanément, l'acte de terrorisme doit être organisé à l'avance.

De plus, le terrorisme est une violence finalisée alors que le simple attentat peut servir n'importe quel type de cause sans faire obligatoirement partie d'une stratégie dont l'objectif est la mise à mal des institutions étatiques. Pour autant, un attentat initialement isolé peut-être le point de départ d'une vague d'attentats, et le critère de la revendication ne permet pas toujours d'éviter les fraudes. Néanmoins, cette distinction entre les attentats terroristes et non terroristes paraît indispensable. Elle est conforme à la volonté du législateur qui a voulu exclure de l'intervention du Fonds de garantie les attentats de droit commun. Effectivement, il est entendu qu'en matière de dommages aux personnes, la notion d'attentat, selon son sens général connu du droit pénal, peut désigner toute tentative criminelle et recouvre, par conséquent, nombre d'infractions.

Toutefois, l'expression d'acte de terrorisme est suffisamment large pour recouvrir des actes plus divers que ceux dénommés attentats terroristes. Cette définition permet de prendre également en compte les enlèvements de personnes ou les prises d'otages.

65

Partie I

La déficience des dispositifs juridiques de lutte contre le terrorisme en France et dans les pays du CCG

Soucieux de garantir la paix et l’ordre public à leurs citoyens, les États touchés par le terrorisme ont énergiquement riposté au phénomène par la mise en place de dispositifs juridiques et institutionnels jugés nécessaires et indispensables. Plus encore, persuadée que le terrorisme constitue une menace à la paix et à la sécurité internationale, la communauté internationale, représentée notamment par l’ONU, l’UE, la Ligue arabe, le CCG et l’OCI, reconnaît unanimement la nécessité de recourir à une coopération effective en matière de lutte contre le terrorisme. En effet, de l’avis de tous, seule une telle démarche est susceptible de faire face à la prolifération des actes terroristes.

Néanmoins, l’on assiste à un foisonnement de textes et d’instruments antiterroristes, sans pour autant atténuer de la recrudescence du terrorisme. En effet, si l’on prend l’exemple de l’ONU, le terrorisme figure dans son agenda depuis des décennies, mais il a fallu attendre le 8 septembre 2006 pour que soit adoptée par les 192 États membres une « Stratégie antiterroriste mondiale »124. Non seulement les États membres n’ont pas parvenu à ce jour à se mettre d’accord sur une Convention globale contre le terrorisme, il ressort de l’étude des différentes résolutions et autres rapports consacrés à la lutte contre le terrorisme que ce sont les mêmes constats, affirmations et recommandations qui reviennent. Pour autant l’activité terroriste n’a pas baissé.

Ainsi, que ce soit sur le plan national, régional ou international, les dispositifs de lutte contre le terrorisme semblent d’une efficacité limitée (Titre I). Cela n’a pas empêché que les législations régionales soient dans leur ensemble conforme à la législation internationale, plus particulièrement celle de l’ONU (Titre II).

124

AGNU, Résolution 60/288. La Stratégie antiterroriste mondiale de l’Organisation des Nations Unies du

66

Titre I

Le contenu des dispositifs de lutte contre le terrorisme

Comme nous aurons l’occasion de le constater, l'étude des dispositifs de lutte contre le terrorisme nous révèle que hormis quelques exceptions, leur contenu est presque identique. En effet, tant au niveau national que régional, les États et les organisations régionales ont adopté les grands axes de la stratégie antiterroriste onusienne. Ainsi, l’ensemble des dispositifs sont constitués de mesures s’intéressant à la prévention et la protection, à la poursuite et à la réaction contre les actes terroristes. Les mesures les plus importantes concernent la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, la lutte contre la radicalisation, le renforcement des contrôles aux frontières et le développement de la coopération régionale et internationale en matière de lutte contre le terrorisme.

Pour avoir une idée précise de ces mesures, nous aborderons dans ce qui suit le contenu des dispositifs antiterroristes au niveau national (Chapitre I), et au niveau régional et international (Chapitre II).

Chapitre I

L’état des lieux dans législations nationales

Il sera question ici d’exposer le contenu des dispositifs de lutte contre le terrorisme des États faisant l’objet de notre recherche, en l’occurrence la France et les pays du CCG. Plus ancien, le dispositif français a beaucoup évolué, surtout au rythme des attentats terroristes. Malgré le nombre de textes et des mesures adoptés et son expérience en la matière, la France n’a pas encore trouvé la formule adéquate pour arriver à bout du terrorisme (Section I).

Contrairement au dispositif français, ceux des pays du CCG sont récents et la plupart d’entre eux sont adoptés après les attentats du 11 septembre 2001. Hormis quelques éléments, l’étude de ces dispositifs nous révèle qu’ils sont tous identiques et

67

s'inspirent des conventions régionales auxquelles adhèrent les États qui les ont adoptés

(Section II).

Section I

L’inflation du dispositif français de lutte contre le terrorisme

L’étude du dispositif français de lutte contre le terrorisme nous révèle que les autorités françaises ont réagi fermement à chaque fois qu’un attentat est perpétré sur le sol français. C’est le cas par exemple des attentats de Paris et de Saint-Denis du 13 novembre 2015, au lendemain desquels l’état d’urgence a été décrété125. Depuis, il a été prolongé par six lois. La dernière en date, la loi du 11 juillet 2017, l’a prorogé jusqu’au 1er

novembre 2017126. Ainsi, l’état d’urgence aura connu sa plus longue période d’application depuis sa création par la loi du 3 avril 1955.

Pourtant, malgré les pouvoirs exceptionnels reconnus à l’administration en pareille situation, cela n’a pas pour autant empêché la commission d’attentats sur le sol français. En plein état d’urgence, sans parler du nombre d’attentats déjoués, plusieurs autres sont perpétrés en France, l’on peut citer : le double meurtre du 13 juin 2016 à Magnanville ; l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice ; l’attentat du 26 juillet 2016 de l'église de Saint-Étienne-du-Rouvray ; l’attaque du 3 février 2017 contre des militaires au Carrousel du Louvre ; l’attaque du 18 mars 2017 à Orly ; l’attentat du 20 avril 2017 sur l'avenue des Champs-Élysées à Paris ; l’attaque du 9 septembre 2017 contre des militaires à Levallois-Perret ; l’attaque du 1er octobre 2017 par arme blanche à la gare Saint-Charles de Marseille.

À l’étude du dispositif français de lutte contre le terrorisme, nous observons surtout une inflation des textes et des autorités chargées de son exécution. Pour mieux cerner ce dispositif, nous allons aborder dans ce qui suit le renforcement de l’arsenal juridique et institutionnel (Paragraphe 1). Avant de s'intéresser au développement de la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme (Paragraphe 2).

125

Cf. Décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955,

JORF n°0264 du 14 novembre 2015, p. 21297 ; Décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 portant

application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, JORF n°0264 du 14 novembre 2015, p. 21297 (Ile-de- France).

126

Cf. Loi n° 2017-1154 du 11 juillet 2017 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, JORF n°0162 du 12 juillet 2017.

68

Outline

Documents relatifs