• Aucun résultat trouvé

Le processus d’extension de la qualification de terrorisme aux fins d’adaptation aux actes terroristes

Paragraphe 2. L’adaptation des législations nationales tenant compte du caractère mouvant de l’acte terroriste

A- Le processus d’extension de la qualification de terrorisme aux fins d’adaptation aux actes terroristes

La notion classique du terrorisme est devenue tellement étroite qu’elle ne peut plus englober les différents actes terroristes modernes. Les terroristes classiques cherchaient le

55

spectacle et ne voulaient pas un grand nombre de morts. Le terrorisme actuel n’est plus un moyen pour réaliser certains objectifs, il est devenu lui-même l’objectif de l’acte.

Avant que le terrorisme n’atteint son apogée avec les attaques du 11 septembre 2001 à New York et à Washington, la notion de terrorisme moderne a commencé à naître dans la « littérature » du terrorisme pour décrire son évolution par son entrée dans l’après modernisme. Malgré le fait que certains ne voient aucun changement et croient qu’il n’y a rien de nouveau dans le nouveau terrorisme, la plupart des experts en la matière, et surtout les commentateurs en occident, voient une étape charnière dans l’évolution du phénomène terroriste dans cette époque moderne et une rupture très importante avec le passé101. D’après eux, le terrorisme moderne diffère du terrorisme classique par plusieurs particularités102. La première, et la plus importante pour eux, est que ce terrorisme est religieux. Il est accompli par des extrémistes religieux dont l’objectif politique est opaque103

. Plusieurs qualificatifs ont été donnés à ce type de terrorisme comme « fanatique » ou « fondamentaliste ». Son objectif est de causer le maximum de pertes matérielles et humaines, et non d’attirer l’attention sur une cause ou une demande104. Il se concentre sur le but de causer le plus de morts et de dégâts contre le camp qu’il considère comme ennemi105

. Ceci exprime bien sûr une grande hostilité, une haine et un refus catégorique de l’autre.

À l’inverse, le terrorisme classique se caractérise par l’étroitesse de la notion. Il procède dans ses opérations par la sélection et la différenciation visant un petit nombre de personnes et limitant la violence pour éviter l’influence négative sur la valeur propagandiste de ses attaques dans le cas où cette violence augmente. Son objectif est d’éviter de minimiser le soutien et la sympathie pour sa cause au sein de ses sympathisants et au regard de la société internationale106.

101

M. J. MORGAN, « The Origin of the New Terrorism », Parameters, (the journal of the U.S. Army War College), Vol. 34, 1 (Spring 2004), p. 31.

102

S. SIMON and D. BENJAMIN, « America and the New Terrorism », Survival, Vol. 42 N° 1, Spring 2000, p. 59 -75.

103

B. HOFFMAN, Inside Terrorism, London : Orion and NY : Columbia Univ. Press, 1998, p. 87 ; « Old Madness, New Method », RAND Review, Vol. 22, n° 2 (Winter 1998-99), p. 12.

104

S. SIMON and D. BENJAMIN, « The Terror», Survival, Vol. 43, N° 4, winter 2001, p. 5.

105

M. RANSTORP, « Terrorism in the Name of Religion », Journal of International Affairs, Vol. 50, N° 1, summer 1996, p. 42 ; B. M. JENKINS, The Likelihood of Nuclear Terrorism, Santa Monica, CA : RAND, P- 7119, July 1985, p. 6.

106

56

La violence est utilisée dans le terrorisme classique comme moyen pour atteindre certains objectifs107, alors que le terrorisme religieux, répandu dans les pays du Moyen Orient, n’utilise plus la violence comme moyen mais comme objectif108

. Il considère cette violence comme un devoir sacré qu’il faut accomplir pour obéir aux ordres d’Allah109

. Aux yeux des terroristes, c’est un comportement légitime. Ainsi, on se basant sur cette « légitimité », ils n’hésitent pas à commettre des actes à des niveaux excessifs de violence sans se soucier de l’opinion publique locale ou internationale. Ils ne se soucient ni des condamnations, ni des valeurs morales ou intellectuelles dans la pratique de ce terrorisme sans différenciation110.

L’acte terroriste moderne se caractérise aussi du point de vue organisationnel par son appui sur des réseaux très qualifiés et dont les compétences dépassent les frontières des États. Ces réseaux se composent de petites cellules limitées en nombre, sans aucun lien entre elles111, presque indépendantes et sans un commandement central précis112.

Les réseaux peuvent se composer aussi d’unités principales qui œuvrent sans direction commune ou pouvoir central commun. Elle comprend des membres réunis par des pensées rapprochées, pouvant être de nationalités différentes. La plupart sont des amateurs qui apprennent ce dont ils ont besoin de savoir dans des livres, sur des imprimés ou sur internet. À travers cette organisation mondiale ils peuvent adresser des frappes contre des objectifs à l’étranger contrairement au terrorisme classique qui vise des objectifs nationaux à l’intérieur de l’État. Selon plusieurs spécialistes du terrorisme moderne, les terroristes sont arrivés même à maîtriser l’utilisation des armes de destruction massive113

.

L’argument des terroristes modernes est qu’ils aspirent à l’au-delà et n’ont aucun objectif politique palpable. Ils se libèrent, de cette manière, des chaînes qui accablent les terroristes classiques. Ainsi, ils tuent sans distinction. Comme nous l’avons noté, ils sont capables d’utiliser les armes de destruction massive pour réaliser leur objectif qui est de tuer

107

J. ARGUILLA, D. RONFELDT and M. ZANINI, « Networks, Netwar, and information-Age terrorism », in I. O. LESSER et al., Countering the new Terrorism, Santa Monica, California: RAND, 1999.

108

J. STEVENSON, « Terrorism : New Meets old : Review article », Survival, Vol. 43, N° 2, summer 2001, p. 40.

109

B. HOFFMAN, Inside terrorism, op. cit., p. 168.

110

B. HOFFMAN, « Holy terror : The implications of terrorism motivated by a religious imperative », Studiess

in Conflict and Terrorism, Vol. 18, N° 4, 1995, p. 271-284.

111

ARGUILLA, D. RONFELDT and M. ZANINI, « Networks, Netwar, and information-Age terrorism », p. 56- 63.

112

B. HOFFMAN, « Terrorism trends and prospects », in I. O. LESSER et al., Countering the new terrorism, op.

cit., p. 20 ; I. O. LESSER, « Introduction », in I. O. LESSER et al, op. cit., p. 1-2.

113

B. HOFFMAN, Inside terrorism, op cit, p. 200-205 ; R. A. FALKENARTH, « Confronting nuclear, biological and chemical terrorism », Survival, Vol. 40, N° 3, autumn 1998, p. 43-65.

57

le maximum de personnes et de causer le maximum de dégâts. Ces actes sont rendus possibles grâce à la protection dont ils jouissent de la part de certains États ou à leurs refuges situés dans des régions incontrôlables.

En bref, la notion de terrorisme moderne, du point de vue communément répandu114, se résume à l’apparition de groupes de terroristes qui, ayant des mobiles religieux et des visions portées vers l’au-delà, organisent des attaques meurtrières et dévastatrices. Étant donné la nature de leurs mobiles, leur organisation et leur encadrement, ils essayent de se procurer les armes de destruction massive afin de les utiliser. En réalité, la notion de l’acte terroriste moderne, dans les législations des pays du Golfe, n’est pas en harmonie avec les actes terroristes modernes. Par conséquent, il est indispensable de modifier ces législations et formuler une nouvelle définition de l’infraction terroriste, en usant de nouvelles expressions et notions qui prennent en considération l’évolution du terrorisme tant du point de vue des moyens utilisés que des objectifs visés. Cela peut se faire en excluant l’élément matériel de la notion de terrorisme et en se concentrant sur l’élément moral, et ce, dans le but d’établir une définition plus large et plus globale de l’acte terroriste, comme nous allons le voir.

Par ailleurs, l'une des constantes observées dans la législation antiterroriste adoptée en France depuis 1986, est l'élargissement continu de la catégorie des infractions terroristes115. Cet élargissement, afin d’adapter le dispositif aux faits, confirme les dangers de la technique utilisée pour définir une criminalité constamment alimentée d'événements nouveaux et soumise, de surcroît, à des dispositifs de plus en plus dérogatoires au droit commun.

Faut-il le rappeler, le point de départ de la riposte légale au terrorisme en France est la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986. Plusieurs fois modifiée et complétée, notamment par la loi n° 86-1322 du 30 décembre 1986116, cette loi s’est souciée de lutter contre le terrorisme en dotant les autorités judiciaires de pouvoirs plus contraignants. Toutefois, jamais elle n'a eu pour but, ni pour résultat, d'aboutir à la consécration d'une incrimination spécifique du

114

J. BURNETT and D. WHYTE, « Embedded expertise and the new terrorism », Journal for Crime, Conflict and the Media, 2005, Vol. 1, N° 4, p. 1-18.

115

Cf. H. ROUIDI, « La loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme : quelles évolutions ? », AJ pénal 2014.

116

Modifiant le code de procédure pénale et complétant la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, préc.

58

terrorisme117, d'ériger en infractions distinctes des actes de terrorisme préalablement. Seules étaient consacrées des dispositions dérogatoires de procédure, qui pouvaient s'appliquer lorsqu'un certain nombre d'infractions, limitativement énumérées et empruntées au droit commun, étaient en relation avec une entreprise ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. Ce n'est que plus tard, lors de la réforme du Code pénal, puis de la loi n° 96-647 du 22 juillet 1996118, que le terrorisme est devenu une infraction autonome consacrée à l’article 421-1 du Code pénal, par référence à des actes explicitement définis. La démarche étant d’emprunter à des infractions existantes leurs éléments constitutifs et à en retirer une qualification terroriste dès lors que leur réalisation s'inscrit dans un contexte d'intimidation ou de terreur. Il y a donc prélèvement dans le droit pénal spécial d'un certain nombre de crimes ou de délits, qui deviennent des actes terroristes sur le fondement de circonstances particulières.

La réponse pénale se veut ainsi à la mesure des évolutions d'une délinquance qui témoigne d'un besoin constant d'adaptation. Ce fut le cas de la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme afin de mettre en œuvre la décision-cadre 2008/919/JAI du Conseil du 28 novembre 2008, dont l'article 1er

prévoit que « Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que soient également considérés comme des infractions liées aux activités terroristes, les actes intentionnels suivants : le recrutement pour le terrorisme ». Ainsi, a-t-on inséré dans le Code pénal l’article 421-2-4, dont l'objet est précisément d'ériger en incrimination spécifique le recrutement en vue de participer à un groupement terroriste ou de commettre un acte terroriste. Désormais, aux termes de cet article « Le fait d'adresser à une personne des offres ou des promesses, de

lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques, de la menacer ou d'exercer sur elle des pressions afin qu'elle participe à un groupement ou une entente prévue par l'article 421-2-1 ou qu'elle commette un des actes de terrorisme mentionnés aux articles 421-1 et 421- 2. L’acte est puni, même lorsqu'il n'a pas été suivi d'effet, de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende. »

117

Cf. Y. MAYAUD, Le terrorisme, Paris, Dalloz, Coll., « Connaissance du droit », 1996, p. 30 ; L. DEBEAUSSE, La lutte contre le terrorisme : la réponse du droit, Mémoire de Master II de Droit pénal et Sciences pénales, Université Paris 2, 2013-2014, p. 60.

118

Tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire, préc.

59

De son côté, la loi du 13 novembre 2014, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme119, consacre une pratique désormais courante : la qualification d'une menace terroriste, réelle ou présumée, à l'appui d'une nouvelle législation, adoptée dans l'urgence, pour combler les lacunes de l'arsenal juridique existant.

Le législateur attache à la qualification terroriste des conséquences exceptionnelles, telles que l'aggravation de la peine, l'allongement des délais de prescription, ou encore l'application de dispositifs procéduraux dérogatoires au droit commun. D'où la nécessité de définir précisément les contours de la criminalité terroriste et de cantonner cette qualification aux infractions les plus graves. Or, cette qualification ne cesse de s'étendre, d'une part, par l'ajout de nouvelles infractions à la liste des actes de terrorisme définis par l'article 421-1 du Code pénal et, d'autre part, par l'introduction de nouvelles incriminations autonomes.

Au titre de l’élargissement de la notion par l'extension de la liste des actes de terrorisme établie à l'article 421-1 du Code pénal, l’on peut les nouvelles infractions en matière d'explosifs prévues par les articles 322-6-1 et 322-11-1 du même code. Rappelons que cette liste énumère des infractions de droit commun susceptibles de recouvrir la qualification terroriste « lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou

collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ». Ainsi, la liste des actes de terrorisme, déjà hétéroclite et largement bien fournie,

s'allonge inlassablement. En effet, en l'absence de critère prédéfini d'inclusion, l'énumération des actes de terrorisme, prévue par l'article 421-1 du Code pénal, est vouée à une extension au gré des attentats et événements meurtriers perpétrés en France ou à l'étranger.

Au titre de l’élargissement de la notion par l'introduction de nouvelles incriminations autonomes, l’on peut citer l'entreprise individuelle terroriste, incriminée par le nouvel article 421-2-6 du Code pénal et punie, selon l'article 421-5 du même code, de 10 ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende. Il s'agit d'une nouvelle infraction qui réprime la préparation, par un individu agissant seul, d'un des actes de terrorisme limitativement énumérés, préparation qui doit être caractérisée par la réalisation, dans un but terroriste, de plusieurs actes matériels. Si l'élément moral reprend le même mobile (troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur), les actes préparés doivent nécessairement comporter, d'une part, la détention, la recherche, l'acquisition ou la fabrication d'objets ou

119

Loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme,

60

substances dangereuses pour autrui et, d'autre part, un autre fait matériel parmi une série d'actes : recherche de renseignements, consultation de sites terroristes, entraînement, formation au maniement des armes, etc. Cette dernière énumération a été ajoutée par les députés afin de mieux préciser les éléments d'une infraction dont la constitutionnalité est fortement douteuse.

Outline

Documents relatifs