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G ÉNÉALOGIE DES ONG DE DÉFENSE

2. Des sens variés de la répression

Les rapports entre autorités publiques et ONGDH ne témoignent pas du même type d’interaction et n’ont la même signification au Cameroun et au Kenya. Au Cameroun, à cette époque, les ONGDH ne semblent en effet pas capables de créer des opportunités d’action en faisant pression sur le régime, et définissent leurs activités en fonction des possibilités offertes par le pouvoir. Une fois les sanctions tombées, il leur est fort difficile de se mesurer au pouvoir. Ceci ne signifie pas que les activités des ONGDH soient définitivement arrêtées, mais plutôt que la variable étatique est déterminante pour comprendre la faible intensité des activités constatées dans le paragraphe précédent. Combinée à une faiblesse des ressources sociales et matérielles mobilisées, cette intransigeance étatique inhibe largement les possibilités de déploiement de ces ONGDH. Néanmoins, aucune des ONGDH créées à cette époque ne renonce à exister ; elles s’adaptent à ce contexte difficile, transformant, au passage, leurs ambitions. Au Kenya, les interactions sont multiples et répétées : elles mènent, dans le cas étudié, à l’escalade de la violence, et influent sur le positionnement stratégique des ONGDH, par leur radicalisation, au moins temporaire. Le jeu est plus interactif qu’au Cameroun, où l’unilatéralité prédomine, en faveur du régime, et implique une conformation plus stricte des ONGDH aux vœux du pouvoir.

La fin de cette seconde séquence chronologique est marquée par la ré-élection des dirigeants en place, mais deux types différenciés de contestation, dans le domaine des droits de l’Homme, sont à l’œuvre. La scène politique camerounaise est largement dominée par les acteurs partisans, et plus que tout par les dirigeants. Au Kenya, l’épisode de 1997, s’il n’a pas abouti au résultat escompté, a cependant affirmé et consolidé les opportunités de protestation ainsi que les structures qui la portent, en dehors des partis1.

1 Les publications relatives aux élections de 1997 mentionnent d’ailleurs toutes le rôle de ce que les auteurs appellent souvent la « société civile », le « secteur des droits de l’Homme » ou les « ONG politiques » : voir le chapitre consacré à la « société civile » dans Rutten, M., Mazrui, Al., Grignon, F. (eds), op.cit., et l’article consacré aux droits de l’Homme dans le N° 70 de Politique africaine, 1998.

S e c t i o n 3

1 9 9 8 - 2 0 0 2 :

L E S P A R C O U R S D I V E R G E N T S D E S O N G D E

D E F E N S E D E S D R O I T S D E L ’ H O M M E

La troisième période, bornée par les deuxièmes et troisièmes élections multipartites postérieures à 1990 (élections générales au Kenya, et uniquement législatives au Cameroun1), confirme l’écart entre les chemins pris par ces groupes de pression, alors que l’attitude des gouvernements reste encore relativement comparable, même si les élections de 2002 aboutissent à une alternance au Kenya.

Les élections de 1997 ont entériné dans les deux pays la domination des anciens partis uniques. Au Cameroun, cette continuité est partiellement due au boycott des élections présidentielles de décembre par les grands partis d’opposition, qui n’acceptent pas le maintien de règles électorales estimées injustes2. Le SDF et l’UNDP ont également perdu des sièges au Parlement lors des élections législatives d’octobre, démontrant un effritement du soutien dont ils semblaient bénéficier au moment des premières élections multipartisanes. L’incapacité de l’opposition à s’unir est aussi l’un des facteurs de la victoire électorale du candidat Moi et de la KANU, qui n’ont pas hésité à recourir à des moyens frauduleux et violents pour conserver le pouvoir3. Après ces reprises en main respectives, les espaces politiques camerounais et kenyans semblent

1 Ce décalage est dû au fait que le mandat présidentiel au Cameroun est passé de cinq à sept ans suite à la révision constitutionnelle de 1996.

2 Sur ces élections, voir Eboko, F., art.cit., p. 118-124 ; Takougang, J., Krieger, R., op.cit.

3 Voir Médard, C., art.cit., et Kagwanja, P.M., « Politics of Marionettes : Extra-Legal Violence and the 1997 Elections in Kenya », in Rutten, M., Mazrui, Al., Grignon, F. (eds), op.cit., p. 72-100 ; la référence importante sur ces élections est ce dernier ouvrage ; voir également : Cowen, M., Kanyinga, K., « The 1997 Elections in Kenya. The Politics of Communality and Locality », in Cowen, M., Laakso, L. (eds), Multiparty Elections in Africa, Oxford, James Currey, New York, Palgrave, 2002, p. 128-171 ; Steeves, J.S., « The Political Evolution of Kenya: the 1997 Elections and Succession Politics », Journal of Commonwealth and Comparative Politics, vol. 37, N°1, March 1999, p. 71-94.

osciller entre des voies incertaines de démocratisation et des incertitudes croissantes sur la solidité étatique. Cette fluidité des situations politiques constatées par Southall à propos du Kenya, tiraillé entre des demandes de réformes et la « kleptocratie » avérée du pouvoir en place1, peut être transposée au cas camerounais : les records de corruption décernés par Transparency

International à l’État camerounais officialisent, en des termes agréés par les organismes

internationaux, des comportements économiques et politiques connus2, tandis que de parcimonieuses réformes institutionnelles et l’ouverture gouvernementale aux hommes politiques de l’opposition manifestent l’approbation du régime pour un changement démocratique, ouvertement revendiqué3.

Dans ces contextes incertains, des logiques de concurrence sont à l'œuvre. Elles poussent à une homogénéisation, parfois de façade, des modes d’organisation internes des ONGDH (paragraphe 1). Ces dynamiques internes sont en partie inspirées par les relations que les groupes entretiennent avec leurs partenaires extérieurs, et qui les affectent différemment. Les tentatives d’autonomisation face à ceux-ci et face au pouvoir aboutissent à des résultats plus visibles au Kenya qu’au Cameroun (paragraphe 2).

I TR A N S F O R M A T I O N S D U C H A M P

D E S D R O I T S D E L’ HO M M E

Animés par des groupes en concurrence, innervés par des ressources matérielles ou symboliques évolutives et propices à la compétition, les secteurs des droits de l’Homme peuvent être assimilés à des champs tels qu’ils sont définis par Pierre Bourdieu, à savoir des « champs de force et de luttes pour modifier ces rapports de force »4. Si nous laissons à la frontière de ces

1 Voir Southall, R., « Re-forming the State ? Kleptocracy and the Political Transition in Kenya », Review of African Political Economy, vol. 26, N°79, March 1999, p. 93-108 ; Thomas, C., art.cit. ;Thomas, C., « L’économie politique d’une succession annoncée », Politique africaine, N°70, juin 1998, p. 40-53 ; Rutten, M., Mazrui, Al., Grignon, F. (eds), op.cit., p. 584-593

2 Transparency International est une organisation internationale d’origine allemande, qui propose un classement international des niveaux de corruption, construit à partir d’enquêtes auprès d’investisseurs, d’acteurs économiques et politiques dans les pays étudiés. Elle a classé le Kenya et le Cameroun parmi les dix pays les plus corrompus au monde. Voir, le site internet, www.ti.org.

3 Voir Eboko, F., art.cit., sur l’analyse de cette cooptation gouvernementale reflétant une conception toute particulière de la démocratie, mêlant « les velléités du parti unique et la réalité du pluralisme », et tentant de « contrôler un processus de décrispation qu’il avait lui-même enclenché dans les années 1980 », p. 128.

champs l’ensemble des alliés potentiels et des cibles (pouvoir, ONG internationales, presses, autres associations…) il est possible d’examiner les évolutions des rapports de force au sein de ces champs nationaux (B) et, avant cela, la structuration interne des agents de ces champs, en étudiant les types de structuration privilégiés et le type de ressources valorisé (A).

A . P r é c a r i t é i n s t i t u t i o n n e l l e e t c o n s o l i d a t i o n

« m a n a g é r i a l e »

Les processus de structuration interne des ONGDH sont particulièrement délicats dans un contexte d’incertitude politique, de vulnérabilité vis-à-vis de l’extérieur et d’absence de « précédent organisationnel » suppléée, parfois, par des phénomènes de mimétisme institutionnel. Nous nous intéressons dans cette partie au versant interne de l’évolution organisationnelle des ONGDH, qui, après quelques années d’existence, voient leurs besoins en termes de légitimité et d’efficacité changer, et leurs acteurs évoluer. Ceux-ci, dont nous soulignons la continuité de l’engagement (1) se diversifient, apportent des idées nouvelles et établissent de nouveaux rapports de force menant à des transformations progressives de l’organisation interne des ONGDH (2)