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G ÉNÉALOGIE DES ONG DE DÉFENSE

1. Les modalités des relations avec les bailleurs

Le nombre et l’identité des donateurs présents dans les deux pays est une caractéristique importante pour comprendre les évolutions du champ des droits de l’Homme2. Notre hypothèse est cependant que, si la configuration des rapports entre ces acteurs extérieurs et le pays récipiendaire est importante pour comprendre les ressources disponibles dans le secteur des droits de l’Homme, celui-ci a aussi évolué en fonction des groupes qui ont été capables de solliciter ces fonds.

1 Entretien avec Omer Kebiwou Kalameu du NDH-C et avec Pierre Bercis.

2 Voir en annexe N°4 la structure des aides publiques reçues par chacun des deux pays. En résumé, en 2001, le montant total de l’aide publique internationale est de 398 millions de dollars au Cameroun et de 453 millions de dollars au Kenya, représentant respectivement 4, 9% et 4,4% du produit national brut des pays. Le premier bailleur au Cameroun est la France (125 millions de dollars) tandis que le premier bailleur au Kenya est la banque mondiale (143 millions de dollars).

La présence des bailleurs (bilatéraux, fondations, ONG) est déterminée par l’histoire des relations entre le pays et l’extérieur, par les intérêts changeants des donateurs, par des réalités économiques et politiques qui dépassent largement le cadre du secteur des droits de l’Homme, qui n’est apparu comme un domaine de coopération qu’assez tardivement, au moment de la mise en place de conditionnalités politiques. Les bailleurs présents au Kenya et au Cameroun n’ont pas les mêmes priorités. Le Kenya est perçu, dans des études consacrées à la « société civile kenyane », comme le lieu d’une accumulation de fonds destinés au secteur « democracy and

governance », et donc de créations ex-nihilo d’ONG dans ce domaine1. L’absence de bailleurs intervenant dans ce secteur (ou ponctuellement) serait alors la raison de la faiblesse du secteur des droits de l’Homme au Cameroun. Les financements proposés durant la période étudiée ne sont en effet pas équivalents2. Par exemple, au Kenya, les financements de l’USAID, l’agence américaine d’aide au développement, pour son objectif intitulé « Effective Demand for Sustainable

Political, Constiutionnal and Legal Reform » inclus dans la catégorie « Building Democracy » progressent

de 2,1 millions de dollars en 1997 à 3 millions de dollars en 2000. La KHRC a été bénéficiaire de ces fonds parmi une trentaine d’autres groupes3. Au Cameroun, le « fonds spécifique pour la démocratie et les droits de l’Homme », géré par l’ambassade, a versé 95 000 dollars en 2000, 48 000 dollars en 2001 et 80 000 dollars en 2002, une somme environ trente-cinq fois inférieure à celle déboursée au Kenya4. De même, des acteurs importants du financement international des droits de l’Homme sont présents au Kenya, et pas au Cameroun : ainsi, la Swedish International

Development Agency (SIDA) verse environ un tiers de son assistance au Kenya dans le secteur

« Human Rights and Democratisation », passant de 6 millions de Couronnes suédoises (environ 650 000 euros) entre 1995-1997, à 4, 5 millions (485 000 euros) en 1999 et revenant à 6 millions en 2000 5. De même, la Danish International Development Agency (DANIDA), qui consacre entre 7,2% et 9,5% de son aide totale au secteur « Democracy, Human Rights and Good Governance », est présente au Kenya et non au Cameroun. Dans ce pays, qui figure parmi les trente principaux

1 Voir Gibson, S., art.cit. L’analyse de la croissance exponentielle des ONG financées par des partenaires étrangers est également valable dans d’autres domaines : voir, par exemple, Hearn, J., « The ‘NGO-isation’ of Kenyan Society : USAID and the Restructuring of Health Care », Review of African Political Economy, N°75, 1998, p. 89-100

2 Il n’existe pas d’études exhaustives sur le montant des aides apportées au « secteur des droits de l’Homme » dans chacun des pays, car ce secteur n’est pas érigé en catégorie spécifique par toutes les agences de coopération (Les subventions apportées aux ONGDH peuvent être intégrées dans diverses lignes budgétaires : « aide aux ONG », « démocratie et gouvernance », …).

3 Voir USAID, Congressional Presentation, pour les années 1997 à 2000, sur www.usaid.gov/pubs/cp2000/afr/kenya.html.

4 U.S. Agency for international development, fact sheet, June 2001 et November 2002, disponibles sur

www.usaid.gov/press/releases/2001/01fs_cameronn.html et www.usaid.gov/press/releases/2002/02fs_cameronn.html.

5 Cette catégorie comprend : les droits de l’Homme, le secteur judiciaire, les services publics et la démocratisation. Voir Swedish Embassy, Swedish Support to Human Rights Democracy in Kenya, Strategy 2000-2002, Nairobi, February 2000

récipiendaires de l’aide canadienne, le coopération canadienne a mis en place un projet Human

Rights and Democratic Development, de 4,5 millions de dollars canadiens (environ 3 millions d’euros)

entre 1995 et 2000, géré par une structure locale, Pro-Démocratie. La France, principal bailleur au Cameroun, n’a publié qu’en 2003 un document d’orientation générale sur l’aide aux droits de l’Homme1. Localement néanmoins, le service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France au Cameroun a mis en place en 1999 un projet intitulé « Appui aux droits de l'homme et au développement démocratique » dans le cadre de sa coopération au « développement institutionnel »2. L’Union européenne a, pour sa part, élaboré un projet relatif à l’amélioration des conditions de détention préventives en 20013. Au Kenya, la coopération communautaire a participé activement au programme déjà mentionné d’éducation civique avant les élections de 2002.

La comparaison entre les recettes annuelles de la LDL, qui reçoit quelques aides ponctuelles de la coopération Canada-Cameroun, et celles de PRODHOP, qui ne reçoit pas de subvention (187 euros de recettes en 2000), avec celles de la KHRC (603 000 euros de subventions en 1999) reflète l’engagement différencié des partenaires financiers de ces ONGDH et explique, pour une part, les étapes successives de leur structuration et leurs conditions d’existence. Cependant,

1 Voir le document d’orientation publié en 2003 : Direction générale de coopération internationale et du développement, Pour une gouvernance démocratique. La coopération du ministère des Affaires étrangères 2002, Paris, 2003 ; Au Cameroun, la coopération aux droits de l’Homme n’est pas exposée comme une priorité pour la France, comme l’explique, en 2001, le chargé de la coopération institutionnelle à Yaoundé : « L’optique de la coopération française, n’est pas d’avoir l’ambition d’imposer une conception des droits de l’Homme comme en France. La construction démocratique, même en France, s’est faite sur le long terme. Il faut donc avoir une certaine compréhension par rapport aux défaillances constatées. Et tous les grands projets globaux ne sont pas d’actualité. Pour certains bailleurs, les droits de l’Homme sont devenus une forme de conditionnalité. Ils font la promotion de certaines associations soutenues par le gouvernement (CNDHL, par ex.), en tout cas, d’associations peu virulentes. Les exigences en matière de droits de l’Homme, ici, sont timorées. L’UE et les USA, qui ont moins d’intérêts que la France (surtout l’UE), sont plus critiques. Ils font un effort pour se donner une façade droits de l’Homme. Nous, nous travaillons avec des associations structurées, ayant une démarche moins frontale. On travaille donc à partir de petits projets concrets », entretien Pierre Laloye, coopération française.

2 Ce projet (1999-2002) comporte deux volets principaux : l’appui à l’amélioration des conditions de détention (5 millions de francs français) et l’appui aux organismes oeuvrant dans le domaine des droits de l’Homme (2 millions de francs français). En 2000, les conditions de réalisation de ce projet ne sont pas satisfaites, notamment parce que le CNDHL, organisme gouvernemental avec qui la coopération a choisi de travailler, ne correspond pas aux normes d’indépendance requises. Le projet a néanmoins débuté, notamment à travers la mise en place d’une assistance technique à la direction de l’administration pénitentiaire et à travers les projets réalisés en collaboration avec certaines ONG. En 2001, la France a collaboré avec l’ACAFEJ, l’Association camerounaise des femmes juristes, le barreau pour une étude sur les normes de détention, et l’ACAT-Littoral pour l’établissement de centres de réinsertion pour les détenus mineurs.

3 Voir Coopération Cameroun-Union européenne, Rapport établi dans le cadre d’un projet dans le domaine des droits de l’Homme, pour améliorer la situation de la détention préventive au Cameroun, Paris-Bruxelles-Yaoundé, 7 juillet 2001. Ce rapport d’identification a été suivi par l’établissement, en janvier 2002, du projet PACDET (Programme d’amélioration des conditions de détention et respect des droits de l’Homme) financé par l’Union européenne et coordonné par le British Council. Son objectif principal est la réduction de la durée de détention préventive des détenus des prisons centrales de Douala et de Yaoundé et s’appuie sur la collaboration d’une cinquantaine d’avocats rémunérés.

l’origine et les projets des bailleurs n’expliquent pas seuls leurs rapports aux ONGDH. C’est la capacité des ONGDH à attirer et à pérenniser leurs relations avec les donateurs qui est importante dans l’accès aux ressources. Si certaines ONG kenyanes du secteur « governance and

democracy » dont la KHRC, ont été financées rapidement, cela n’a pas été le cas de toutes les

ONG, notamment RPP ou PAT qui ont fonctionné respectivement cinq et deux ans sans financement1. Au Cameroun, les bailleurs étaient prêts, au début des années 1990, à financer le secteur des droits de l’Homme2. Mais, soit les fonds proposés ont été absorbés par des institutions gouvernementales, soit les partenaires financiers ont été découragés par les difficultés rencontrées auprès des ONGDH3.

Les rapports entre les partenaires financiers extérieurs et les ONGDH sont donc différents au Kenya et au Cameroun ; ceci implique que l’insertion des ONGDH dans le système de financement des bailleurs soit différenciée, tout comme, par conséquent, ses incidences sur la formation et l’organisation des ONGDH.