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G ÉNÉALOGIE DES ONG DE DÉFENSE

2. Précarité des groupes

Le contexte encore incertain dans lequel ces ONGDH se créent limite les possibilités d’une structuration ferme et leurs activités. L’attitude des gouvernants et de l’administration est mue par l’arbitraire et ne facilite pas une action continue et concertée de la part des groupes. Ce sont aussi les difficultés d’organisation interne et d’accès à des financements qui freinent le développement de ces ONGDH. Les situations sont toutefois diversifiées, en fonction des ressources que les membres sont capables de mobiliser.

La majorité des organisations se dote à cette époque d’une structure organisationnelle détaillée dans leurs statuts. Cependant, au-delà de cet aspect formel, l’activation réelle de ces structures

1 Nous ne prenons pas pour objet direct d’observation « Conscience Africaine », qui ne s’occupe qu’indirectement de questions liées aux droits de l’Homme ; mais il nous est impossible de dissocier les actions de Kamga les unes des autres, puisqu’ils les mènent de façon concomitante, au nom de NDH ou de CA.

2 Entretien avec Pierre Bercis.

3 « Oui, nous avions fondé SOS Jeunesse Libre avec Kamga Hilaire à Yaoundé. C’était parti de CAP-Liberté. J’étais membre de CAP, on voulait détendre le système. Puis, l’association a été déclarée persona non grata. Nous avons créé alors SOS, sur la défense des droits des jeunes. Jusqu’en juillet 1996, où j’ai créé SOS », entretien avec Issa Maidadi.

s’avère difficile dans un contexte encore peu favorable1. La situation du HRDG semble singulière sur ce point. Dès son implantation à Bamenda, le groupe a multiplié les tentatives de se déployer, notamment dans les provinces anglophones, et revendique, en 1996, deux mille cinq cents membres et vingt-cinq antennes locales2. Les difficultés de fonctionnement que connaissent les autres ONGDH sont exposées dans le rapport d’activités de l’année 1997 de la LDL qui note :

« Deux difficultés majeures ont eu une incidence néfaste sur l’opérationnalité des structures de la Ligue : d’abord l’insuffisance des ressources humaines. En effet, le contexte social critique marqué par la logique d’affrontement, l’absence de dialogue franc et ouvert entre les différentes forces politiques, les tensions sociales post électorales, la misère ambiante, l’ignorance des populations en matière des droits de l’Homme sont autant de facteurs qui n’ont pas rendu aisée la quête de militants des droits de l’Homme, et surtout de cadres compétents et dévoués. Ensuite la modicité des ressources matérielles et financières ne permet pas encore à l’organisation de rayonner au-delà des provinces de l’Ouest, du Centre et de l’Est »3.

Si l’insistance est placée ici sur la question des ressources militantes, qui demeurent une priorité pour la LDL, la question des ressources matérielles est récurrente pour toutes les organisations camerounaises, à des degrés divers. La question, tellement évidente, est même éludée ironiquement par le secrétaire général de la LDL lors de notre entretien4. Issa Maïdadi exprime également la difficulté d’agir dans un contexte de pauvreté matérielle récurrent : « Au départ, nous

avons passé trois ans dans les difficultés. On a eu un premier financement en 1999. Avant, on faisait le strict minimum, on aidait les gens comme on pouvait ». Ce problème se retrouve également exposé dans la

lettre d’information du HRDG5. Celle-ci, comme PRODHOP ou la LDL, fonctionnent notamment grâce aux cotisations de membres locaux. Largement insuffisants, ces financements sont complétés par des fonds de bailleurs étrangers lorsque les groupes en font la demande et ont réussi à attirer l’attention de ceux-ci. C’est ainsi que, grâce à la notoriété de son directeur, HRDG a très tôt reçu des financements de la part d’ambassades au Cameroun ou d’ONG internationales présentes sur le terrain. Le Haut commissaire britannique est venu en personne ouvrir un séminaire sur les droits de l’Homme financé par le Royaume-Uni, et d’autres

1 Entretien avec Charlie Tchikanda.

2 Human Rights Defence Group Newsletter, vol.1, N°10-11-12, p. 9.

3 Ligue des droits et des libertés, « Rapports d’activités de la ligue des droits et des libertés 1996-1997 », in Ligue des droits et des libertés, Document de programme (2001-2003) et textes de base, Bafoussam, 2001.

4 « Alors, à propos du fonctionnement effectif, je passe sur les difficultés classiques, le manque de moyens financiers. La principale difficulté vient du manque de personnel. », entretien avec Charlie Tchikanda.

séminaires ont été financés, à cette époque, par HELVETAS1, l’ambassade allemande, l’ambassade des Pays-Bas, le centre de coopération Canada-Cameroun, et Action de Carême2. Parmi les ONGDH camerounaises étudiées à cette époque, aucune n’a reçu autant de financements extérieurs3. Ceci tient à la fois de la célébrité du personnage emblématique de cette ONGDH, et du contexte, celui d’élections controversées et d’engagement de certains bailleurs de fonds, plus proches de la région anglophone, en faveur de réformes « démocratiques »4. Les financements reçus par l’ONGDH ne sont cependant pas permanents et correspondent à des projets ponctuels. Ainsi, en 1996, HRDG renonce à observer les élections municipales de janvier par manque de fonds disponibles. Cependant, si le dynamisme du HRDG est remarquable dans le contexte camerounais, il atteint difficilement le niveau de mobilisation déclenché par les ONG kenyanes et leurs alliés durant la période 1993-1997, qui peut être considérée, a posteriori, comme la phase d’engagement la plus visible et la plus frontale des ONGDH. Intimement liée au développement de ces activités revendicatives, la structure du groupe se renforce à ce moment-là.

B . K e n y a : l e s p r é m i c e s d e

l ’ i n s t i t u t i o n n a l i s a t i o n

Après les élections de 1992, que de nombreux acteurs politiques avaient récusées car elles ne répondaient pas aux règles « acceptables » d’une démocratie définie par les divers textes internationaux5, les ONGDH n’ont cependant pas été suffisamment inquiétées pour renoncer à leurs activités. Elles tentent ainsi de s’imposer dans le concert de revendications qui se

1 HELVETAS est une ONG suisse, travaillant principalement sur les questions de développement. Elle est active dans le domaine « Démocratie et droits de l’Homme » depuis 1995, à travers son partenariat avec HRDG, au Cameroun.

2Action de Carême est une ONG catholique suisse.

3 NDH reçoit des fonds ponctuels de NDH-France.

4 Certains pays anglophones (Etats-Unis, Royaume-Uni) ont soutenu les partis politiques d’opposition (le SDF) et certains acteurs de la défense des droits de l’Homme (Djeukam Tchaméni est accueilli comme exilé politique après l’échec de CAP-Liberté - sa femme est américaine). L’aide américaine (à travers l’USAID) au gouvernement est suspendue en 1995, pour des raisons financières et politiques, notamment du fait l’attitude peu conciliatrice du gouvernement face à l’opposition Ebolo, M.D., « L’implication des puissances occidentales dans les processus de démocratisation en Afrique : analyse des actions américaine et française au Cameroun (1989-1997) », Polis, vol. 6, N° 2, 1998, p. 21-56.

5 Les élections de 1992 sont effectivement dénoncées par des groupes internationaux et locaux, notamment l’Institute for Education to Democracy (IED), dont la principale mission est d’observer le déroulement des élections. Cet institut connaît un succès grandissant tout au long de la décennie, et sera un partenaire occasionnel de la KHRC lors d’opérations se rapportant aux élections. La NCCK est également l’un des acteurs majeurs de l’observation locale des élections.

multiplient tout au long de la décennie. Inscrivant résolument leur démarche dans un répertoire contestataire, les ONGDH attirent des personnes en quête d’espace revendicatif. A cet aspect radical porté par certains membres, s’ajoute une mise en place organisationnelle progressive et, par-là, des rapports ponctuels avec des donateurs internationaux. Ce fragile équilibre entre, d’une part, radicalisation des demandes et des modes d’action et, d’autre part, normalisation interne, sera rompu par le relatif échec des revendications constitutionnelles dont les ONGDH ont été porteuses. Cependant, durant cette période de construction, les engagements et l’organisation (1) ainsi que les soutiens financiers (2) de ces groupes se trouvent consolidés, sans heurt et de façon simultanée.