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« Comparer c’est expliquer », telle est la justification majeure de la démarche comparative5. Cet axiome recouvre cependant plusieurs niveaux d’explication, et, dans notre cas, la démarche comparative est utilisée aussi bien pour sa valeur heuristique qu’interprétative. En effet, la comparaison binaire, que nous avons choisie, permet de combiner connaissances fines des cas et

1 Steinmo, S., Thelen, K., Longstreth, F., Structuring Politics : Historical Institutionalism in Comparative Politics, Cambridge, Cambridge University press, 1992.

2 Laborier, P., Trom, D. (dirs), op.cit., p.5.

3 Badie, B., Hermet, G., op.cit.

4 Sawicki, F., « Les politistes et le microscope », in CURRAP, Les méthodes au concret, Presses universitaires de France, 2000, p. 143-164.

généralisation (relative) des résultats1. La connaissance des faits est en effet favorisée par cette approche car à la précision de l’observation que permet le nombre réduit de cas s’ajoute la découverte de nouveaux questionnements surgis à propos d’un cas et, par un phénomène constant d’aller-retour, posés quant à l’autre cas. Cependant, et avant de revenir sur le choix des cas et leur comparabilité, il est nécessaire de souligner la portée limitée de la généralisation interprétative des comparaisons binaires centrées sur des cas (et non sur les variables)2 : l’étude porte sur les similitudes et les différences entre cas, à partir des variables et non sur les relations entre les variables. Elle ne cherche pas à apporter de modèle causal. De plus, notre recherche porte sur des petites unités du champ politique, les ONGDH et s’appuie sur plusieurs cas dans chacune des sociétés étudiées : ainsi les hypothèses concernant les conditions de leur succès dans des sociétés comparables pourront être assez précises3 ; mais la question, subsidiaire, de ce que nous disent ces ONGDH sur les cultures politiques de chacune des sociétés sera abordée avec moins de précision, du fait de l’étroitesse du point d’entrée.

Avant de s’intéresser aux deux « cas » choisis, il est nécessaire de s’arrêter sur la pertinence de la comparaison d’objets que l’on pourrait qualifier de formels car relevant de l’institué, de la catégorie juridique, d’une prise en compte d’un objet « tel qu’il se donne à voir »4. Ce point de départ nous permet en fait de dévoiler les usages qui sont faits de cette cause universelle et évidente que sont les droits de l’Homme en s’intéressant aux mécanismes de structuration des ONGDH, aux dynamiques militantes qui les innervent, au processus de formulation de la cause, aux pratiques de revendication. Alors que ce type d’objet se retrouve sur tous les continents, sous des formes organisationnelles parfois proches, il est nécessaire de comprendre pourquoi leur existence s’impose dans certains cas et non dans d’autres. C’est bien que derrière l’évidence se cachent des conditions d’existence qui sont loin d’être universelles.

Le préalable à la comparaison est la justification de l’intérêt des cas choisis et de leur comparabilité. Suivant les conseils de Dogan et Pelassy, selon lesquels la comparaison binaire « concerne de préférence des pays présentant des analogies fondamentales, même si l’objectif de l’analyse est de

1 Sur la démarche comparative binaire, voir Gazibo, M., « La démarche comparative binaire : éléments méthodologiques à partir d’une analyse de trajectoires contrastées de démocratisation », Revue internationale de politique comparée, vol.9, N°3, 2002, p. 427-449 dont nous nous sommes inspirés dans le paragraphe suivant.

2 Giraud, O., « Le comparatisme contemporain en science politique : entrée en dialogue des écoles et renouvellement des questions », in Lallement, M., Spurk, J. (dirs), Stratégies de la comparaison internationale, Paris, Editions du CNRS, 2003, p. 87-106 pour une synthèse des différences entre logique comparative centrée sur les cas et celle centrée sur les variables.

3 Badie, B., Hermet, G., La politique comparée, Paris, Armand Colin, 2001, p. 47

4 Voir les mises en garde contre les dangers du nominalisme en politique comparée : Hassenteufel, P., « Deux ou trois choses que je sais d’elle : remarques à propos d’expériences de comparaisons européennes », CURRAP, Les méthodes au concret, Presses universitaires de France, 2000, p. 105-124.

mettre en évidence des différences dans un ou plusieurs domaines », le choix du Kenya et du Cameroun, après vérifications empiriques, nous semble pertinent1. Ces pays connaissent en effet, tout au long de la décennie 1990, des « transitions imparfaites », caractérisées par des ex-partis uniques dominants, des pratiques autoritaires, des présidents décidés à se maintenir au pouvoir2. Dans le même temps, l’émergence et la consolidation des ONGDH connaissent des succès bien différents, voire des trajectoires qui bifurquent radicalement. Le choix des cas dépend en effet de l’objet d’étude, de la variable dépendante, et ici, les différences fondamentales méritent d’être sinon expliquées du moins interprétées compte tenu de la persistance, dans les comparaisons africaines passées ou présentes des régimes, de rapprochements et de « classements » similaires des cas kenyan et camerounais3. Avant de s’arrêter sur leurs analogies, rappelons que le choix de comparer deux pays du continent africain tient à ce que nous ne cherchons pas à observer les caractéristiques générales de l’ordre politique, qui pourraient être analysées à partir de cas très différents, mais plutôt le fonctionnement de cet ordre politique (qui peut inclure des perceptions de ce fonctionnement) dont les singularités sont décelables à partir de cas présentant des analogies fondamentales, comme celle d’être des Etats post-coloniaux4.

La comparabilité des pays tient ici à la fois aux similitudes dans le mode de formation de l’État post-colonial, dans ses dimensions politiques et économiques, et dans la trajectoire des régimes jusqu’en 2002, date à laquelle nous clôturons la majeure partie de cette étude, alors que le Kenya connaît une alternance et que l’ex-parti unique camerounais conserve le pouvoir après des élections législatives. Etabli par Jean-François Bayart à partir de l’observation du système de domination au Cameroun5, le « scénario de l’assimilation réciproque des élites » au sein d’une matrice autoritaire, peut également s’appliquer à l’interprétation de la formation de l’État autoritaire kenyan. L’auteur de cette thèse sur la formation de l’Etat post-colonial montre, d’abord concernant le Cameroun puis l’Afrique6, comment la mise en place du parti unique et de la puissance bureaucratique, relève d’un processus progressif d’assimilation réciproque des élites, anciennes et modernes, tirant leur

1 Dogan, M., Pelassy, D., Sociologie politique comparative : problèmes et perspectives, Paris, Economica, 1982, p. 127-134.

2 Sur cette caractérisation commune, voir Bratton, M., Van de Walle, N., Democratic Experiments in Africa : Regime Transitions in Comparative Perspective, Londres, Cambridge University Press, 1997.

3 Bratton, M., Van de Walle, N., idem ; à notre connaissance, il n’existe pas d’étude comparée publiée sur ces deux cas ; une thèse est cependant en cours sur les usages comparés du multipartisme au Kenya et au Cameroun (Lucien Toulou, Centre d’études d’Afrique noire) ; pour sa part, le Kenya a été souvent comparé à la Côte d’Ivoire : Widner, J.A., « Two Leadership Styles and Patterns of Political Liberalization », African Studies Review, vol.37, N°1, April 1994, p. 151-174 ; Médard, J-F., « The Historical Trajectories of the Ivorian and Kenyan States », Manor, J. (ed.), Rethinking Third World Politics, Longman, Londres, 1991, p. 185-212.

4 Badie, B., Hermet, G., op.cit., p.46.

5 Bayart, J-F., L’État au Cameroun, Paris, Presses de la Fondation nationale de science politique, 1979.

pouvoir de ressources différentes. Ce système de domination, de reproduction et de recomposition d’anciennes clientèles repose sur différents éléments permettant l’amalgame de ces élites « en quête hégémonique ». Le système électoral à candidatures contrôlées mais compétitives permet la mise en compétition et la sélection de réseaux clientélistes aux ressources nouvelles ; le présidentialisme et l’administration toute puissante centralisent la compétition entre segments régionaux et réseaux dispersés ; les mythes légitimateurs forts permettent l’intériorisation citoyenne de ce système politique. Enfin, la coercition vient corriger les déviances résultant d’une souplesse contrôlée ou de failles involontaires. Résumée de la sorte, la matrice autoritaire semble être conforme aux trajectoires globales des régimes kenyans et camerounais. Afin de se démarquer et d’affirmer leur légitimité, les deux présidents successeurs des « pères de l’indépendance » montrent une volonté d’assouplissement des règles du jeu politique et énoncent de nouvelles rhétoriques de justification de leur autorité utilisant le registre de la libéralisation politique1. Tous deux sont cependant rapidement confrontés au vacillement de leur pouvoir à travers des tentatives de coup d’État, précédée au Cameroun par une confrontation politique entre les présidents successifs. Les intentions libérales des débuts de mandat sont donc largement remises en cause. Celles-ci seront de plus affectées par une crise économique et d’accumulation qui réduit les possibilités de redistribution clientéliste et conduit au rétrécissement de la base sociale des régimes. Avant cela, les deux pays avaient bénéficié d’une croissance exceptionnelle, et connu une aisance relative dans les années 1970. La rente agricole kenyane, doublée d’une rente pétrolière au Cameroun, donnent à ces pays, en plus de leur stabilité, une image de réussite économique exceptionnelle dans le contexte africain2. Si l’État est le premier centre d’accumulation économique, la croissance va de pair avec la constitution de bourgeoisies plus ou moins autonomes par rapport à l’État et qui présentent des caractéristiques différentes3. Il reste que ces bourgeoisies s’appuient, pour une part, sur des communautés ethniques perçues comme dynamiques économiquement et politiquement, et comme menaçantes pour les pouvoirs en place dans les années 1980 et 19904.

1 Delancey, M.W., Cameroon : Dependence and Independence, Boulder, Westview Press, 1989, p. 78 ; Haugerud, A., The Culture of Politics in Modern Kenya, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, chapitre 3.

2 Sur ces transformations politiques et sociales, et leur perception, voir Throup, D., « The Construction and Destruction of the Kenyatta State », in Schatzberg, M.C. (ed.), The Political Economy of Kenya, Londres, Praeger, 1987, p. 33-74 ; Médard, J-F., « État, démocratie et développement : l’expérience camerounaise », in Mappa, S. (dir.), Développer par la démocratie ? Injonctions occidentales et exigences planétaires, Paris, Karthala, 1995, p. 355-390.

3 Au Kenya, un véritable débat académique et politique s’est ouvert dans les années 1970 sur la nature de la bourgeoisie, « nationale » ou « compradore ». Pour une synthèse de ces débats, voir : Kitching, G., « Politics, Method and Evidence in the ‘Kenyan Debate’ », in Bernstein, H., Campbell, B. (eds), Contradiction of Accumulation in Africa, Londres, Sage, 1985, p. 115-151

4 Sur le resserrement des bases sociales et économiques des régimes à cause de la crise et la marginalisation parallèle des groupes puissants, les Kikuyus au Kenya et les Bamilékés au Cameroun, voir Van de Walle, N., African Economies and the Politics of Permanent Crises, 1979-1999, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.

Les deux modèles politiques et économiques voient leur image se dégrader avec la crise des années 1980 puis le tournant des libéralisations de 1990. La crise économique due à la dépendance au marché international et la gestion corrompue des ces Etats, devenus des modèles de néo-patrimonialisme, sont patentes quand les dirigeants refusent de prendre en compte les revendications multipartites. Favorisées dans les deux cas par une tradition de « participation » et de « compétition », ces revendications sont maîtrisées par les dirigeants1. Les dérives violentes, de la part des forces de l’ordre mais aussi sous forme de répression informelle doublée d’une stratégie d’ethnicisation du débat politique, mènent les deux régimes à une perte considérable de leur légitimité interne et externe2. C’est cette proximité des expériences de « restauration autoritaire », largement validée par les études comparatives des transitions africaines, et contrastant de façon flagrante avec la différence de visibilité des ONGDH, acteurs de ces changements politiques, qui nous a conduit à privilégier cette comparaison binaire. Les variables influant sur leurs conditions de succès ne relèveraient donc pas des critères procéduraux de la démocratisation, tels qu’envisagés par la plupart des études en science politique des années 1990, et ne seraient pas déterminées, avant tout, par les évolutions des régimes de cette décennie. Elles seraient donc à déceler à partir d’une étude fine des ONGDH et à partir d’hypothèses formulées à travers des questionnements théoriques sur l’action collective et sur ses dimensions historiques. Si il existe aussi des différences évidentes entre les deux configurations politiques, l’articulation de ces différences avec l’action collective, et l’actualisation de ces différences dans les processus politiques contemporains devront être précisées. Ainsi, l’héritage institutionnel de la colonisation, britannique au Kenya et franco-britannique au Cameroun, pourrait constituer un élément explicatif de certaines divergences, dans le rapport au droit notamment. Mais l’on sait combien ces héritages ont été manipulés depuis et ne constituent pas une variable opérant directement dans les logiques politiques contemporaines3. Le passage d’un autoritarisme « modéré » à un autoritarisme « dur » au Kenya et la trajectoire

1 Bratton, M., Van de Walle, N., op.cit., p. 140-147 et p. 175.

2 Kirschke, L., « Informal Repression, Zero-Sum Politics and Late Third Wave Transitions », Journal of Modern African Studies, vol.38, N°3, 2000, p. 383-405 ; sur le Kenya, voir particulièrement : Médard, C., « Les conflits ‘ethniques’ au Kenya : une question de votes ou de terres ? », Afrique contemporaine, 1er trimestre 1996, p. 62-74. Sur le Cameroun, voir, par exemple : Eyoh, D., « Through the Prism of Local Tragedy : Political Liberalisation, Regionalism and Elite Struggles for Power in Cameroon », Africa, vol 68, N°3, 1998, p. 338-359 ; Bayart, J.-F., Geschiere, P., Nyamnjoh, F., « Autochtonie, démocratie et citoyenneté en Afrique », Critique internationale, N°10, janvier 2001, p. 177-194.

3 Cette hypothèse a été testée par Sandra Fullerton Joireman, dans un article traitant de l’influence de l’héritage juridique sur le respect de la « Rule of law » dans les Etats africains. A partir d’une vaste comparaison des évaluations « démocratiques » de pays africains dans les années 1990, elle tente de montrer le poids de la tradition juridique (règles et pratiques) sur l’évolution démocratique « positive » des pays d’héritage britannique comparée aux pays francophones. Si sa comparaison des systèmes juridiques souligne des caractéristiques importantes de chacun des systèmes, les données relatives au comportement démocratique des régimes sont sujettes à caution car elles relèvent de données quantitatives discutables d’une part, et surtout car l’auteur ne prend pas en compte les ajustements juridiques des périodes post-coloniales d’autre part : Joireman, S.F., « Inherited Legal Systems and Effective Rule of Law : Africa and the Colonial Legacy », Journal of Modern African Studies, vol.39, N°4, 2001, p. 571-596.

quasiment inverse au Cameroun (quoique la fin de la décennie 1980 rappelle des méthodes utilisées par le premier président) pourraient également être envisagés comme des éléments expliquant les intensités variables des revendications1 ; là encore, le rapport direct avec les modalités des actions collectives des années 1990 devra être précisé. Avant de poursuivre l’élaboration d’hypothèses, il convient de réfléchir aux limites et aux écueils de la démarche comparative binaire.

Mamoudou Gazibo met en garde contre deux risques que comporte cette méthode2. D’abord, la « tentation des œillères », qui découle de la familiarité que le chercheur peut avoir avec l’un des cas étudiés, et qui conduit à vouloir combler ce décalage en plaquant les hypothèses tirées du cas connu sur le second. Ce problème mérite d’être soulevé ici puisqu’il est vrai que nous avons pu collecter des informations plus fournies au Kenya qu’au Cameroun. Cette distorsion est accentuée par le fait que le succès des ONGDH kenyanes a engendré davantage d’études s’y rapportant, de près ou de loin, qu’au Cameroun où ce type de travaux académiques est quasi inexistant. Concernant le premier niveau, celui de l’enquête, il nous semble que les séjours au Cameroun, au sein d’un groupe de recherches s’intéressant à ces questions, bien que selon une autre perspective, a contribué à ré-équilibrer les données, de même que les entretiens menés au Cameroun et en France avec des partenaires de ces ONGDH ont pu nous fournir des données complémentaires indispensables. Il reste que la nature même des données collectées dans les deux cas n’est jamais exactement identique. Ce que l’on peut appeler ensuite, le « biais bibliographique », au-delà même des études concernant les ONGDH, est un élément intéressant à souligner, et rarement pris en compte dans les études comparées. En effet, chaque pays est un site d’accumulation différenciée des savoirs. Certains objets et certaines perspectives sont plus élaborés que d’autres, du fait à la fois de la puissance théorique d’un travail fondateur, du prestige d’un auteur, et du « sentier de dépendance » académique, qui creuse le sillon d’un thème de recherche particulier, aux dépens d’autres thèmes3. C’est ainsi que le Kenya et le Cameroun, tous deux sites importants dans la construction des savoirs empiriques et théoriques sur l’Afrique contemporaine, n’ont pas suscité autant de recherches sur le même sujet, menant à la saturation d’études sur certains thèmes et à des déficits dans d’autres. Le risque est alors de se laisser guider par la littérature plutôt que par ses propres observations empiriques. A titre d’exemple, lors de la présentation de son ouvrage L’État ailleurs, Luc Sindjoun, professeur camerounais de science politique, a expliqué que son intérêt pour l’État comme objet central de la science politique au Cameroun découle de la nécessité de se placer dans les débats qui ont opposé les théoriciens français de l’État en Afrique, Jean-François Médard et Jean-François Bayart, tous deux partis du terrain camerounais pour échafauder leurs thèses respectives sur le

1 Médard, J-F., « Autoritarismes et démocraties », Politique africaine, N°43, Octobre 1991, p. 92-104.

2 Gazibo, M., art.cit., p.441 et suiv.

patrimonialisme et sur la politique du ventre. Ainsi, si l’on ajoute la place centrale de l’État comme acteur public au Cameroun, et l’importance universitaire du droit public, on comprend qu’une bonne partie des travaux francophones sur le Cameroun s’intéresse à questionner la « nature » de l’État. Au Kenya, les travaux sur l’État sont d’origines disciplinaires plus diversifiées, et la littérature sur les dynamiques sociales, en science politique, est plus riche, notamment les travaux sur la « société civile »1. Ici encore, traditions universitaires, ouvrages fondateurs, et constatations objectives s’entremêlent pour conférer à chaque terrain sa spécificité bibliographique2. La distorsion de connaissances produites risque alors de faire passer pour des différences objectives, ce qui n’est en fait que le résultat de l’accumulation canalisée de savoirs sur un même thème. Afin de contourner ce biais, la collecte d’informations est le plus sûr moyen de se détacher de ces évidences, difficiles à surmonter au début d’une recherche.

Plus généralement, le risque à maîtriser est celui de ne pas restituer fidèlement les situations de chaque pays, afin d’accentuer les écarts entre les trajectoires. Afin d’éviter cet écueil, nous avons déjà mentionné la comparaison interne qui permet de procéder parfois à des recoupements transnationaux entre différentes situations, notamment en ce qui concerne les logiques d’action individuelle (trajectoires militantes, affinités avec les droits de l’Homme…). De plus, nous avons procédé, dans une section du dernier chapitre, à une brève analyse d’autres facteurs, en dehors des droits de l’Homme, pouvant expliquer la bifurcation ultime des trajectoires politiques des régimes étudiés. Si nous nous éloignons alors quelque peu de nos objets de départ, il nous a semblé indispensable de cerner plus largement les facteurs de l’évolution des configurations politiques afin de mesurer les autres dimensions contribuant à cette divergence, afin également de vérifier si elles s’accordent avec les bifurcations observées concernant nos objets. Le second écueil détecté par Gazibo consiste à procéder, au titre de la comparaison, à une juxtaposition de faits ou d’histoires. Ici, c’est à partir de la formulation des hypothèses que nous construirons le déroulement de notre travail afin de maîtriser ce risque. C’est également grâce à une investigation fine que nous nourrirons ces hypothèses.

1 Pour une perspective historique et politiste, B. Berman, Lonsdale, J. (eds), Unhappy Valley: State and Class, Nairobi, Heinemann ; Londres, James Currey, 1992 ; pour une approche en termes de politiques publiques, Barkan, J.D., Okumu, J.J. (eds), Politics and Public Policy in Kenya and Tanzania, New York, Praeger, 1979 ; sur les rapports entre pouvoir politique et administration, Bourmaud, D., Histoire politique du Kenya, Paris, Karthala, 1988 ; sur l’État et le parti, Widner, J.A., The