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Continuité, monopole et opportunismes des engagements

G ÉNÉALOGIE DES ONG DE DÉFENSE

1. Continuité, monopole et opportunismes des engagements

On assiste dans les deux pays à une certaine continuité des engagements et des militants présents dans le champ des droits de l'Homme. C’est ainsi que les principaux leaders d’ONGDH de la période précédente se retrouvent à la tête des groupes, ou, au moins, dans le cercle dirigeant. Cette longévité de l’engagement (a) est accompagnée, au Cameroun, d’une résurgence de militants du début des années 1990 à la faveur d’une mobilisation autour d’exécutions extrajudiciaires (b). Cette continuité, aux modalités diverses, signe un ancrage de la défense des droits de l’Homme dans les deux pays, même si celui des ONGDH n’y connaît pas le même succès.

a. Pérennisation des engagements

La pérennisation recouvre des réalités différentes selon les ONGDH étudiées, et s’inscrit, en partie, dans la logique des différences nationales déjà évoquées. Au Cameroun, la permanence des dirigeants des ONGDH est parfois le résultat de la monopolisation de la direction par le membre fondateur, principal représentant public de l’ONG. Certains ne cèdent pas leur place, notamment parce qu’ils sont seuls ou presque au sein de groupes pourtant reconnus. C’est ainsi

que, parmi les sept structures observées, cinq conservent les mêmes dirigeants (présidents et secrétaires généraux) depuis leur création jusqu’en 2002, tandis que deux d’entre elles voient leurs dirigeants-fondateurs passer la main1. Cette domination d’une personnalité dans la plupart des ONGDH ne correspond cependant pas à un arbitraire total en leur sein. Obligation juridique, les ONGDH doivent posséder un statut définissant leurs structures décisionnelles. Par exemple, l’assemblée générale de la LDL en 2001 a reconduit le président et le secrétaire général dans leur fonction. Surtout, ces investissements personnels permettent de compenser une faiblesse en termes de moyens financiers et de consolidation institutionnelle. Un rapport récent de l’ACAT-Littoral souligne en effet le manque de ressources financières et l’hostilité administrative et explique que « l’ACAT, au vu de ces difficultés, est tenue de faire preuve de plus d’engagement afin que sa position qui est aujourd’hui une référence en matière de droits de l’Homme soit maintenue »2. L’investissement personnel, ici de la coordinatrice et de sa petite équipe, est censé contre-balancer les déficits en ressources classiques. Ils inhibent peut-être parallèlement leur acquisition.

A cette gouvernance personnalisée s’oppose une pérennisation institutionnelle au Kenya, marquée à la fois par un renouvellement aux postes de direction et une relative permanence des engagements. Cette deuxième caractéristique tend ainsi à rapprocher les ONGDH kenyanes des groupes camerounais en ce que certains leaders influent largement sur le devenir des ONGDH. Cependant, leur autorité n’est pas unidirectionnelle, puisque leurs décisions sont, soit entérinées par les personnes chargées de mettre en oeuvre les programmes, soit discutées, parfois vigoureusement, notamment concernant les changements stratégiques. Ceux-ci ont manifesté l’autonomisation du secrétariat, c’est-à-dire des salariés de la KHRC, face au Bureau des directeurs, souvent éloigné des préoccupations quotidiennes du fonctionnement du groupe. Ces confrontations ont montré que l’organisation mise en place permettait un contrôle des dirigeants, et souvent, une prépondérance des salariés qui ont acquis une compétence pratique et sont capables de faire des propositions. De plus, le recrutement se déroule sur un mode démocratique. Par exemple, alors que le poste de coordinateur des programmes était à pourvoir

1 Le MDDHL, la LDL, NDH-C, ACAT-Littoral et SOS-droits de l’Homme conservent à la présidence (ou à la direction/ coordination ) leurs membres fondateurs, après approbation formelle de leur assemblée générale. Albert Mukong, ex-président du HRDG est remplacé par Franka Nzoukekang, ancienne coordinatrice des programmes, en 2002 et Samuel Mack-Kit est remplacé au poste de secrétaire général par Maximilienne Ngo-Mbe, ancienne secrétaire-générale adjointe, en janvier 2000.

2 Action des chrétiens contre la torture-Littoral, Rapport des activités de l’ACAT-Littoral 2004-2005, Douala, Mars 2005. Ce rapport est le premier du genre rédigé par l’organisation ; il reprend ainsi un ensemble de considérations sur les activités de l’ACAT, avant la période concernée.

en août 1998, les candidats ont dû se présenter devant l'ensemble du personnel du secrétariat afin que celui-ci fasse valoir son appréciation sur chacun d'entre eux1.

b. Des ONG de défense des droits de l’Homme de circonstance

Au Cameroun, certains acteurs du début des années 1990, après avoir changé de champ, et être passés ou retournés vers les partis politiques, reviennent dans le combat pour les droits de l’Homme, lorsque l’opportunité se présente. Il s’agit notamment d’Anicet Ekane, dirigeant d’un petit parti d’opposition d’inspiration marxiste (le Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie- MANIDEM) et ancien leader de CAP-Liberté, et de Djeukam Tchameni, ancien président de ce groupe, qui se greffent en 2001 sur un début de mobilisation médiatisée autour d’exactions commises par des forces de l’ordre, et tentent d’organiser le mécontentement dans des ONGDH de circonstance. Ekane crée le C9, un collectif des familles des jeunes prisonniers disparus. Puis, après des tentatives de cooptation de membres de ce groupe et l’arrêt de ce collectif, Tchaméni crée le Comité national contre l’impunité (CNI), visant à assigner Paul Biya en justice pour l’ensemble des crimes commis sous sa présidence, notamment les exécutions extrajudiciaires2. Alors que la mobilisation autour des disparus de Bépanda porte partiellement ses fruits3, sa soudaineté, et l’intensité des mobilisations tous azimuts, notamment de la part de « vieux » militants, souligne la précarité et l’étroitesse de l’espace disponible pour s’exprimer ainsi que l’intensité de la pression nécessaire pour imposer un discours. Si, pour beaucoup, cet opportunisme d’anciens militants est le signe d’une récupération éhontée d’un drame à des fins politiciennes4, il montre surtout combien les occasions de s’exprimer et d’être entendu sont rares dans l’espace public camerounais. Il n’en reste pas moins que la discontinuité des actions et des structures est la caractéristique la plus marquante de ces groupes, qui ne mettent pas en place de procédures d’enracinement de leurs actions. Si l’on peut difficilement dire que ces groupes sont marginaux, quand ils occupent les

1 Donnée recueillie lors d'un stage aux mois de juillet et août 1998.

2 Le CNI est composé de : Léandre Djino, Madeleine Galang, Sali Issoufou, Jean-Michel Niacheu, Sindjoun Pokam, certains étant des anciens de CAP-Liberté. Arrêtés le 26 avril 2001 alors qu’ils se préparent à manifester, Tchaméni, Sindjoun Pokam et Léandre Djino sont relâchés le 3 mai 2001.

3 Une information judiciaire est ouverte en mai 2001, des gendarmes sont arrêtés et jugés, après plusieurs rebondissements quant à la légalité des mesures prises à l’encontre des militaires. Cependant, il est estimé que les vrais responsables, les chefs du Commandement opérationnel, n’ont pas été inquiétés. Voir Amnesty International, « Cameroun : affaire des 9 ‘disparus’ de Douala : à quand le jugement des responsables? », INDEX: AFR 17/006/2002, 17 Juillet 2002.

4 Chouala, Y-A., « Conjoncture sécuritaire, champ étatique et ordre politique au Cameroun », Polis, Numéro spécial, vol. 8, 2001, p. 1-42. C’est aussi l’opinion de la coordinatrice de l’ACAT, Madeleine Afité, qui accuse ces militants de faire du chantage au gouvernement et d’arrêter la mobilisation après avoir reçu de l’argent de sa part. Entretien avec Madeleine Afité.

média pendant plusieurs mois, il demeure que leur nouvelle visibilité ne les amène pas à consolider leur mouvement.