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G ÉNÉALOGIE DES ONG DE DÉFENSE

2. Des canaux de mobilisation différenciés

Au Kenya, l’ampleur et la diversité des institutions impliquées permettent de multiplier les lieux et les méthodes de revendications, malgré les errements des tentatives de coordination7. Au Cameroun, l’initiative est rapidement reprise en main par des hommes politiques disposant de faibles ressources, et qui se font dépasser par la première organisation des droits de l’Homme. Les ressources à disposition sont beaucoup plus instables qu’au Kenya. Les rapports des acteurs contestataires avec leur gouvernement respectif en sont une bonne illustration.

1 Mehler, A., art.cit., p. 110-111 et « Voyage au cœur d’une jeunesse inquiète », Jeune Afrique Economie, N°1555, 17-23 octobre 1990.

2 Voir Médard, J-F., « Les églises protestantes au Cameroun, entre tradition autoritaire et ethnicité », in Coulon, C., Constantin, F.(dirs), Religion et transition démocratique en Afrique, Paris, Karthala, 1997, p. 189-220.

3 Voir « Le cardinal Tumi rompt le silence », Le Messager, N°187, 5 juin 1990.

4 Pius Njawé, rédacteur en chef du plus grand journal privé, Le Messager, a déjà subi la rétorsion du régime en janvier 1990 lorsqu’il écrit à propos de la corruption du régime.

5 voir Krieger, R., art.cit., 1994, p. 609 et sur la presse, voir Mehler, A., art.cit., p. 113.

6 Livre blanc publié par une groupe d’intellectuels : Collectif, Changer le Cameroun : pourquoi pas ?, Yaoundé, octobre 1990 dont certains extraits sont proposés dans « Les ‘intellos’ proposent », Jeune Afrique économie, N°139, janvier 91, p. 78-83.

7 Voir l’analyse de Lafargue, en termes de réseaux de mobilisation à propos du Kenya, dans Lafargue, J., op.cit., 1996, p. 367-368.

Au Kenya, si les revendications perdent de leur ardeur dans les mois suivants Saba Saba, du fait de le reprise en main répressive, discursive et institutionnelle par le régime, elle ne tarde pas à renaître, en juillet 1991, sous la forme du Forum for the Restoration of Democracy (FORD) qui espère devenir un mouvement non-partisan, trans-professionnel et multiethnique, inspiré des forums civiques des transitions d’Europe de l’Est1. C’est d’habitude l’échec du mouvement et les divisions dues aux ambitions personnelles qui sont soulignés à propos du FORD2. Il est cependant nécessaire de noter qu’il a rassemblé des types d’opposants aux caractéristiques variées, et que les liens nés de cette expérience continueront de jouer sur les dynamiques de l’opposition, partisane ou extra-partisane au Kenya3. Il s’appuie surtout sur des ressources professionnelles, financières et sociales d’une large ampleur. Il intègre le plus vieil opposant au régime, Jaramogi Odinga Oginga, d’autres hommes politiques aguerris, un grand nombre d’intellectuels et de professionnels4. Les conflits innervent rapidement l’organisation à propos de la structure à adopter et du fait de suspicions entre les anciens et les nouveaux venus en politique. Les bases sociales, ainsi que l’idéologie vont également séparer certains des protagonistes5, et ceci plus ouvertement à partir du processus de nomination d’un candidat après l’enregistrement du FORD comme parti politique et l’annonce d’élections en décembre 1992. Ces divisions n’empêchent pas la constance de la mobilisation d’institutions plus anciennes, barreau, Églises, journaux, qui continuent de faire pression, de concert ou parallèlement, pour l’ouverture d’un débat politique plus large6.

1 Odinga Oginga avait d’abord annoncé en janvier 1991 la création du National Democratic Party, occultée par la presse pro-gouvernementale, et défendue publiquement par Paul Muite. Par la suite, celui-ci organise une alliance entre la LSK et le NCCK en juin 1991 avec le lancement d’une Convention pour la Justice et la Paix, qui a suscité de nombreuses réactions négatives de la part des membres du gouvernement et du Parlement (voir « Acrimony over New LSK/Church Alliance », Nairobi Law Monthly, June 1991) Pour des raisons encore floues (peur d’une réaction violente du gouvernement, rivalités), ce mouvement n’a finalement pas vu de concrétisation ; alors que les débats font rage entre l’Église et les jeunes Turcs sur l’opportunité d’un rassemblement en juillet 1991, pour commémorer Saba Saba, ces derniers convainquent un ensemble d’hommes politiques, représentant chaque province kenyane de s’associer dans le FORD. Voir Throup, D., Horsnby, C., op.cit., 1998 pour un récit détaillé de la mise en place du FORD, p. 76-79.

2 Grignon souligne le peu d’enthousiasme suscité par le lancement du mouvement Grignon, F., op.cit., 1993, p. 16 ; voir également, Kanyinga, K., « Contestation over Political Space : the State and Demobilisation of Party Politics in Kenya », CDR working paper, November 1998, p. 16-17.

3 Les alliances entre institutions religieuses, juridiques et partisanes se retrouveront notamment au moment des débats sur la révision de la Constitution (1996-2002).

4 Kanyinga, K., op.cit., November 1998, p. 15-16.

5 Mutua Wa, M., « The Politics of Doom », Africa Report, May-June 1992, p. 13-16.

6 Sur les activités du Nairobi Law Monthly, les arrestations dont son rédacteur a fait l’objet, et les réactions du gouvernement à son encontre, voir : « Charged with Seditions », Weekly Review, August 3, 1990 ; « Sedition by Edition », Africa Report, May-June 1991 ; « On a Collision Course ? », Weekly Review,, March 30, 1990.

Au Cameroun, les premières revendications, bien que spectaculaires, ont été précipitées, sporadiques, et les mouvements politiques restent encore très peu organisés. Comme l’explique Célestin Monga, à propos du silence des figures de l’opposition face aux limites des réformes législatives, en novembre et décembre 1990, « aucun des partis déclarés n’est actuellement prêt à engager une bataille sérieuse, à l’échelon national, avec le parti au pouvoir : ceci à cause de l’absence ou de la faiblesse de leurs structures de mobilisation, du manque de moyens financiers, de la rareté de leurs supports de communication et d’une médiocre organisation interne »1. Après le coup d’éclat du SDF2 en effet, d’autres partis se sont crées, notamment le Mouvement Social pour la Nouvelle Démocratie (MSND) de Yondo Black, le Front Démocratique du Cameroun (FDC), émanant de l’UPC non-marxiste en exil et d’autres formations, l’Union Nationale pour la Démocratie et le progrès (UNDP) de l’ancien ministre Bello Bouba Maïgari également en exil, tandis que l’UPC s’est remise ouvertement en activité au Cameroun, minée par les rivalités autour de cette appellation prestigieuse3. Certains de ces partis se sont organisés au sein d’une Coordination des partis d’opposition, créée en octobre 1990. Le SDF, de son côté, gagne progressivement du terrain à l’Ouest du pays, dans les provinces du Nord et du Sud-Ouest, anglophones et dans celle de l’Sud-Ouest, mais ne joue pas encore de rôle national en 1990. Selon un journaliste de Jeune Afrique, en novembre 1990, l’ébullition partisane n’inquiète nullement le pouvoir camerounais. Il note : « pendant que la pression policière et para-policière reste capable de contenir les oppositions dans les limites de conciliabules d’intellectuels et de quelques explosions sporadiques de mécontentement, il appartient au RDPC d’occuper le terrain »4. En effet, la relations entre ces mouvements et les gouvernements soulignent des capacités différenciées de résistance et de négociations de ces mouvements.

B . C o e r c i t i o n e t r é f o r m e s :

l a f o r m a t i o n d e n o u v e a u x c a d r e s d ’ a c t i o n

Depuis l’indépendance, les gouvernements kenyans et camerounais ont usé, de manière variable, de la coercition comme l’un des ressorts de leur pouvoir. Parallèlement, l’instrument juridique a été largement utilisé pour imposer certains comportements et pour en justifier d’autres. Ces deux piliers, violence et droit, sont donc les outils majeurs du pouvoir face aux éléments qui ne

1 « L’enjeu des libertés », Jeune Afrique Economie, N°139, janvier 1991, p. 75-77.

2 Voir son « programme » dans Le Messager N°206, 22 novembre 1990.

3 Voir « Les grandes manœuvres des oppositions », Jeune Afrique, N°1558, 7-13 novembre 1990 ; Le Messager, N°203, 30 octobre 1990, Le Messager, N°206, 22 novembre 1990.

s’inscrivent pas dans le système de régulation clientéliste1 ou le contestent. Tous deux ont été manipulés ici : le premier, de façon identique dans les deux pays (1), le second de manière différenciée (2). Ces réactions gouvernementales sont importantes car elles marquent le début d’une vague de protestations, et vont donc donner des indications aux acteurs sur les stratégies et les discours possibles, sur la tolérance du régime, sur ses capacités de coercition et de négociation.