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I Les démarches qualité en santé ou concilier soins et rationalisation du système de santé : une multiplicité de figures

2. Principes et caractéristiques des démarches qualité

2.1 La rhétorique de la qualité

2.2.1 Retour sur l’évolution des démarches qualité

Selon F. Mispelblom Beyer (op. cit., 1999, p 45), les démarches qualité commencent réellement sous l’impulsion de F.W. Taylor qui, en systématisant un ensemble de méthodes à valeur universelle, réunit les conditions de leur apparition. La mise en place d’agents de vérification de la qualité du produit, la création de méthodes, le développement du métier d’ingénieur-conseil, tels sont les éléments qui ont contribué à l’arrivée des démarches qualité, même si Taylor était plus intéressé par la diminution des coûts que par la qualité finale de ses produits. Petit à petit, la simple vérification des produits s’étend à l’ensemble de la production et ne se contente plus de son étape finale. Le recours aux statistiques aboutit à la première assurance qualité, la qualité statistique, fruit de l’élaboration d’un savoir spécialisé, qui vise aussi bien à contrôler la production qu'à rassurer le client. En effet, la qualité devient un idéal destiné à inspirer la confiance chez le client ; elle devient un argument publicitaire.

Le champ de la qualité s’organise avec la formation d’ingénieurs-conseils, la création d’associations nationales et internationales délivrant des certifications de qualification. La multiplication des démarches qualité est en marche : qualité statistique, qualité commerciale axée sur le marketing et la clientèle, qualité économique tournée vers le traitement des coûts et enfin la qualité totale qui se présente comme « une réponse absolue à la totalité des besoins des clients, de l’entreprise et de ses partenaires »7 (op. cit., p 55). La concurrence japonaise, les apports de T. Ohno avec la volonté, dans le cadre du zéro stock, de pousser à une intervention constante des opérateurs dans l’amélioration des processus, sont autant d’éléments qui chamboulent les pensées européennes et américaines. Les cercles qualité, par exemple, sont avancés comme une forme d’accroissement de la participation du personnel dans l’entreprise. En France, ils trouvent leur apogée dans les années 1980 pour ensuite décliner sous l’effet de diverses critiques : d’un côté, ils pouvaient apparaître, en adéquation avec les lois Auroux, comme lieux d’expression des salariés mais de l’autre, ils court- circuitaient les organisations syndicales qui les ont vus d’un mauvais œil. Cependant, l’élément le plus décisif resta la déception des salariés face à un processus qui leur promettait de tout changer et qui suscitait fort peu de changement.

Malgré cela, un nouveau contexte prend forme qui va pousser à une prise en compte plus grande des démarches qualité. Selon Mispelblom Beyer, le recours aux sciences sociales et

7 Citant HERMEL P., 1989, Qualité et management stratégique, du mythique au réel, éditions D’organisation,

33 humaines dans les formations techniciennes des dirigeants et des ingénieurs va introduire une vision moins mécaniste du management. La globalisation des marchés et leur internationalisation requièrent la mise en place de standards délocalisés. En France, l’Association Française de Normalisation (AFNOR) fixe des standards dans toute sorte de domaines en interaction de plus en plus étroite avec l’International Standard Organisation (ISO) qui impulse ce processus à un niveau international. C’est ainsi qu’à la fin des années 1980, la qualité prend la forme des normes ISO 9000 sur lesquelles s’appuient les démarches d’assurance de la qualité. Dans cette recomposition, l’AFAQ (Association Française pour l’Assurance de la Qualité) est constituée pour distinguer les rôles de producteur de normes et de vérificateur de leur application. Au milieu des années 1990, le nombre d’entreprises certifiées s’est mis à croître de manière exponentielle8.

S. Olivesi (op. cit., 2006) attribue l’engouement pour ces démarches à plusieurs facteurs. Ce phénomène, irréductible à un effet de mode, revient à l’action convergente des pouvoirs publics (la CEE qui notamment a impulsé la généralisation des normes ISO, ou encore le Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie) et des grands groupes industriels afin de promouvoir la qualité. Les organismes de certification et les cabinets conseils ont également participé à leur promotion, « ce qui n’a pas manqué d’être pour eux une source importante d’activités et, en conséquence de profits » (ibidem p 164). Les autres facteurs de ce succès reposent sur le développement de nouveaux systèmes de management basés sur la formalisation des procédures et sur la responsabilisation des salariés par l’imputation des dysfonctionnements qui altèrent la production. « En d’autres termes, elle satisfait la volonté des directions d’entreprise dans leur souci permanent de réduire et d’éliminer l’incertitude » (ibidem p 165), en plus de réduire les coûts de non-qualité. Selon P. Laurens (Laurens, 2000), l’évolution de la gestion de la qualité dans les entreprises s’est manifestée par un double déplacement : 1°) le passage progressif d’un contrôle portant essentiellement sur les produits à une maîtrise des processus de production, 2°) une mutation du management qui va de la séparation entre ceux qui produisent et ceux qui contrôlent à une implication de plus en plus forte des producteurs dans les activités de contrôle (auto-contrôle) et de maîtrise des processus. Les démarches qualité vont bien au-delà du contrôle des produits proprement dits, « celles-ci participent en fait à de véritables démarches d’organisation en vertu d’un principe

8 Pour un panorama de l'intégration des démarches qualité en France, selon leur distribution par secteur, par taille

d'organisation ainsi que l'évolution de la structure organisationnelle (niveaux hiérarchiques, répartition des responsabilités) entre 2003 et 2006, voir l'article de N. Greenan et E. Walkowiak (2010)

34 de causalité positive : le produit sera de qualité si l’organisation de la production est maîtrisée » (Laurens, 2000, p 243).

Ce bref retour chronologique sur l’évolution des démarches qualité nous a permis de mettre en lumière l’instauration progressive de processus et de méthodes impulsés par les exigences économiques locales et globales. Intéressons-nous plus en avant à ces nouvelles formes de travail.

2.2.2 Normalisation, évaluation : conséquences des enjeux de

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