• Aucun résultat trouvé

II La certification en santé : concilier approche globale et approche locale de la qualité, un travail d'organisation

3. Spécificité de la certification et enjeux 1 Une application difficile

3.2 Incidences organisationnelles de la certification: réinterroger l'organisation ou la question de la norme

3.2.1. L'appropriation de la certification ou jouer avec les normes

La certification, nous l'avons vu, s'appuie sur un référentiel normatif, par lequel elle édicte la manière dont les pratiques doivent être encadrées, codifiées, normalisées. Iazykoff (Iazykoff,

57 2004), sociologue, met en avant la "relativité" de l'appropriation de la certification, selon les configurations organisationnelles. En observant deux types d'organisation, il souligne combien la certification peut prendre des significations différentes. Pour l'une, la certification repose sur la caution des établissements et a pour but d’améliorer l’organisation ; pour l'autre, l’obtention de la certification s’apparente plus à un jeu d’écritures qu’à une volonté réelle de transformer l’organisation. Les modalités de pilotage de la certification, de même que son application, s'inscrivent dans des contextes de fonctionnement, de relations professionnelles internes différentes. La certification est alors le fruit de la tension entre deux mouvements : celui d'une gestion participative du changement visant à responsabiliser les acteurs de l'entreprise et celui d'une réduction des coûts et l'atteinte d'objectifs. Le défi des organisations, par rapport à la certification, serait alors de concilier ces visions plurielles, selon l'auteur. La certification est cette occasion pour les employés de prendre la parole mais également de jouer avec les normes : « avec la certification, il apparaît clairement que les salariés se saisissent autant des normes qu’ils sont saisis par elles, dans la mesure où des stratégies de résistance, de contournement et d’appropriation des normes, se forment à partir d’enjeux définis dans l’immédiat par les réalités du travail au quotidien » (Iazykoff, ibidem). La certification travaille l'organisation tout autant qu'elle est travaillée par cette dernière.

La certification, en promulguant un cadrage de la mise en place de dispositif qualité au sein des établissements de santé, impose une forme d'encadrement de la pratique, qui repose sur une forme de normativité distribuée, par laquelle le personnel est amené à édicter ses propres règles.

La mise en mots des pratiques quotidiennes se traduit par une montée de l’écrit par laquelle l’ensemble des opérations sont consignées et codifiées dans des documents. « La production normative qui accompagne les normes ISO 9000 a ceci de particulier qu’elle s’élabore et prend forme dans et par une écriture collective » (Cochoy et al., 1998, p 674). L’organisation s’inscrit dans une forme de « normativité distribuée » (ibidem) par laquelle les producteurs de règles et ses destinataires se retrouvent du même côté. Prenant l’exemple d’une entreprise spécialisée dans le traitement des déchets industriels, Cochoy et al., s’attachent à caractériser ce phénomène de glissement massif de l’oral vers l’écrit, qui s’accompagne d’un changement de management passant d’une organisation autoritaire et paternaliste à un mangement plus participatif fondé sur la consignation et la codification des activités ainsi que leur explicitation. L’écrit ne naît pas avec l’arrivée des normes ISO, mais ces traces viennent s’ajouter à celles déjà préexistantes, constituant un double référentiel. La particularité des

58 traces suscitées par les démarches qualités et la normalisation réside, moins dans sa quantité, que dans sa systématicité, sa périodicité mais aussi son caractère réflexif et cadré. Par rapport à ces pratiques d’écriture, l’enjeu de l’ISO 9000 est moins le passage d’une organisation orale à une organisation écrite mais une remontée de l’oral via leur écriture systématique. Les opérations d’écriture ne sont plus réservées aux seuls cadres ou intermédiaires et s’étendent au reste de l’organisation. Cette systématisation élargie s’accompagne d’une réévaluation permanente, dans une forme d’écriture perpétuelle de l’organisation. L’écriture s’étend dans l’espace et dans le temps.

Cette généralisation de l’écriture engendre une codification réflexive. Avant les documents n’avaient d’intérêt qu’au moment de leur production ou de leur transmission, les démarches qualité, à l’inverse, en rendant les savoirs publics, engendrent un usage réflexif de ces savoirs. Les savoirs individuels et singuliers sont mis à disposition de l’organisation, ce qui donne aux acteurs l’occasion d’expliciter leurs pratiques, de les coordonner, d’apprendre. Ecrire les normes, ce n’est plus écrire dans l’entreprise mais pour l’entreprise, ce qui n’est pas sans engendrer des reformulations (tout n’est pas bon à dire) et des anticipations (anticiper l’audit). Ecrire les normes c’est également écrire avec l’entreprise : « dans ces conditions, mettre en œuvre la norme, c’est organiser des réunions, déplacer des gens, mettre tout le monde autour d’une table, dans une salle : la montée de l’écrit s’accompagne, à la fois, d’une remontée de personnes (qui obtiennent un accès symbolique à des lieux qu’ils ne fréquentaient pas) et d’une remontée de paroles (qui retiennent l’attention d’un management qui n’y prenait garde) (Cochoy et al., 1998, p 686). Toutefois, ce processus participatif ne se réalise pas sans la contrainte de cadres : celui du dispositif ISO, celui de l’animateur de la réunion et celui de l’encadrement. Ainsi, si le personnel d’une certaine autonomie concernant les contenus, ils restent dépendants d’obligations de forme. Car le jeu de l’écriture est stratégique, la mise en place des ces normes ISO redistribuent les cartes dans l’entreprise car elle sous-tend que chacun redéfinisse sa place au sein de l’organisation. La relation qui se noue entre la norme, la Direction, et les employés qui rédigent ces normes. Dans ce « pacte normatif » (ibidem p 696), ce qu’il est alors important de saisir c’est cet espace de parole, entre négociation et coproduction.

Le rapport à l’action est rendu plus complexe pour l’individu dans la mesure où les acteurs doivent en définir les règles. Nous l’avons vu, l’élaboration de la norme n’est plus le monopole du seul manager. Comme le soulignent Cochoy et de Terssac (op.cit., 1999), des démarches qualité naît un paradoxe pour l’employé : « Les encadrés voient leur auto-nomie

59 reconnue : ils sont reconnus dans leur capacité de produire leurs propres règles d’action. Le paradoxe est ce que cette auto-nomie est octroyée pour se contraindre, c’est-à-dire produire des règles de contrôle » (op.cit., p 10, en italique dans le texte). Dans cette configuration, l’individu se retrouve à gérer plusieurs configurations de normes, celles établies par le collectif, celles générales provenant d’instances externes à l’organisation, auxquelles viennent s’ajouter les impératifs locaux (tels que l’initiative, l’adaptation, la productivité). Ainsi, l’individu est appelé à gérer différents niveaux de plusieurs natures (politique, gestionnaire, opérationnelle, relationnelle…). Cette gestion de ces intrications aboutit parfois à une gestion des contradictions. M-A. Dujarier (Dujarier, 2008) montre dans quelle mesure les principes de rationalisation se combinent à la prescription d’une organisation idéale, un idéal devenu norme opérationnelle. Cet idéal occulte les contradictions, et tout le travail des individus reposerait sur une injonction à trouver des solutions aux contradictions entre les normes imposées. L’autonomie relèverait donc plus d’une capacité à « prendre sur soi » la norme d’idéal et son écart avec le possible. Ceci suppose des arbitrages, des formes de (dis)simulation (le travail accompli sera toujours insuffisant au regard de l’idéal). Ainsi, le travail de simulation (« produire des signes visibles et rassurants d’atteinte de l’idéal ») s’ajoute au travail productif réel.

Un des extrêmes qui a pu être constaté dans le rapport de l’individu, mais aussi de l’organisation, à la norme est de considérer cette dernière non plus comme un moyen mais comme une finalité, par exemple appréhender la certification en tant que but et non en tant qu’outil pour faire évoluer l’organisation. Lambert et Ouedraogo (Lambert, Ouedraogo, 2010), gestionnaires, distinguent deux dimensions dans la norme : celle « ostensible » de la norme qui force à suivre une démarche (conformités à la norme) et le résultat de cette mise en œuvre (dimension « performative »). Reprenant Cochoy et al. (op. cit.,1998), ils insistent sur la nature des normes ISO, notamment en tant que norme organisationnelle et procédurale, pour souligner qu’elles s’apparentent à un contrat type inachevé dont les clauses portent sur l’art et la manière de le compléter. Ainsi, l’interprétation et la mise en œuvre des normes diffèrent d’une entreprise à une autre et c’est cette dimension, entre interprétation stricte, interprétation souple, interprétation faible, voire interprétation pour interprétation (en ne faisant jouer que le caractère ostensible de la norme), qui déterminera de la nature de l’apprentissage qui découle de ces processus. Il est ainsi important d’envisager le rapport à la norme dans ce que la norme représente pour les individus et dans quelle mesure elle fait varier des jeux d’interprétation.

60 En analysant les réunions de certification, nous assistons à un double processus de normalisation : 1°) une normalisation externe, par laquelle l'établissement se conforme aux exigences de la HAS en s'auto-évaluant et en mettant un place un dispositif qualité, 2°) une normalisation interne, qui repose sur la mise en place du dispositif qualité requérant alors une réflexion autour de l'encadrement des pratiques, de leur codification et de leur évaluation. Nous chercherons à saisir ces deux mouvements. De plus, les figures de la qualité gestionnaire et morale réinterrogent la qualité en tant qu'idéal. Similairement aux interrogations de M-A. Dujarier, nous pouvons nous demander comment cette rhétorique de l'idéal est mise en tension entre ces figures potentiellement antithétiques et par les mouvements de conformité ou non à la certification performés lors des réunions ?

Outline

Documents relatifs