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Normalisation, évaluation : conséquences des enjeux de formalisation et de standardisation

I Les démarches qualité en santé ou concilier soins et rationalisation du système de santé : une multiplicité de figures

2. Principes et caractéristiques des démarches qualité

2.1 La rhétorique de la qualité

2.2.2 Normalisation, évaluation : conséquences des enjeux de formalisation et de standardisation

Garantir au client qu’il sera satisfait nécessite, selon une logique gestionnaire, de stabiliser les processus, une stabilisation qui passe par une standardisation et une normalisation qui ne peut être assurée que par l’évaluation. Le premier objectif des démarches qualité est bien sûr économique, dans la recherche d’une meilleure compétitivité dans un contexte de concurrence de plus en plus forte. Il s’agit de produire mieux, soit le moins cher possible, des produits répondant aux demandes supposées du marché. La volonté de diminuer les coûts de production s’est traduite en une recherche de réduction des coûts de non-qualité. « En mettant l’accent sur la prévention des dysfonctionnements et pertes de toute nature, les démarches qualité visent, à travers l’implication des personnels auxquels elles prétendent restituer la responsabilité du travail bien fait, une optimisation de la production » (Laurens, 1999, p 27). Dans cette optique, deux types de management sont développés : l’assurance qualité et le contrôle de la qualité totale.

La qualité s’est d’abord développée selon une approche techniciste basée sur le contrôle des produits. Il s’avère insatisfaisant pour plusieurs raisons : il est de plus en plus coûteux et de mois en moins efficace compte tenu de la complexité des produits, il n’évite pas les défauts, il repose sur une organisation du travail qui s'appuie sur la division entre ceux qui conçoivent le travail et ceux qui l’exécutent, une approche taylorienne dont on a montré les limites. Pour prévenir la non-qualité, l’organisation doit donc être capable de fiabiliser l’ensemble de la production. C’est ainsi que naît le concept industriel d’ « assurance qualité ». L’objectif était d’organiser une prévention méthodique et systématique des causes de non-qualité en introduisant des procédures rigoureuses de travail, avec notamment l’exigence d’instructions écrites, aboutissant à un certain formalisme. « Si bien que cette assurance qualité « originelle » s’apparente fort au contrôle classique, si ce n’est qu’elle porte plus sur les procédures que sur le produit lui-même, ce qui n’est pas moins contraignant, au contraire car l’opérateur peut se voir retirer toute marge d’initiative » (ibidem p 34). L’assurance qualité

35 repose sur le principe que l’organisation doit se donner les moyens de piloter le processus de production. Pour cela, elle repose sur :

‐ l’identification et la formalisation des processus, des actions qui y participent et des responsabilités respectives des acteurs, notamment par la mise en œuvre d’une documentation actualisée,

‐ l’utilisation d’indicateurs qui permettent de piloter le processus et de mettre en œuvre des actions correctives si besoin est,

‐ la mise en place d’audits qui permettent de maintenir le système, de l’ajuster et de l’améliorer.

De plus, la qualité repose sur un besoin de confiance dans la capacité des entreprises à satisfaire les clients. Les donneurs d’ordre exigent de leurs fournisseurs des dispositions visant à assurer cela. Devant la multiplication de ces exigences et leur diversité, un ensemble de normes sont élaborées par la communauté internationale – les normes ISO 9000.

Le contrôle de la qualité totale apporte une évolution dans la conception du mangement en affirmant que la qualité ne doit pas relever du strict domaine de compétence des ingénieurs pour devenir l’affaire de tous dans l’organisation. Il s’agit de mobiliser l’ensemble du personnel ; la qualité totale s’appuierait sur un management participatif qui promeut la responsabilité et l’adhésion de tous à un objectif commun, l’excellence. Elle repose essentiellement sur le travail de groupe ; les cercles qualité en furent un des modes principaux.

Plusieurs critiques ont été énoncées à l’encontre des démarches qualité. La qualité, par exemple, peut avoir des effets contre-productifs : le rapport entre les coûts de qualité et les coûts de non-qualité se présente parfois au détriment de la qualité. De plus, la qualité peut être considérée comme un facteur de rigidification de l’organisation, dans une volonté de « subordonner l’organisation réelle à l’organisation formelle » (Olivesi, 2006, p 166). Une formalisation trop poussée ferait perdre de sa capacité de réaction à l’entreprise. L’allongement du temps imparti au respect des procédures, ainsi que la démotivation des employés face à la complexité de certaines procédures ou à l’impossibilité de gérer les contradictions entre règles prescrites et leur application viennent s’ajouter aux critiques déjà énoncées. Enfin, un dernier élément marque le paradoxe selon lequel ces démarches mettent l’accent sur les moyens plutôt que sur les fins, sur le processus de production plutôt que sur le produit fini. Or, le respect de la qualité ne garantit pas que le produit fini sera d’une qualité parfaite. La qualité s’éloigne du produit pour être rattachée au système de management. D.

36 Segrestin (Segrestin, 1997) souligne le caractère inédit de cette démarche qui opère par « la qualification des producteurs et non plus par celui de la qualification des produits » (p 553). L’apparition de normes générales de gestion à prétention universelle, qui concernaient l’ensemble du management de l'organisation indépendamment de la nature des firmes, opérait un changement notable par rapport aux normes techniques traditionnelles singulières cantonnées à des zones spécifiques de l’organisation. L’auteur en démontre le paradoxe : malgré ce glissement d’objet de la qualification, il a été conservé les règles d’application des normes traditionnelles.

Formalisation, évaluation, mesures correctives, indicateurs, nous retrouvons ici le logos gestionnaire analysé par V. Boussard. La formalisation se décompose ainsi selon deux versants (Olivesi, 2006, p 170) : le premier consiste à déployer un système permettant de suivre, de contrôler, de mesurer ; le second vise à expliciter les procédures en usage, à travailler les points susceptibles d’être améliorés et à formuler des règles. Le travail d’amélioration et de contrôle des procédures repose sur un travail réflexif consistant à générer, expliciter les règles. L’ensemble des informations issues de ces mouvements participent d’une rationalisation de l’organisation.

Dans cette sous-partie, nous avons déterminé les spécificités de ce mode de management que sont les démarches qualité. Nous avons relevé une première utilisation de la notion de qualité, en tant que principe d'action, jouant sur une rhétorique de la satisfaction du client et sur une maîtrise organisationnelle de l'activité. Sous couvert de quelles nécessités ce mode de management par la qualité, issu à l'origine du monde industriel, a-t-il été mobilisé dans le domaine de la santé ? Dans quelle mesure sa mise en place, au regard de son objet particulier d'application – les pratiques soignantes – fait-elle, dès lors, de la notion de qualité une notion polymorphe et un sujet sensible quant à la redéfinition de l'activité hospitalière ?

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