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II La certification en santé : concilier approche globale et approche locale de la qualité, un travail d'organisation

3. Spécificité de la certification et enjeux 1 Une application difficile

3.2 Incidences organisationnelles de la certification: réinterroger l'organisation ou la question de la norme

3.2.2. La certification : un exercice d'introspection ?

La certification, par l'exercice d'auto-évaluation et par la mise en place d'un dispositif qualité, favorise un travail de l'organisation qui relèverait d’un véritable « exercice d’introspection », selon Paccioni et Sicotte (Paccioni, Sicotte, 2010), qui conduit l’établissement à revoir l’ensemble de ses règles et procédures de fonctionnement. La certification serait alors un instrument de changement culturel qui s’appuie sur l’auto-évaluation et l’autorégulation aux fins d’amélioration continue de la qualité des services offerts aux usagers. Elle pourrait être un outil de contrôle idéologique qui vise à instaurer des pratiques de gestion de la qualité totale par le biais d’une gestion de la culture (au sens de « valeurs fondamentales, inventées, découvertes ou développées par un groupe donné » – les auteurs s’appuient sur la définition de Schein issue de Organizational culture et leadership de 1992). Les résultats de leur étude tendent à montrer que le processus de certification est considéré, par les professionnels, comme un vecteur d’échange et de participation. Il influerait sensiblement sur la perception des participants quant à l’organisation dans laquelle ils évoluent. Sont également soulignés les efforts des gestionnaires pour abattre les barrières professionnelles au nom du service à la clientèle. Toutefois, la portée des processus de certification sur les représentations du personnel à propos des démarches qualité reste limitée, par son caractère ponctuel, par un engagement partiel du personnel, par l’implication d’une partie seulement du personnel. L’intégration de la culture qualité dans la culture du personnel est loin d’être systématique et suppose une mobilisation du personnel relativisée par les principes véhiculés par la certification. Cette évolution, dans la mesure où elle s’avère circonscrite aux équipes de projet, met de côté une grande partie du personnel qui reste profondément étranger à cette

61 culture. La certification implique un changement d’organisation qui travaille les structures, les métiers, les formes de coordination et les valeurs.

Les réunions de certification sont les prémices d'un travail d'introspection plus approfondi qui aura lieu lors de la mise en place concrète du dispositif qualité. La certification se présente comme une première étape de retour sur les pratiques. La mise en place d'un dispositif qualité prolonge cette 'extraction des savoirs collectifs. La normalisation, en effet, vise à garantir au client le respect d’un ensemble de règles. Elle est donc associée à un système de production de preuves apte à montrer l’engagement de l’entreprise, c’est la traçabilité, qui repose sur cette formalisation écrite que nous avons déjà mise en avant. Cette traçabilité repose sur une extraction des savoirs. Elle peut amener à une clarification des zones de responsabilité et peut représenter une forme de reconnaissance des savoirs des opérateurs qui ont été consultés et sollicités collectivement pour la rédaction des procédures. Campinos-Dubernet et Marquette (Campinos-Dubernet, Marquette, 1999) soulignent combien la circulation des savoirs et leur consignation peuvent donner des armes au collectif en reconnaissant les savoirs, en capitalisant la somme des compétences sur l’organisation, en permettant une formation rapide des plus jeunes. Les procédures sont aussi d’autonomie dans la mesure où les opérateurs ne sont plus forcément obligés de recourir à l’encadrement pour corriger un dysfonctionnement. La procédure est alors considérée comme un moyen de coordination et d’anticipation de l’activité de ceux avec lesquels on doit coopérer. Ce processus réflexif est développé par cette exigence de la « mise en traces » (ibidem p 93) à des fins de preuves à apporter au client. Le recours à l’écrit introduit un effet de mise à distance et un travail rétrospectif sur le procédé – sans toutefois garantir que ces traces seront nécessairement utilisées. La trace permet donc une sédimentation de l’expérience. La constitution de traces suppose également la sélection de « descripteurs », une réflexion sur ce qui est à donner à voir – et Cochoy et al. de rajouter une sélection de scripteurs (op. cit. p 688) (on n’écrit pas de la même manière et l’on n’écrit pas les mêmes choses suivant qui l’on est). La normalisation, par les exigences de traçabilité, génère ainsi un accroissement de la codification, de la standardisation qui repose sur une formalisation des savoirs tacites ainsi qu'une rationalisation et une redéfinition des savoirs explicités (sélection des savoirs). La normalisation de la qualité peut donc aboutir à différentes situations selon les configurations organisationnelles dans laquelle elle s’inscrit : au pire, elle fossilise les savoirs, désengage le travailleur, au meilleur, elle permet une maîtrise accrue des procédés. La description des activités faciliterait la construction de nouveaux repères entre les différentes populations d’activités, aboutissant à la formation de

62 représentations partagées se conciliant avec les visions locales. Néanmoins, la pertinence de ces partages de savoirs est à nuancer : si l’ISO permet de rendre l’organisation plus lisible, elle n’a pas le pouvoir de la transformer (Campinos-Dubernet, Jougleux, 2003). Les changements qui seraient nécessaires, ne peuvent avoir lieu si le mangement n’en prend pas la décision. La normalisation dépend fortement des configurations organisationnelles.

La circulation des savoirs redistribue la connaissance dans l’organisation. Elle permet à chacun de connaître les activités des autres, de se connaître également en menant une démarche d’explicitation de ses activités, de se faire connaître auprès des autres. Cependant, recueillir des traces n’implique pas une réflexion active sur leur sujet. Cochoy et de Terssac (Cochoy, de Terssac, 1999) proposent à ce sujet d’établir une distinction entre traçabilité – « la consignation écrite des actions singulières » - et la mappabilité – « l’intelligence des traces, l’exploitation méthodique et réflexive de ce qui est recueilli » (ibidem p 11). Alors que la traçabilité en resterait à l’identification occasionnelle des causes spéciales, la mappabilité se traduirait dans une analyse et gestion des causes premières, des défauts d’organisation en amont, souvent laissés dans l’ombre. Cela permettrait de s’attaquer aux défauts mêmes du système. Il s’agit de dépasser un enregistrement des pratiques, simple constat, pour engager un travail rétrospectif, afin d’aboutir à une « intelligence organisationnelle ». Lambelet, psychosociologue, (Lambelet, 2008), prend le cas d’un centre de formation et, montre comment d’une logique de programme à une logique de projet, en libérant un espace de prise d’initiative, en restituant aux acteurs un statut de sujet, les formateurs, éducateurs et apprenants ont considéré qu’ils pouvaient prendre part aux choses. Ceci a développé une dynamique réflexive forte sur la base de partage d’expériences, d’échanges et de confrontations de point de vue, menant à une forme de régulation conjointe.

Les réunions de certification que nous avons observées préparent à ces phases de traçabilité, de formalisation des pratiques. Nous ne les constaterons donc pas de manière directe mais nous tenterons de comprendre comment ce processus d'auto-évaluation encourage ou non à un retour réflexif sur les pratiques des participants, et de quel ordre il relève. La certification se présente comme une première phase de questionnement de l'organisation au regard de référentiels externes. Réinterroge-t-elle les activités du personnel et cela amène-t-il à des formes d'échanges ou d'extraction de savoirs ? La mise en place d'un dispositif d'encadrement des pratiques génère-t-elle forcément une interrogation des pratiques ? Dans quelle mesure les figures morale et gestionnaire de la qualité participent-elles d'une redéfinition des pratiques (qu'est-ce qu'une pratique de qualité par exemple) ?

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3.2.3. Réinterroger les identités au travail : confrontation de logiques et

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