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L'approche de Montréal ou analyser le faire sens : premiers éléments pour fonder notre approche

II La certification en santé : concilier approche globale et approche locale de la qualité, un travail d'organisation

1. Une confrontation de figures : le travail d’organisation dans sa dynamique

2.4 L'approche de Montréal ou analyser le faire sens : premiers éléments pour fonder notre approche

Nous rejoignons L. Quéré (1988) dans sa définition de la communication, ou plutôt des processus communicationnels : « J'entends interactions communicatives dans le sens suivant : il s'agit des interactions dans lesquelles les ajustements réciproques que les partenaires effectuent pour organiser ensemble un cours d'action sont régulés par une production interne d'intelligibilité et d'assignabilité, donc par des opérations de compréhension, d'interprétation et de communication » (Quéré, 1988, p 78). Ce que Quéré met, à nos yeux, au centre de son raisonnement est la question du faire sens, et dans quelle mesure les processus de communication se présentent comme des processus par lesquels les acteurs créent de la signification mais également orientent et ajustent – nous dirions "régulent" – ce sens.

Saisir ces jeux de faire sens est au centre de nos préoccupations. Nous entrevoyons la certification comme dispositif instiguant des processus communicationnels particuliers (que sont les réunions de certification) au cours desquels la certification est elle-même rendue signifiante et régulée. La certification est alors ce jeu de traduction et de reconfiguration de figures, de texte global et de texte local de la qualité. Dans cette optique, l'approche de Montréal nous aide à conceptualiser ces formes d'ajustements et de signification.

L’approche Montréalaise - principalement les écrits de Taylor et Van Every, Giroux, Robichaud, Cooren, Vasquez - s’inspire des travaux sur le langage d’Austin ainsi que de l’ethnométhodologie et de l’analyse de conversation instiguée par Sacks et Schegloff (Sacks et al., 1974) pour mettre en avant la dimension organisationnelle de la communication. Le langage dans sa dimension performatrice n’est pas seulement description mais aussi réalisation de l’organisation. Le langage implique aussi l'action et non seulement la représentation.

Les situations de communication, et plus particulièrement le discours, sont donc le moment durant lequel s’établissent le sens et l’action. « To form a unit of ‘organization,’people need to align their ways of dealing with the objective world, while simultaneously situating themselves within a social world. If they are simply engaged in action but are not co-oriented, they are not organized. […]Co-orientation (1) is negotiated through dialogue, (2) aims to

85 produce coordination of belief, action, and emotions with some mutually understood object, and (3) is mediated by text19 ». (Taylor, Robichaud, 2004, p 401). Le cadre théorique de cette école repose ainsi sur une vision bidimensionnelle de la communication et de l’organisation : en tant que texte, le discours est une manifestation de la capacité à faire sens des individus rétrospectivement et réflexivement ; en tant que conversation, le discours est un instrument de l’action organisationnelle et le texte est une ressource qui entre dans sa construction.

La conversation est cette activité langagière par laquelle les individus interagissent et coordonnent leurs actions. La conversation est toujours située, car elle est inséparable du contexte dans lequel elle se déroule. Taylor et Van Every (Taylor, 2006, Taylor et Van Every 2000, Taylor et Robichaud 2004, Cooren et al. 2006) soutiennent que la finalité des conversations est de permettre aux membres de l’organisation de se mettre en relation les uns par rapport aux autres par la focalisation sur un sujet commun. La notion de texte, quant à elle, renvoie à toutes les déterminations de la signification d’une interaction. Cette notion est employée dans une acception très générale, révélatrice de l’ensemble des éléments nécessaires à la fixation du sens de ces conversations, et rassemble aussi bien le contenu sémantique d'un énoncé, des interprétations d'interactions passées, des conventions mobilisées dans les interactions que les cadres physiques d'une interaction. Le texte contribue donc à décider de la signification à attribuer à l'événement de l'interaction, mais ce n’est pas tout, il permet de se dégager de l’ici et maintenant de la conversation, devenant un objet discursif qui circule au travers des multiples conversations imbriquées. Le texte a une capacité de délocalisation : il a une vie au-delà de la situation dans laquelle il a été produit. Le texte est à la fois le produit de la conversation et le scénario à partir duquel se dérouleront les conversations futures.

Le texte est ainsi cet ensemble temporairement fixe de signification. Dans une dynamique texte/conversation selon laquelle le texte n’est qu’un moment de stabilisation pour être remis en acte, réinterrogé, reformé lors des interactions L'approche de Montréal est une approche qui réhabilite la communication comme constitutive de l'organisation. Elle nous encourage alors à saisir comment, par la communication, se créent le sens et l'action. Du point de vue de notre objet d'étude, notre propos est alors de cerner le travail d’organisation à l’œuvre dans les réunions de certification au regard du travail des textes qu’il sous-tend. Identifier les textes performés, convoqués, mobilisés, nous permettrait de saisir les tensions entre figures de

19 Notre traduction : « Pour créer l’organisation en tant qu’unité, les individus ont besoin d’aligner leurs manières

de gérer le monde objectif, tout en se situant simultanément au sein d’un monde social. S’ils sont simplement engagés dans l’action sans être co-orientés, ils ne sont pas organisés. […]. La coorientation est (1) négociée à travers le dialogue, (2) a pour but de coordonner les croyances, les actions et les émotions dans une certaine compréhension mutuelle de l’objet et (3) est médiatisée par le texte ».

86 la qualité. Nous proposons d'envisager les processus communicationnels comme relevant d'un travail de textes. Analyser le travail d'organisation à l'œuvre dans la communication c'est alors analyser les jeux de régulation sur les textes.

En France, Borzeix et Fraenkel (Borzeix, Fraenkel, 2001) considèrent que « la montée de l’écrit » dans les organisations a suivi le développement des démarches qualité au cours des années 1980. Les organisations se sont donc vues imposer des normes qui introduisent une nouvelle injonction en faveur de l’écriture. En effet, l’introduction et la mise en œuvre des démarches dites qualité ont contraint les organisations à mettre en place des dispositifs d’écriture pour décrire et analyser les pratiques, repérer les problèmes, formuler des solutions puis élaborer des prescriptions. L’étude des écrits est utile pour mieux comprendre l’organisation (Borzeix et Fraenkel, 2001) ; Charasse souligne comment l’activité d’écriture contribue à façonner les dynamiques organisationnelles (Charasse, 1992, mais aussi Cochoy, de Terssac, op. cit.). Or, comme le souligne Delcambre (Delcambre, 1997), écrire n’est pas qu’une activité rédactionnelle, mais intervient dans un espace de communication. En contexte de travail, l’activité d’écriture est souvent un travail organisé, c’est-à-dire un travail appelant des échanges, des négociations, des délibérations visant à coordonner les actions, à prendre des décisions. Pour saisir ce travail d’écriture, ces reconfigurations de normes, ces reconfigurations de figures, ces reconfigurations de l’organisation, entre faire sens et normalisation, nous nous appuierons sur les travaux de l’Ecole de Montréal. Nous postulons que travail d'écriture, dont relève la rédaction du rapport d'auto-évaluation, est avant tout un travail de communication, au sens de l'Ecole de Montréal.

Nous voudrions pour finir revenir un instant sur la notion même "d'approche communicationnelle". Comme le soulignait Christian Le Moënne lors d'un séminaire à Rennes20, à propos des travaux en Sciences de l'Information et de la Communication (SIC), proposons-nous une approche communicationnelle ou est-ce notre objet qui est communicationnel ? Il est vrai que, dans notre cas, notre approche dite communicationnelle se caractérise principalement par la prise en compte des processus communicationnels comme objet d'étude. Mais peut-être est-ce cela la spécificité des SIC, la mise en visibilité des processus communicationnels en tant qu'objet d'étude ? De notre point de vue, et d'une certaine mesure c'est ce que nous essayons de faire tout au long de cette thèse, une approche communicationnelle tend à considérer les processus, par lesquels de la signification est

20 Séminaire Normes et Formes, du 27 janvier 2011, organisé par le Prefics, Rennes 2, au cours duquel était

invité Jean-Luc Bouillon pour une présentation intitulée « Questionner les rationalisations socio-économiques contemporaines : entre "formalisation organisationnelle" et "normalisation communicationnelle"».

87 générée selon des formes et des cadres particuliers, et qui relèvent de phénomènes d'ajustements qui organisent le réel. Sans résoudre pleinement le questionnement de C. Le Moënne, il nous semble alors que de parler de "processus" communicationnels et non de communication, permet d'envisager alors la communication comme une approche au sens où nous considérons cette dernière comme une clé d'entrée pour saisir de quelle manière les acteurs appréhendent le réel.

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Au cours de ce chapitre, nous avons posé les fondements de notre problématisation en exposant nos deux hypothèses de travail. Après avoir montré dans quelle mesure la certification se fondait sur une rhétorique se déclinant en figures de la qualité (morale, gestionnaire), nous avons établi le travail d'organisation que les réunions de certification pouvaient mettre en œuvre lors des réunions de certification. Notre étude sur ces processus communicationnels nous incite alors à envisager le travail d'organisation à l'œuvre comme un jeu de reconfiguration des figures de la qualité et comme un travail des textes local (approche autochtone de la qualité au sein de l'organisation) et global de la qualité (celui de la certification). Pour conclure notre phase de problématisation, nous avons souligné les apports d'une approche communicationnelle du processus de certification, et avons posé les bases qui nous permettront de mobiliser l'Ecole de Montréal en tant que cadre théorique pertinent pour saisir les modalités du faire sens au sein des réunions de certification.

Nous concluons ce chapitre sur l'intérêt d'aborder la certification selon une approche communicationnelle, qui permettra de travailler de manière dynamique les notions de figures de la qualité et de travail d'organisation. Nous ne développons pas plus ici le cadre communicationnel théorique que nous allons mobiliser, l'approche Montréalaise - nous le ferons dans le chapitre 4. En effet, dans l'optique de travailler ce cadre au regard de notre terrain, nous préférons revenir justement sur ce terrain qu'il nous faut préciser. Les deux prochains chapitres ont ainsi pour but de mettre en place tous les éléments nécessaires pour saisir le contexte, le déroulement et les enjeux des réunions de certification, pour pouvoir ensuite confrontées ces dernières à une approche théorique communicationnelle.

Ainsi le prochain chapitre, le chapitre 2, présente notre terrain d'observation ainsi que les modalités de recueil de données. Cette partie est également l'occasion de revenir sur le

88 déroulement de notre thèse, par une réflexion sur ce "terrain", qui a posteriori, fut pour nous, fortement constructeur de notre problématisation.

Le chapitre 3 se présente comme un travail d'analyse préalable nécessaire pour saisir les processus communicationnels en jeu lors des réunions de certification. Il s'agira pour nous de répondre à notre première hypothèse et de déterminer les figures de la qualité susceptibles d'être mobilisées lors des réunions. Il nous faut, en effet, avant de procéder à l'étude de ces dernières, définir les tenants et les aboutissants d'un potentiel travail d'organisation. Que se joue-t-il lors des réunions de certification ? Quel est cet ordre préalable instauré par la HAS auquel seront confrontés les participants aux réunions ? Sur quelle rhétorique de la qualité la HAS s'appuie-t-elle ?

Nous pourrons, dès lors, dans le chapitre 4, proposer de manière plus fine une approche communicationnelle du processus de certification, dans un travail réciproque théorie-terrain, en reprenant les figures et les textes définis par notre phase d'analyse préalable. Nous montrerons de manière plus précise l'apport de l'Ecole de Montréal dans l'analyse du faire sens. Nous présenterons notre cadre théorique communicationnel et la méthode d'analyse des données, que nous avons construite à partir d'un regard réciproque entre la théorie et le terrain, d'où l'importance de présenter en premier lieu ce dernier – ce qu'il est temps de faire maintenant. Notre plan présente une progression dans la problématisation, partant d'une problématique générale qui s'affine progressivement au regard du terrain et d'une analyse préalable ; nous voulons par là rendre, dans la mesure où cela est possible, la progression de notre pensée.

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Chapitre 2

Sujet et terrain de recherche : un processus de

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