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I La question du faire sens interrogée par l’Ecole de Montréal : le principe de coorientation, entre textualisation et conversation

Notre analyse a pour objet les réunions de certification, au cours desquelles, est rédigé le rapport d'auto-évaluation. Nous nous concentrons sur ces processus communicationnels par lesquels il est fait sens de la notion de qualité, de la certification et de l'organisation. Selon notre approche de la communication comme processus de création du sens et d'ajustements réciproques, et en faisant l'hypothèse que la rédaction du rapport d'auto-évaluation est au cœur d'un travail de régulation de textes et de sens, nous proposons de nous approprier de l'approche de Montréal, que nous entrevoyons comme une clé d'entrée pour saisir ces jeux de sens. Intéressons-nous en premier lieu sur cette notion de sens, et sur l'approche qu'il en est fait par les théories de la communication.

1. Avoir une approche communicationnelle du sens

Si le sens et son étude sont omniprésents dans toutes les recherches scientifiques en sciences humaines et sociales, que ce soit de manière directe ou indirecte (si l’on étudie la coopération, la négociation, les phénomènes de sens sont analysés), peu de références explicites ou de définitions de cette notion sont présentes dans les écrits en communication. Il est plus souvent fait référence à des postulats méthodologiques et ontologiques sur le sens (interprétativisme, constructionnisme par exemple) et leur rapport à une construction de la réalité qu’à une

194 définition précise. Le sens est partout, omniprésent, sous-entendu, fondamental. De ces postulats sur le sens, naissent des approches méthodologiques différentes.

1.1 Communication et sens : deux notions intrinsèques

Communication et sens sont deux notions intrinsèquement liées puisque l’une suppose l’autre. E. Dacheux (Dacheux, 2004) énonce que la communication est « la co-constitution incertaine d’une signification ». Il fait d’ailleurs remarquer que la signification se co-construit même lorsque la valeur informative des mots disparaît ; dire « non » indique un refus, le répéter plusieurs fois enrichit cette communication (en montrant sa détermination) alors que la valeur informationnelle des « non » supplémentaires est nulle. L’auteur fait de la communication un phénomène de compréhension, citant A. Mucchielli « La communication des acteurs sociaux est fondamentalement un phénomène de sens)» (ibidem, p 62). Cela soulève trois points : par la relation aux autres, se construit l’identité ; la communication est interprétation (le sens n’est pas donné une fois pour toutes par le signe ; ce que l’on veut signifier n’est jamais ce que l’on comprend) ; la communication n’est pas une solution, c’est un problème de construction de sens qui dépend fortement du contexte dans lequel il s’effectue. En conclusion, la communication « est une activité humaine de compréhension réciproque qui ne fait sens qu’à l’intérieur d’un contexte donné » (ibidem, p 70). La vision d’E. Dacheux énonce finalement que s’il y a communication, il y a sens ou plutôt problème de sens. « Le sens reçu par chacun est toujours une co-production » (Bougnoux, op. cit., p 41). Le sens est pour l’auteur un défi : si le mot sens enchevêtre trois définitions, celles de signification, sensibilité, direction, c’est bien qu’il ne suffit pas de partager entre émetteur et récepteur le même code, encore faut-il toucher « en puisant aux couches indicielles de la sensibilité » (p 41) et surtout ouvrir une perspective au-delà des mots. Ainsi, la définition de D. Bougnoux relie une nouvelle fois communication et sens. Le sens ne devient pleinement effectif que s’il répond à des fonctions communicationnelles de relation, de partage, d’échange et de communion.

Si la communication se définit par une co-production de sens, elle ne peut se concevoir sans les interactions qui la supportent. L’interaction est le lieu où s’élaborent des significations et connaissances. Adopter une approche interactionniste c’est ainsi considérer que ces dernières émergent des situations dans lesquelles elles sont ancrées (Grosjean et Bonneville, 200956).

Dans une perspective plus organisationnelle, il s’agit de concevoir l’intercompréhension

56 Dans ces travaux, les auteurs mettent l’accent sur la plurisémiocité de la communication (discours,

matérialité) et dans quelle mesure des processus tels que la remémoration relèvent d’acteurs hétérogènes, qui contiennent l’interaction tout en la reliant à d’autres.

195 comme étant au cœur du processus de communication organisationnelle. De nombreux auteurs soulignent la place de la communication, et plus particulièrement du langage (Gramaccia, 2001, Borzeix et Fraenkel 2001, Taylor op. cit.) dans le processus de construction de sens au sein d’un collectif (négociation, articulation, consensus, distribution de l’information en sont des thématiques).

Il n’est toutefois pas possible d’évoquer la construction de sens sans prendre en compte ses possibles orientations. Nous faisons ici allusion à la dimension politique ou idéologique du sens. Il s’agit de se dégager des approches qui concernent principalement les situations de communication et donc de production du sens et d’entrevoir les enjeux de phénomènes de production de sens orientés à des fins stratégiques. C’est ainsi que B. Floris (Floris, 2000) évoque les manipulations de l’information, les formes idéologiques et le recours nécessaire à la critique, notamment face à la publicité, au marketing et aux idéologies marchandes. S’il se pose la question par rapport à l’information, nous voudrions l’appliquer à la communication et au contexte des démarches qualité. B. Floris souligne que la « production de sens s'élabore sur deux plans cognitifs et normatifs interdépendants. Le plan cognitif se réfère à un savoir social accumulé et fournit les bases d'accès au sens commun. Le plan normatif se réfère à une culture qui détermine ce qui est légitime de faire ou de penser » (Floris, 2000, p 175). Dans un même ordre d’idée, V. Descombes (Descombes, 1996) établit que la notion de « significations communes » relève de deux dimensions : la communauté ne relève pas seulement d’un consensus intersubjectif mais aussi du fait qu’elles sont instituées, inculquées aux membres de l’organisation afin de rendre possible des conduites coordonnées et intelligibles du point de vue de l’organisation. Il nous semble qu’adopter une vision critique, comme nous y encourage B. Floris, revient, dans notre cas, à comprendre la part de ces deux dimensions dans le processus d’accréditation. S’agit-il d’une construction collective ou s’agit- il d’une imposition collective ?

De la tension entre les deux perspectives, se profile la question de la possibilité de la négociation du sens. Il s’agit de s’interroger sur cette possibilité cognitive, normative, et nous rajouterons sociale (la possibilité sociale du droit à la parole, de saisir l’occasion de pouvoir s’exprimer et de participer à la négociation du sens) de participer au faire sens. Cette question K. Weick, par exemple, ne se la pose pas. Certes, il faut encourager la résilience, mais le personnel est-il capable (au sens à la fois des ressources (a-t-il les ressources pour le faire ?) et de l’habilitation (peut-il le faire ?)) à participer à cette sollicitation du sens ? Sur quelle possibilité de construction de sens, la systématisation de la résilience repose-t-elle ? Et

196 inversement, comment est-il fait sens de la systématisation de la résilience ? L’accréditation pousse à une réflexivité sur l’organisation ; dans quelle mesure ce sens (en tant que " direction" et "signification") de l’organisation, objet de cette réflexivité, est-il négociable ? Construction ou imposition ? Quelle profondeur donne-t-on à la notion de « commun » dans cette soi-disant élaboration commune ?

1.2 Notre positionnement : sens émergeant et sens qui fait émerger,

la communication comme organisant

Nous allons ici nous positionner plus précisément dans notre approche communicationnelle du sens.

Nous adhérons à l’idée d’appréhender la communication comme organisante. Cela a pour conséquence de donner une dimension pragmatique à ce concept, dans le sens où toute communication est action. La communication performe la réalité organisationnelle et l’organisation. Il est alors nécessaire de comprendre comment les sujets élaborent un univers partagé et de poser l’intercompréhension comme fondamentale. Ceci se réalise principalement par le dialogue. Nous rejoignons ici les travaux de C. Brassac (Brassac, 2001, 2008) qui, s’inspirant des travaux de Jacques, établit que chacun est co-auteur des messages produits dans des processus dialogiques. « Ainsi c'est le couple des interactants qui, conjointement, donne du sens aux énoncés successivement proférés dans l'interaction. Le sens est co- construit, il n'est le fait ni du locuteur, ni de l'auditeur mais de la relation. Le sens émerge dans l'entre-deux » (Brassac, 2001, p 4). L’auteur reprend les travaux de Jacques (1985) et oppose le paradigme de la communicativité à celui de la communicabilité. Lorsqu’un énoncé est produit par un des locuteurs, il est traité par l’auditeur. Ce traitement est le fait du seul auditeur. Le traitement est “bon” lorsque l’on observe une certaine relation entre le sens intentionné et le sens découvert. Quel que soit le mode de traitement, cette façon de voir place au centre du dispositif d’intercompréhension l’intention de sens du locuteur, préexistante au travail d’interprétation-décodage de l’auditeur. Il s'agit de ce que Brassac dénomme la communicativité. La communicabilité, quant à elle, « place au centre de ses préoccupations une intercompréhension vue comme une co-construction processuelle du sens des énoncés successifs, produisant une cognition distribuée » (ibidem, p 5). Il n’y a pas un sens communiqué ; l’énoncé est porteur d’un potentiel de sens. L’échange se déroule autour de l’actualisation d’un élément de ce potentiel de sens, actualisation qui est l’œuvre conjointe des interactants. Toute communication est donc un travail collectif, ce qui va à l’encontre d’une vision passive des interactants. Le primat de la relation est un élément absolu requis de cette

197 philosophie du langage. Mais cette philosophie du langage est aussi une philosophie de la communication qui pose la participation active de l’individu, une participation qui ne peut être validée que par l’interaction, et une interaction à portée pragmatique.

Nous envisageons la communication comme ce moment d’émergence du sens, une émergence active. De plus, nous rejoignons Bonneville et al., dans l'idée qu'« adopter une approche communicationnelle de l’organisation c’est avant tout pour ces chercheurs poser l’organisation comme étant l’œuvre des individus qui la composent et la réalisent au quotidien au travers de leurs interactions » (Bonneville et al., 2007, p 181). Dans leur article, les auteurs distinguent quatre phases traduisant l’évolution de la considération de la communication dans l’organisation :

‐ La première, la période fonctionnaliste, durant laquelle la communication est réduite à une fonction de l’organisation, un instrument. Cette acception relève du paradigme positiviste ; il s’agit d’un objet réifié et linéaire qui ne se réduit qu’à une simple transmission d’information.

‐ Le virage interprétativiste complexifie cette vision : la communication n’est pas seulement un message, elle est aussi sens. « L’organisation devient un espace symbolique, construit par des signes où les individus réinventent continuellement la réalité par et à travers des actions de communication. » (Grosjean, 2009) Les chercheurs insistent dorénavant sur les processus symboliques et tendent à concevoir les individus n’ont plus comme des émetteurs et des récepteurs mais des interlocuteurs engagés dans un processus de construction collective de sens. L’organisation est un produit social fruit de comportements signifiants. « Interpretation centers on the study of meanings, that is, the way individuals make sense of their world through their communicative behaviors57 » (Putnam, Pacanowsky, 1983, p31).

‐ Le virage discursif prolonge cette perspective en insistant sur le rôle du discours dans le fonctionnement des organisations. Sous la notion de discours, se profilent deux perspectives. Le discours avec un petit ‘d’ renvoie aux conversations et textes produits dans l’interaction : les chercheurs se focalisent sur les pratiques langagières dans des contextes spécifiques au cours de l’interaction (ethnométhodologie, sémiotique, narratologie, pragmatique sont mobilisés). Le discours avec un grand ‘D’ fait appel aux travaux foucaldiens et se centre sur les thématiques de domination et de contrôle (ce sont les théories critiques,

57 L’approche interprétative se centre sur l’étude des significations, c’est-à-dire la manière par laquelle les

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