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Enjeux du travail d’organisation : concilier les rationalités autour de la qualité

II Approfondir notre problématique au regard du terrain : les figures de la qualité à l'épreuve du travail d'organisation

2. Enjeux du travail d’organisation : concilier les rationalités autour de la qualité

Le processus de certification repose sur des règles de participation du personnel spécifiques, selon lesquelles chacun est invité à s’exprimer. Ces logiques ont plusieurs conséquences sur le processus de régulation :

‐ Les acteurs des réunions d’accréditation peuvent être à la fois décideurs et exécutants de la mise en œuvre de cette systématisation. Le praticien devient l’écrivant de ses propres procédures.

‐ Il est laissé la possibilité à chaque participant de pouvoir s’exprimer sur la qualité et sur cette systématisation. Dans cette perspective, les rapports de subordination sont censés être annihilés. Cette position d’encadrement reste toutefois temporaire, mettant les participants dans une position alternative le temps d’une réunion. L’étude de ces réunions nous permettra d’interroger dans quelle mesure ces rapports de subordination sont plus ou moins annihilés et, dans un second temps, de saisir si les participants se posent dans la

189 perspective que la certification n’est qu’une étape dans la systématisation et que les nouveaux rôles déhiérarchisés peuvent trouver potentiellement une continuité dans la poursuite de la systématisation de la résilience.

‐ La définition de la règle n’est plus le monopole de l’encadrement. Toutefois, nous verrons que les animateurs des réunions font partie principalement du personnel d’encadrement, un paramètre qui peut interroger la réalité d’un soi-disant partage de la fonction d’encadrement.

‐ Si la règle, dans le cas de l’accréditation, vient d’une instance extérieure, il est laissé au personnel le soin de faire l’organisation qui va bien. La prescription se fait certes par le haut, mais son application n’est plus du ressort de l’encadrement mais de tous. La prescription passe par la technique (outils et méthodes), elle est euphémisée.

Outre la question de la régulation, ces réunions d’accréditation interrogent le rapport des participants à la qualité. Devenir acteur de la qualité repose ainsi sur la conciliation de deux formes de rationalité, que nous reprenons des travaux de Weber (Weber, 1904) : une rationalité en valeur – la qualité comme objectif en tant que valeur universelle – et la rationalité en finalité – la qualité orientée vers le succès et la performance. La rationalité en valeur repose sur des comportements sociaux inspirés par des idéaux religieux, par le devoir moral ou par la grandeur d'une «cause ». Dans le cadre de cette démarche, l'agent social est exclusivement guidé par son système de croyances. Cette forme de rationalité renverrait à la figure de la qualité comme impératif moral ; la dimension déontologique de la pratique de soin se présenterait comme valeur absolue pour guider la pratique soignante. La rationalité en finalité suppose d'adapter un ensemble de moyens en vue d'atteindre un but déterminé. Une congruence apparaît alors entre les buts, les moyens et les conséquences prévisibles de l'action sociale. La figure de la qualité gestionnaire relèverait de cette forme de rationalité dans la mesure où elle repose sur des objectifs de maitrise, de performance en adoptant une méthodologie rationnelle, scientifique d’optimisation de la qualité. Ces deux types de rationalité peuvent coexister dans les stratégies concrètes des agents sociaux. Toute la question dans le cadre de l’accréditation est de saisir dans quelle mesure ces deux logiques sont mises en complémentarité, ou au contraire si elles se remettent en cause l’une par rapport à l’autre. Par exemple, une approche gestionnaire de la qualité n’engage-t-elle pas le soignant dans une approche instrumentale de la qualité qui l’éloignerait d’une approche soignante de la pratique ? Comment les participants aux réunions d’accréditation s’approprient-t-ils cette

190 tension ?, telle est la question à laquelle nous essaierons de répondre. Le travail de régulation repose sur cette tension entre un impératif gestionnaire, normatif extérieur à l’établissement et un impératif moral. L’enjeu n’est pas seulement de mettre en place un dispositif qualité suite aux exigences de la HAS ; c’est la notion de qualité même qui au cœur du travail d’organisation.

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Au cours de ce chapitre d'analyse, nous avons précisé notre problématique, présentée dans le chapitre 1. Nous avons déterminé les figures de la qualité en jeu dans la certification (qualité en valeur, qualité gestionnaire, qualité norme), en retravaillant le cadre proposé par A. Ogien et avons établi la forme d'organisation que porte la certification - une systématisation de la résilience. Nous avons délimité les tenants et aboutissants du travail d'organisation susceptible d'être à l'œuvre lors des réunions de certification, en postulant deux temps de travail d'organisation qui relèvent de formes de régulation, d'ajustement, de traduction entre un texte global et un texte local de la qualité.

Précisément, il nous reste à saisir, théoriquement, les ressorts d'un travail d'organisation au sein des processus communicationnels, que sont les réunions de certification et à creuser cette notion de "texte". Nous considérons le travail du texte de la qualité comme la clé d’entrée pour comprendre les tenants et aboutissants d’une systématisation de la résilience. Se plonger au cœur de ce travail du sens demande d’observer les ressorts, les étapes d’une mise en texte de l’organisation. L’approche de l’Ecole de Montréal travaille plus particulièrement les situations de communication au regard des processus de faire sens et de « textualisation » qui y sont performés. Dans un processus continuel de textes/conversation, les textes sont alors soumis à un travail qui permettra de stabiliser et de faire sens temporairement de l’organisation. Néanmoins, les auteurs n’interrogent pas réellement les différents niveaux de textes – texte global et texte local par exemple – laissant de côté cette dimension de travail d’organisation. Nous chercherons à pallier cela.

Leurs travaux ne limitent pas la communication au faire sens : tout moment de faire sens s’imbrique dans un processus de coorientation, d’action et de performation de rôles. Dans le prolongement des travaux d’Austin et de Greimas, leur devise pourrait être : communiquer ce n’est pas seulement dire, c’est faire par le dire, c’est s’organiser et organiser par le dire. En cela, cette vision offre une approche dynamique de la communication. Lors des réunions

191 d’accréditation, il ne s’agit pas seulement de saisir un travail représentationnelle de la qualité mais également de comprendre les positionnements, le jeu des places, la performation de rôles plus ou moins retravaillés au regard de la qualité.

De plus, suivre les figures de la qualité dans l’interaction nous permet d’accéder à leur reconfiguration. Cooren (op. cit.,2010) affirme que les textes font l’organisation, que les figures nous animent autant qu’elles sont animées. Il offre une vision agentive des figures, dimension que n’évoque pas Ogien. Dans ce chapitre, nous avons considéré les figures « textualisées » (Jolivet et Vasquez, 2011) de la qualité en tant que représentantes des logiques prônées par la certification et ainsi la HAS. Dans une dynamique texte/conversation selon laquelle le texte n’est qu’un moment de stabilisation pour être remis en acte, réinterrogé, reformé lors des interactions, le passage de figures « textualisées » de la qualité aux figures « énoncées » nous permet de saisir comment les figures peuvent être constitutives mais aussi constituées au cours et par les interactions. Nous entrevoyons de suivre ces figures dans leur reconfiguration, et ainsi d’en saisir leur (dé)formation. Le travail d’organisation relèverait alors d’un travail de reconfiguration de figures.

Cette approche longitudinale55 nous invite dès lors à interroger la performativité supposée des figures, annoncé par le manuel de certification, et ainsi d’étudier les réalités de leur force normative. Dans quelle mesure les reconfigurations de figures révèlent-elles ou non un alignement ou une résistante ou une reconstruction d’une forme de normativité ? Les reconfigurations discursives produites par le discours normatif de la HAS s’ensuivent-elles de reconfigurations organisationnelles ? Ou inversement, le travail d’organisation nuance-t-il la portée de ces reconfigurations discursives ? La norme est-elle cette réalité malléable que les acteurs se réapproprient dans l’interaction (Robichaud et al., 2010) ? Le (faire) sens est-il négociable ?

Intéressons-nous de plus près à l’Ecole de Montréal, afin de préciser notre approche communicationnelle du travail d’organisation. Nous pourrons alors proposer une méthodologie d'analyse du faire sens à sein des réunions de certification. Notre mobilisation de ce cadre théorique sera orientée autour de trois notions : textualisation, coorientation et narration.

55 Nous remercions Consuelo Vasquez qui, lors d’une réflexion commune à l’occasion de la rédaction d’un

article, nous a permis d’entrevoir les perspectives offertes par la notion de figure, ainsi que les évaluateurs de l’article en question pour leurs remarques précises et pertinentes (Jolivet, Vasquez, 2011).

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Chapitre 4

Avoir une approche communicationnelle du travail

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