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I Les démarches qualité en santé ou concilier soins et rationalisation du système de santé : une multiplicité de figures

2. Principes et caractéristiques des démarches qualité

2.1 La rhétorique de la qualité

2.1.2 La figure du client

Le client est un élément clé dans l'approche des démarches qualité, en tant qu'acteur à satisfaire. Qualité et figure du client relèvent tous deux de rhétoriques complémentaires. En effet, si la qualité peut devenir un idéal destiné à inspirer la confiance chez le client, une sorte d’argument publicitaire ; la figure du client peut à son tour être utilisée dans une rhétorique pour justifier la mise en place de démarches qualité.

5 La notion de pratique est utilisée ici, et dans l’ensemble de la thèse, selon la définition de J. Jouët : « l'usage est

[...] plus restrictif et renvoie à la simple utilisation tandis que la pratique est une notion plus élaborée qui recouvre non seulement l'emploi des techniques (l'usage), mais les comportements, les attitudes et les représentations des individus qui se rapportent directement ou indirectement à l'outil » (Jouët, 1993, p. 371). Même si le rapport à l’outil n’est pas au centre de notre thèse, nous conservons dans cette définition de la pratique la dimension pragmatique et symbolique sur laquelle repose les activités du personnel de l’organisation.

30 Comme le souligne le sociologue J-P. Neuville (Neuvile, 1999), « la mise en place du management par la qualité totale dans l’entreprise se traduit par le déploiement d’un dispositif composite au centre duquel émerge la figure polymorphe du client » (ibidem, p 105). Dans son étude d’un site de production industriel, il distingue cinq mobilisations de la figure du client : 1°) le client à la place duquel tout salarié doit se mettre pour évaluer le travail réalisé ; 2°) le client devenu patron puisqu’achetant le produit ; 3°) les relations client-fournisseur agrémentées ou non d’un contrat ; 4°) le standard qualité qui définir le niveau de qualité du produit attendue par le client ; 5°) les dispositifs d’écoute du client qui organisent la remontée de ses attentes. Cette figure du client redistribuerait les cartes de la coordination autoritaire : ce ne serait plus le chef qui aurait raison mais le client. Certains auteurs, comme Olivesi (Olivesi, 2006, p 172), y voient une forme de restructuration des rapports sociaux par le recours à cette figure du client : le modèle client-fournisseur serait une image plus valorisante pour le salarié que celle d’employé ou d’ouvrier soumis au contrôle de sa hiérarchie, elle traduirait le souci de responsabiliser les acteurs. Les clients seraient alors, dans les discours managériaux, facteurs de mobilisation des employés et une nouvelle source de légitimité pour les managers.

De nombreux travaux s’accordent sur ce dédoublement du client : entre figure rhétorique et personne réelle bien vivante. Si Neuville constate que, paradoxalement, le client réel, qui achète les produits, n’est jamais présent sur le site de production, d’autres auteurs présentent des cas où cette tension, entre client comme argument rhétorique et client comme acteur, peut générer des contradictions que les organisations doivent alors gérées afin de satisfaire le client ultime. Par exemple, P. Louppe (Louppe, 1999) établit une distinction entre le client formel qui commande la mise en œuvre des démarches qualité et le respect des procédures, et le client concret aux demandes brouillonnes, autoritaires. La qualité se retrouve dans une tension entre le dogme du client roi et celui du respect des procédures. Cette tension sert de base à la recherche d’arrangements négociés entre le client et l’entreprise dans laquelle chacun peut prévaloir d’un des deux dogmes.

La présence, voire la prévalence, du client est d’autant plus accentuée dans le cas des organisations de service. Elle est toutefois problématique dans la mesure où elle pose un défi à l’entreprise qui doit garantir la qualité d’un service en le maîtrisant pour une activité dont le résultat est immatériel et où la composante relationnelle intervient de façon prégnante dans la conception que le client a de la qualité (Campinos-Dubernet, Jougleux, 2003). Une standardisation du service, sous-tendue par les démarches qualité pourrait paradoxalement

31 aller à l’encontre de la qualité globale du service en mettant de côté les caractéristiques particulières de la relation au client. M. Campinos-Dubernet et M. Jougleux montrent ainsi que la qualité relationnelle n’étant pas strictement dépendante du respect des procédures, ces dernières peuvent aller à l’encontre de la souplesse à laquelle il est parfois nécessaire de recourir face à certains clients. Toutefois, assurance qualité et qualité de service ne sont pas forcément antithétiques : les démarches qualité offrent un cadre partagé de référence, une forme d’objectivation qui est parfois salutaire pour le client, face à l’incertitude et la nature intangible du service.

Dans ses travaux sur la RATP, E. Lévy (Lévy, 2002) met en avant un phénomène de « modernisation par l’usager », dans lequel l’usager se présente comme justification ultime des changements organisationnels en cours. Elle montre d’ailleurs que le « client du discours » tend à s’évaporer au contact de la pratique et de l’organisation. La rhétorique de la qualité, nous semble-t-il, renvoie aux mêmes questionnements : le client est-il objet du service, sujet du service en tant que coproducteur réhabilité, ou une figure argumentative, un instrument en quelque sorte ? Cochoy (Cochoy, 2002, p 4) insiste sur les « figures sociales du client », à la fois comme identités sociales (usager, citoyen, consommateur, patient…), mais aussi comme visage (le sourire du commercial, la grimace du client), comme profil, ou encore comme rhétorique. Les démarches qualité ont concouru et concourent encore à cette complexification de la figure du client dans une configuration où le client est à la fois fin et moyen.

Dans le cas des établissements de santé - nous le verrons dans la partie suivante consacrée aux démarches qualité dans le domaine de la santé -, il n’est plus question de client, voire d’usager, mais de patient6. Les enjeux de la qualité dans le secteur de la santé reposent alors sur cette dimension de relation de service et sur la singularité de cette relation qui touche directement la santé de l’individu.

La rhétorique de la qualité joue ainsi à deux niveaux interdépendants : la satisfaction du client et la performance. Ces deux principes s’appuient dès lors sur des méthodes et des processus mettant en avant le Logos gestionnaire de la formalisation, de la codification, de l’évaluation, sous couvert d’une approche scientifique. Intéressons-nous à ces nouvelles formes de gestion des pratiques, qui découlent de cette logique gestionnaire de la qualité.

6 Même si progressivement, l’intégration des démarches qualité dans le secteur de la santé pourrait amener une

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2.2 Normalisation et évaluation

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