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Conclusion et problématisation exploratoire sur la notion de résilience

I Déterminer les figures de la qualité

13. Critère 26.a Organisation du bloc opératoire.

1.4 Conclusion et problématisation exploratoire sur la notion de résilience

1.4.1 Aller plus loin… les limites de l’approche de Weick

Nous l’avons dit Weick prodigue des conseils d’amélioration de la sécurité ; ces préconisations sont parfois très mécanistes (si j’augmente le nombre d’interactions, j’augmente les conversations, et donc le degré de sécurité, par exemple) ou n’interrogent pas la question de l’appropriation et de la mise en place de certains de ces éléments. Les travaux de S. Gherardi (Gherardi, 2005, 2008, 2009) apportent à ce sujet de la nuance et prend en compte ces dimensions que Weick interroge peu : l’appropriation et la performation de la sécurité au quotidien.

L’auteur s’inscrit en faux contre la vision techniciste des études sur le risque selon laquelle la sécurité serait réifiée dans les systèmes techniques, elle serait le produit de l’application de règles et de régulations qui prescrivent le comportement juste sécuritaire. Le risque serait un aspect objectif de la réalité que l’on peut mesurer, en mettant de côté les dynamiques techniques, économiques, politiques qui ont un rôle important pour désigner ce qui socialement peut être qualifié de risque. Selon l’auteure, la sécurité émerge d’un système culturel qui produit des opinions sur ce qui est dangereux ou sûr, sur les attitudes appropriées face à la sécurité. C’est la capacité collective de produire des pratiques de travail qui assure le bien-être de l’individu et son environnement. Par conséquent, la sécurité est une compétence qui s’actualise dans la pratique, qui est construite socialement et transmise aux nouveaux arrivants d’une communauté de pratiques et qui est implantée dans les normes, les valeurs et les institutions. « Safety, then, is knowledge that is objectified and codified in expertise that circulates within a web of practices » (Gherardi, Nicolni, 2000, p 8). Une culture de la sécurité, « a safety culture », n’est pas quelque chose que l’organisation possède, c’est un processus ; elle doit donc être constamment supportée par des pratiques appropriées.

De plus, il n’existe pas une seule culture de la sécurité partagée par tout le monde ; l’activité quotidienne est un moment de confrontation et de conflit. L’auteure, en adoptant la focale des communautés de pratique, considère donc la sécurité comme le résultat d’une construction

139 collective, d’un ensemble de pratiques cadrées par des symboles et des significations. Cette construction est le fait d’éléments humains et non-humains (artefacts qui facilitent l’effectuation d’une tâche par exemple, mais aussi les textes et les inscriptions, ainsi que l’autorité institutionnelle qui s’incarne dans des relations de régulation et de pouvoir).

Que nous apportent ces travaux ? Premièrement, comme dans la pensée de Weick et peut-être plus encore, la sécurité est de l’ordre de la dimension organisationnelle. C’est une construction de tous. Néanmoins, S. Gherardi nuance cette construction : elle n’est pas le simple fait d’interactions, c’est un processus complexe (il y a des communautés de pratiques) et long (la dimension temporelle est peu évoquée chez Weick). En soulignant l’aspect construit des pratiques, on se dégage d’une vision préconisatrice (il faut agir ainsi) pour en saisir toute leur complexité pragmatique (une pratique ne relève pas seulement de l’individu, elle s’intègre dans un groupe et dépend de formes d’appropriation influencées par des manières de se comporter déterminées par le groupe). Deuxièmement, S. Gherardi élargit l’éventail des participants dans cette construction : elle est le fait d’humains et de non- humains, or ces derniers ne sont pas réellement évoqués par Weick (peut-être que derrière le concept de subjectivité générale, de règles d’action on peut retrouver les textes). Elle rejoint les travaux d’A. Bruni ( Bruni, Orabona, 2009) qui, par des études ethnographiques, conclut que la sécurité organisationnelle est le résultat d’un processus d’alignement et de mobilisation d’éléments hétérogènes. Enfin, en stipulant que pratique et culture sont les éléments déterminants d’une appropriation de la sécurité, S. Gherardi replace les individus dans un contexte, se dégage d’une vision cognitive de la sécurité, et souligne que c’est un apprentissage à la fois de la sécurité mais aussi de l’organisation. Elle problématise ainsi une dimension peu abordée par Weick, celle de l’appropriation de la thématique de la sécurité par le personnel, sa performation selon les communautés de pratique et la nécessaire mise en tension entre une culture de la sécurité et les cultures organisationnelles et des communautés déjà préexistantes.

Ce questionnement peut nous concerner directement dans le cadre des réunions d’accréditation. En posant la question des communautés de pratique, il s’agit de confronter la construction de sens au contexte hiérarchisé, territorialisé de l’organisation ainsi que d’interroger les différentes définitions de la qualité propres à chaque métier, fonction au sein de l’établissement de santé et qui seront interrogées, défendues, travaillées au cours de ces

140 échanges au sujet de la certification. De manière plus générale, ces remarques nous poussent à interroger Weick dans sa perception de l’organisation. De nombreuses critiques accusent l’auteur d’occulter l’organisation en tant que structure, dans les relations de pouvoir qu’elle met en jeu.

1.4.2 Confronter la résilience chez Weick à l’épreuve de l’organisation

Dans le prolongement de la critique ci-dessus, nous faisons le constat que Weick approche la notion de résilience qu’en la renvoyant à la notion de groupe sans jamais entrevoir l’organisation. Notre perspective est ainsi d’analyser la résilience à l’épreuve de l’organisation (Jolivet, 2010a) et ce, à deux niveaux :

1°) en considérant la résilience n’ont seulement comme un phénomène en lien avec l’effondrement de sens (résister au choc) mais également comme objectif organisationnel (mettre en place un dispositif afin de générer une organisation résiliente, à la fois susceptible de gérer les chocs mais aussi de les anticiper) doté d’une méthodologie particulière qui répond aux exigences contemporaines économiques et sociétales (une perspective gestionnaire de la qualité dans un contexte de régulation du système de santé). Nous pensons que comprendre la notion de résilience dans un contexte organisationnel c’est prendre en compte la mesure selon laquelle ce processus peut être au cœur de logiques plurielles.

2°) il s’agit également de cerner comment ce dispositif organisationnel de résilience est soumis à des phénomènes d’appropriation et d’évaluation. Une résilience à l’épreuve de l’organisation suppose de la saisir dans sa mise en tension et dans son travail par l’organisation. La résilience travaille l’organisation et est travaillée par l’organisation. La résilience suppose un travail de l’organisation et un travail d’organisation, comme nous allons le voir dans la partie suivante.

Si la notion de résilience développée par Weick nous permet de définir le travail d’organisation sous-tendu par le processus de certification, l’analyse du processus de certification est réciproquement l’occasion de retravailler la notion de résilience au sens weickien au regard de réalités concrètes. En tant que mise en forme particulière de la résilience, comment le manuel d’accréditation réinterroge-t-il la notion de résilience, et quelles sont ses incidences sur l’appréhension de l’organisation et des pratiques ?

Si la résilience, déclinée derrière les notions de qualité et de sécurité, apparaît comme un objectif de la certification, elle est, dès lors, soumise à une forme spécifique de configuration et répond à une mise en place et à une méthodologie particulière. Nous allons voir ainsi, dans la partie suivante, un déplacement de figure : la qualité s’apparente alors comme une

141 démarche qui recouvre d’autres enjeux. Point une nouvelle figure de la qualité, qui indirectement réinterroge la notion de résilience dans concrétisation. Nous pouvons dès lors avancer que le manuel promeut une approche organisationnelle du risque, au sens où elle est centrée sur une gestion du risque qui repose sur la mise en place de dispositifs organisationnels, sur la participation de l’ensemble du personnel (à la fois par une vigilance individuelle et collective) et sur la création d’une fonction dédiée à la gestion du risque. Le risque est à la fois une menace, une préoccupation de l’organisation tout entière et un objet de management.

Notre analyse nous amène à considérer que cette approche de la résilience spécifique au manuel génère un glissement sémantique de la notion de qualité et met en jeu une nouvelle figure de la qualité : la qualité en tant qu’impératif moral devient une qualité gestionnaire.

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