• Aucun résultat trouvé

Conclusion : hypothèse 1, ou la qualité en santé, une complexité de figures

I Les démarches qualité en santé ou concilier soins et rationalisation du système de santé : une multiplicité de figures

6. Conclusion : hypothèse 1, ou la qualité en santé, une complexité de figures

Derrière la notion de qualité, sont mises en tension différentes logiques selon lesquelles la pratique soignante est, tour à tour, entrevue comme activité capitale dont dépend le patient, comme objet d'optimisation, comme activité coûteuse. La qualité est alors à la fois ce but ultime, garant d'une excellence dans la prise en charge du patient, dans la mesure du possible, et ce moyen pour réguler des problématiques économiques.

L'instauration de la certification, nous l'avons vu, participe à des politiques de gestion des établissements de santé. Ceci nous amène à nous demander dans quelle mesure le processus de certification travaille ces différentes approches de la qualité - une interrogation d'autant plus prégnante que le processus d'auto-évaluation relève de la participation des membres de l'établissements de santé, soit des praticiens auxquels il est demandé, alors, de concilier ces acceptions à la fois déontologiques, professionnelles et gestionnaires de la pratique. Notre analyse se porte sur cette rhétorique de la qualité, que la certification est à même de défendre, et que les participants au processus de certification, sont à même d'interroger.

A ce propos, les travaux d’A. Ogien (2000a, 2000b, 2002, 2009) dans le domaine de la santé sont particulièrement pertinents pour souligner l’ambiguïté du mot qualité qui relève de logiques d’actions différentes. Il en distingue trois acceptions :

« [La qualité] appartient à trois registres de description différents. Elle a un sens déontologique et juridique lorsqu’elle renvoie aux obligations qui pèsent sur les interventions des professionnels de santé. Elle a un sens politique lorsqu’elle est rapportée à cette volonté des citoyens de prendre une part active dans les affaires qui les concernent, qui se traduit, en ce cas, par le droit de regard que revendiquent les malades ou les associations de patients sur la définition et le contrôle des pratiques médicales. Mais elle prend un tout autre sens dans le modèle gestionnaire d’exercice du pouvoir : la notion renvoie alors à une technique de gouvernement que les dirigeants utilisent pour mettre en œuvre une stratégie de réforme de l’organisation hospitalière afin d’en rationaliser le coût » (Ogien, 2009, p 34).

La qualité au sens politique fait allusion à la place grandissante des patients et associations dans leur droit à s’exprimer en tant qu’acteur à part entière sur la gestion des établissements

48 de santé. Rappelons que la mise en place des démarches qualité, et notamment la création des instances de certification, a été pour une part influencée par des affaires retentissantes qui ont créé du mouvement dans l’espace public. L’affaire du sang contaminé a mis en évidence, d’une part, les lacunes du système de santé français, en particulier en matière de prévention, et d’autre part, les limites des experts médicaux et des pouvoirs publics face à une épidémie d’origine et de traitement inconnus, désagréments que l’on croyait disparus, au moins dans les pays dits industrialisés. La crise de confiance de la population vis-à-vis des médecins et des pouvoirs publics a conduit les usagers et les « victimes » à prendre la parole pour revendiquer un rôle plus actif dans les décisions concernant leur santé. C’est en réponse à ces diverses attentes que la loi n° 303- 2002 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a été élaborée, plaçant par là-même le patient comme un acteur à part entière du système. Cette évolution participe à la juridicisation du rapport à la santé (mécanisme de réclamation et de réparation) et suscite le développement d’enquêtes pour définir la nature et la qualité des services demandés et mesurer la satisfaction des usagers. Selon Ogien, pour les soignants, « la notion de qualité nomme un impératif moral qui pèse, de façon inconditionnelle, sur l’activité du médecin ou du professionnel de santé » (Ogien, 2009, p 34). Dans cette acception, la qualité se joue dans la relation et est une affaire de confiance : le patient estime que le praticien agit conformément à un savoir qu’il maîtrise et en respectant les règles d’une déontologie. L’hôpital est un espace hautement symbolique ; on y naît le plus souvent, où l’on peut y mourir également. Place de recours et de secours, il représente à la fois un lieu sacré de guérison et d’hospitalité – principe qui fondait les hôpitaux de charité et les Hôtels-Dieux au XIIIème siècle, voire un lieu d’asile. En cela, c’est un endroit à part, porteur d’une forte charge émotionnelle. « Pour un professionnel de santé, mettre en œuvre les meilleurs moyens à sa disposition pour établir un diagnostic, prescrire un traitement ou réaliser un acte thérapeutique est tout à fois une habitude, un devoir, une obligation et une responsabilité. De bons arguments moraux, juridiques, scientifiques, déontologiques et sociologiques plaident donc en faveur d’une conviction : tout acte de soins est constitutivement orienté vers la recherche de la “qualité” » (Ogien, Laugier, 2010 p 131). Nous ferons remarquer que la dimension morale et déontologique de la profession médicale trouve ses principes dans les textes fondamentaux qui l’encadrent : le serment d’Hippocrate15 mais surtout le Code de Déontologie médicale. Dans ce dernier, l’obligation primordiale est

15 Il s’agit du serment d’Hippocrate, réactualisé en 1996 par le Pr. B. Hoerni et publié dans le Bulletin de l’Ordre

49 celle de soin. Ainsi, l’article 8 du Code souligne le devoir de pertinence et de qualité du soin : « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance. Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins. Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles 16 ». Qualité et sécurité sont ainsi des principes fondateurs de l’activité médicale.

A l’inverse la qualité gestionnaire est : « le produit d’un mode de quantification qui réduise sa définition à ce qui en est mesurable ? » (ibidem,p 46). La qualité devient ce qui est accessible à la mesure, à l’analyse, à la standardisation. Elle se doit d’être une donnée quantifiable pour ainsi rentrer dans des modèles d’allocations de ressources et de performance. Ce qui n’est pas sans poser problème dans le domaine de la santé où il s’avère ardu de produire une mesure objective d’une pratique optimale de l’activité médicale. La qualité, dans une acception gestionnaire, est alors « un dispositif technique au moyen duquel une chaîne de production est décomposée en unités, traduites en variables intégrées à un appareil de quantification qui assure la surveillance du déroulement du processus au terme duquel un acte ou une prestation sont tenus pour irréprochables. » (Ogien, ibidem, p 34). La qualité est envisagée comme un « facteur de production qu’il s’agit de soumettre à quantification afin de lui affecter un coût (même approximatif) permettant d’évaluer l’utilité ou le “service médical rendu” de chaque pratique thérapeutique ». Dans cette perspective, la qualité est au service de la performance : par une rationalisation accrue, elle assure l’obtention de données « objectives » et permet également de corriger les défauts de la chaîne de production hospitalière afin de réduire tout ce qui fait défaut à la rentabilité. L’activité médicale devient activité de production. Nous retrouvons dans la description de la figure de la qualité gestionnaire le logos gestionnaire, que nous avons évoqué plus haut, défini par Boussard (2008) et Bouillon (2009). De ce point de vue, les deux auteurs affinent la figure présentée par Ogien en décomposant les tenants de la rhétorique gestionnaire selon des principes de Maîtrise, de Performance, de Rationalité, de Codification et de Justification. La qualité devient un enjeu de maîtrise, passant par des méthodes de rationalisation, justifié par des principes déontologiques (une prise en charge pertinente du patient) et des impératifs économiques (réguler le système de santé).

16 Article 8 du Code de déontologie médicale, Décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004, version abrogée au 8 août

50 A ces deux dernières manières de considérer la qualité correspondent deux formes d’appréhension du soin : pour les uns, la qualité ne se mesure pas et « l’idée est que rien ne doit être écarté qui permet de rétablir la santé des patients » (Ogien, ibidem, p 48), pour les autres, « le système de santé a engendré des dépenses qui ne se justifient plus en termes d’élévation du niveau sanitaire de la population, fonder la décision thérapeutique sur un critère de qualité permettrait de ne financer que le strict nécessaire (le “panier de soins”) pour couvrir les besoins de santé de façon satisfaisante ». La qualité serait selon Ogien le fruit d’une confusion sémantique par laquelle « la notion de qualité est ostensiblement utilisée comme un argument public justifiant la réforme du système de santé pour faire droit à ce qui est présenté comme une revendication légitime des patients ».

Les travaux d’Ogien sur la qualité ont le mérite d’appréhender cette notion au regard du secteur particulier de la santé. Il nous semble que la notion de qualité prend une acception toute particulière dans ce domaine d’activité, car, en plus d’être d’une activité de service qui suppose une relation singulière avec le client, elle renvoie à des enjeux moraux qui, nous semble-t-il, interrogent d’autant plus la qualité dans son acception gestionnaire. L’auteur met ainsi en exergue des logiques morales et économiques présentées toutes les deux comme des impératifs et qui sont amenées à être conciliées.

Notre première hypothèse propose donc de considérer la certification comme un processus privilégié de mise en tension des figures de la qualité, privilégié au sens où, par son caractère obligatoire, il confronte de manière directe les membres de l'organisation, et notamment le personnel soignant, à ce rapprochement de logiques. A partir des travaux d'Ogien, nous chercherons à saisir dans quelle mesure la certification travaille cette rhétorique de la qualité et de quelle manière elle mobilise ces différentes figures, les unes au regard des autres. En quoi la mobilisation de ces figures participe-t-elle de l'instauration des démarches qualité au sein du système de santé français ? L'analyse des principes de la certification nous permettra de saisir les jeux de recomposition organisationnelle qu'elle sous-tend et dans quelle mesure ces jeux amènent ou non à une redéfinition des pratiques soignantes.

Appréhender les facettes de la notion de "qualité" au centre du processus de certification se présente comme une clé d'entrée pertinente afin de déterminer les formes de rationalité à l'œuvre dans le faire sens de la certification.

51 Nous avons pu offrir un panorama général des démarches qualité dans le domaine de la santé. Considérant la certification comme dispositif participant de cette logique gestionnaire de régulation du système de santé, nous avons proposé une première piste de travail – déterminer la rhétorique de la qualité mobilisée par la certification au regard des figures de la qualité qu'elle concilie – qui nous permet de nous interroger à la fois sur ses similarités et ses spécificités au regard du dispositif général des démarches qualité en santé. Mais la certification est, en elle-même, un processus particulier qu'il nous faut envisager pour lui- même. Dans une seconde partie, nous allons nous pencher de manière plus approfondie sur notre objet de recherche. Cette étude nous permettra d'établir une seconde hypothèse de travail, en déterminant comment le jeu de conciliation de figures évoquées ci-dessus peut relever d'un « travail d’organisation » (de Terssac, 2002, 2003, 2007).

II La certification en santé : concilier approche globale et

Outline

Documents relatifs