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− Du P hantasme au F antasme

A. Le rêve et la mort

En effet, est-ce d’abord la confrontation du rêve et de la mort – conscience de la finitude et de la possibilité d’en conjurer l’inéluctabilité − qui semble avoir été au fondement de la division du monde, présageant même la naissance de la philosophie. Les philosophes ne sont-ils pas, en effet, des mort-vivants, seuls aptes à chanter et à louer la vie ? Souvenons-nous de ces quelques lignes aussi énigmatiques que poétiques de L’Image-

39 Luc Brisson ne semble pas partager cette hypothèse et en fait la démonstration dans l’article

qui suit : Eikasia. Revista de Filosofia, 10, Extraordinario 1 (2007).

http://www.revistadefilosofia.org. Nous ne suivrons pas sa réfutation, car nous pensons que Pythagore eût une influence réelle sur la métaphysique, au même titre que Parménide. Nous demeurerons, dès lors, fidèle à la lecture nietzschéenne.

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temps, à propos de la théorie des deux morts de Blanchot, incarnée de manière exemplaire par le cinéma de Resnais, et qui dénotent de l’inhérence et l’adhérence de la mort à l’acte même de philosopher :

« Les personnages de Resnais ne revenaient pas seulement d’Auschwitz ou d’Hiroshima, d’une autre manière aussi ce sont des philosophes, ce sont des êtres de pensée. Car les philosophes, ce sont des êtres qui sont passés par une mort, qui sont nés, et qui vont vers une autre mort, la même peut-être. Dans un conte très gai, Pauline Harvey dit qu’elle ne comprend rien à la philosophie, mais qu’elle aime beaucoup les philosophes parce qu’ils lui donnent une double impression : ils croient eux- mêmes qu’ils sont morts, qu’ils sont passés par la mort ; et ils croient aussi que, bien que morts, ils continuent à vivre, mais frileusement, avec fatigue et précaution. Selon Pauline Harvey, ce serait ne double erreur, qui la fait rire aussi : le philosophe est quelqu’un qui se croit revenu des morts, à tort ou à raison, et qui retourne aux morts, en toute raison. Le philosophe est revenu des morts et y retourne. Ce fut la formule vivante de la philosophie de Platon » (IT, 271, nous soulignons)41.

41 Ecouter également le cours « Cinéma-Pensée » du 20 novembre 1984 : « Il y a quelqu’un ici

… qui vient d’un pays lointain. … Elle vient à Paris comme, exactement comme moi je vais au cinéma. … Et quand elle va à Paris, une partie de son temps, elle va écouter des philosophes. … Alors, elle ne comprend pas les paroles, mais ça la met dans des états de joie, … Qu’est ce qui la satisfait tellement ? Elle dit voilà : les philosophes, c’est des gens qui croient − … − ils croient deux choses et ils se trompent sur les deux. … Les philosophes, ou un philosophe, c’est quelqu’un, d’une certaine manière, qui croit qu’il est déjà mort ou qu’il est passé par la mort. … il se trompe ! …. Il pense qu’il est passé par la mort. Première erreur donc, mais première croyance. Et puis, deuxième croyance qui s’enchaîne avec la première : il croit que mort ou passé par la mort, il continue quand même à vivre. Ce qui est une deuxième erreur parce qu’il ne vit pas du tout …. En d’autres termes, il est entre deux morts : une mort apparente et une mort réelle. Une mort dans laquelle il est passé du dedans, une mort qui l’attend du dehors. … Un des textes les plus déterminants, les plus fondamentaux de toute la philosophie, … c’est un texte de Platon dans le Phédon. Sur le thème : si les morts naissent des vivants − à savoir, il faut avoir été vivant pour mourir − si les morts naissent des vivants, inversement les vivants naissent des morts. … un des actes fondateurs de la philosophie. Le philosophe, peu importe s’il a raison ou s’il n’a pas raison puisqu’il va être passé par la mort... En tant que philosophe pas en tant que personne. Il estime revenir des morts. Il estime revenir du pays des morts. Puis, il pense que, il va vers une mort qui l’attend du dehors. Quand le dehors se creuse et attire l’intériorité, il est entre deux morts. …. C’est la vie comme un éclair et même si ça ne va pas vite et que cet éclair de vie est

quelque chose, c’est-à-dire, d’accord, c’est un zombie... mais que, il y a que le zombie pour chanter la vie. Je

reviens des morts et je chante la vie. … c’est ça la philosophie » (nous soulignons). Nous aborderons cette question – notamment la vision de l’éclair – plus amplement concernant « l’onirisme supérieur » de Deleuze, au dernier chapitre de notre étude.

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La rencontre avec la mort dans le rêve, sa pénétration dans l’imagerie onirique du sommeil, auraient-elles ainsi ouvert la voie à la métaphysique, qui prenait appui sur une conception de l’âme, comme séparée du corps, indépendante et autonome, capable de traverser l’Achéron − « Et j’ai deux fois, vainqueur, traversé l’Achéron »42 … − à l’instar

d’Orphée.

C’est donc à une modeste généalogie du rêve que nous voudrions maintenant nous essayer, nous référant au texte du Phédon, où Platon expose sa théorie de l’immortalité de l’âme et de la réminiscence, tout en définissant en amont ce qu’il entend par « philosophe »43.

« « Le mort, écrit Nietzsche, continue à vivre ; car il apparaît aux vivants dans le rêve » : c’est ainsi qu’on raisonna jadis, durant beaucoup de milliers d’années ». 44

C’est dire, donc, le rôle fondateur du rêve dans l’avènement même de la raison et de la civilisation, puisque ceux-ci reposent justement sur la possibilité d’une permanence, d’une continuité, d’une mémoire par-delà la mort ; entrée dans l’histoire et la culture, moyennant le mythe contre le nature45 ; le hasard au fondement de l’avènement du

42 Gérard de Nerval, « El Desdichado », Les Chimères, Paris, Flammarion, 1967, p. 239. La suite

du poème est éclairante, mettant en exergue l’inspiration orphique : « Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée/Les soupirs de la sainte et les cris de la fée ».

43 Cf. Monique Dixsaut, Contre Platon Tome II : Renverser le platonisme, Paris, Vrin, 1995. Et sur la

théorie de l’immortalité de l’âme, Platon et la question de l’âme, Paris, Vrin, 2013 ; voir également les différents articles sur les rapports de Platon avec la mort, notamment dans les analyses que Monique Dixsaut propose du Phédon, qui présentent avant tout une définition des plus rigoureuses de ce qu’est un philosophe, justement dans son rapport avec la « fin ». Voir également, Platon-Nietzsche. L’autre manière de philosopher, Paris, Fayard, 2015, notamment le chapitre VIII (« Le tragique se déplace »).

44 Nietzsche, Humain trop Humain, Paris, Librairie Générale Française, 1995, §5 −

« Méconnaissance du rêve ». Voir également les autres occurrences du rêve dans ce livre qui semble extrêmement importantes pour notre étude : §194 (dans « Le voyageur et son ombre ») - §361 - §76 – §32 – §13 (intitulé justement « Logique du rêve ») - § 12 (« Rêve et civilisation »), (dans « Opinions et sentences mêlées »). Pour une étude détaillée du rôle du rêve dans la philosophie de Nietzsche, le mémoire de Denis Morin, « Le rêve dans la philosophie de Nietzsche » (version électronique : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00611512 - Juillet 2011).

45 Il serait intéressant d’aller voir du côté des sociétés primitives, de leur rapport spécifique avec

le rêve, notamment l’étude de Barbara Glowczewski, Du rêve à la loi chez les aborigènes – Mythes, rites

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monde humain : « Comment la raison est-elle venue dans le monde ? Comme il se doit, de façon déraisonnable, par hasard. Il faudra le déchiffrer comme une énigme »46

1.

Pythagore contre Héraclite

« Il y a une antique légende − confie Socrate à Cèbes dans le Phédon − dont nous conservons le souvenir, et qui raconte que les âmes arrivées d’ici subsistent là-bas, et qu’inversement elles reviennent ici et renaissent des morts. S’il en est bien ainsi et que les vivants renaissent des morts, comment nos âmes pourraient-elles ne pas subsister là- bas ? »47. Cette légende serait celle d’Orphée, réhabilitée par les Pythagoriciens, chez qui

Platon avait puisé sa théorie de l’immortalité de l’âme48. Cette conception primitive, qui

− cf. Le séminaire du 18/01/83, intitulé « Espaces de rêves, les Warlpiri ». Deleuze y fait également référence dans « Ce que les enfants disent », concernant l’indiscernabilité du réel et de l’imaginaire au sein du « voyage » de la Libido, formant une véritable cartographie d’un « milieu », des « trajectoires historico-mondiales ». Il écrit ainsi, citant Glowczewski : « C’est pourquoi l’imaginaire et le réel doivent être plutôt comme deux parties juxtaposables ou superposables d’une même trajectoire, deux faces qui ne cessent de s’échanger, miroir mobile. Ainsi les aborigènes d’Australie joignent des itinéraires mobiles et des voyages en rêve qui composent ensemble « un

entremaillage de parcours », « dans une immense découpe de l’espace et du temps qu’il faut lire comme une carte » »

(CC, 83, nous soulignons). Nous nous attarderons toutefois pas sur la dimension anthropologique dans notre recherche puisque nous voulons nous limiter à un niveau purement philosophique, en traitant, s’il y a lieu de le traiter, de la dimension onirique « primitive » dans l’homme lui-même, sa genèse en tant qu’homme et l’avènement du concept même d’homme à travers son rapport au rêve.

46 Nietzsche, Aurore, Paris, Gallimard, 1980, p. 103 (Livre 2, §123).

47 Platon, Apologie de Socrate, Criton, Phédon, Paris, Librairie générale française, 1992, p. 225. 48 Cf. Ibid., p. 40-41. Bernard Piettre explique de manière très éclairante, dans l’Introduction du

livre, qu’il est « peu probable que la théorie de la réminiscence soit socratique. Son origine est bien plutôt pythagoricienne. Elle implique − poursuit-il − une théorie de la réincarnation présente dans le pythagorisme et l’orphisme …. L’influence de la secte pythagoricienne a été considérable par les doctrines et les croyances qu’elle a diffusées, à propos de la destinée des âmes et de la place de l’homme dans le cosmos. Le cosmos est enveloppé par une unité (monade) qui lui

donne sa cohérence et sa mesure, et menacé à tout moment de la tentation de la multiplicité et de la division (dyade).

Il est régi par le nombre (produit de l’un et du multiple) ; le pythagorisme a développé toute une mystique du nombre … ; de plus, le nombre gouverne la suite des notes de la gamme de musique. Les âmes (des vivants, végétaux, animaux, hommes) sont multiples (individuelles) et cependant unes, reliées entre elles et solidaires dans l’espace et le temps : d’où la règle pythagoricienne du végétarianisme et de l’interdiction de tuer des animaux, et la croyance en la réincarnation (une âme peut se réincarner dans un corps animal) ». L’influence pythagoricienne s’ajoute donc à la croyance orphique qui comporte « des rites et des pratiques qui, comme ceux

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insiste dans la philosophie platonicienne, telle une image pré-philosophique, extrêmement prégnante, atteste de la forte implication du phénomène onirique dans la division de l’être, entre vivants et morts, organique et inorganique, visible et invisible, l’invisible que seule la moralité des mœurs, par la piété et la tradition notamment, peut permettre d’atteindre et d’appréhender de manière continue − la répétition dans la recognition et l’habitude.

Le rêve du sommeil présente, en effet, un monde éthéré, lisse, simplifié, idéalisé − à l’image de la régularité rituelle − défiant les lois naturelles et physiques, faisant défiler les formes au-delà de la matière et de ses contraintes intrinsèques. Et n’est-ce pas ce qu’explicite justement Deleuze lorsqu’il écrit, de manière évasive, dans Critique et Clinique que dans le rêve « les jugements s’élancent comme dans le vide, sans rencontrer la résistance d’un milieu qui les soumettrait aux exigences de la connaissance et de l’expérience » (CC, 162) ? Le rêve serait ainsi le sol où s’enracinerait le germe du premier arbre de la représentation organique, où s’abreuveraient les racines du système du jugement49.

Le rêve est la condition même de l’imagination ; il est ce qui justement permet d’imaginer, en pleine veille, un outre-monde, nombré, quantifié, régulier, parfait, refuge de la vérité et de l’éternité, où les âmes continueraient à vivre indépendamment des corps qui se corrompent sous l’effet du temps. Et comme remarque pertinemment Michel Foucault, « à travers ce qu’elle imagine, la conscience vise donc le mouvement originaire

du pythagorisme, le situent en marge de la religion officielle … et une doctrine qui affirme que nous devons nous réveiller du sommeil profond dans lequel est plongée notre âme prisonnière du corps : le corps est comme un tombeau de l’âme (sôma sêma, « corps tombeau »). … Ces

croyances pythagoricienne et orphique donnent incontestablement une dimension religieuse à la philosophie de Platon » (nous soulignons). Certes avions-nous fait plus tôt référence aux objections de Luc

Brisson, mais il n’est pas question ici de scruter les intentions inconscientes de Platon, de chercher les vraies origines de ses croyances – cela constitue pour nous, dans le cadre strict de notre étude, un faux problème.

49 Sur la conception arborescente par opposition à la conception rhizomatique, voir

l’introduction « Rhizome » de MP, notamment la description du « Livre ». En vérité, il y a trois distinctions, dont les deux premières composent un premier régime supposant l’opposition de l’Un et du Multiple, que l’on soit du côté de l’Un ou du Multiple : « Livre-racine » et « système radicelle », d’une part, et « rhizome » de l’autre (MP, 11-13).

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qui se dévoile dans le rêve. Rêver n’est donc pas une façon singulièrement forte et vive d’imaginer. Imaginer au contraire, c’est se viser soi-même dans le moment du rêve ; c’est se rêver rêvant » (IB, 140, nous soulignons).

Face à la révélation héraclitienne d’un monde en perpétuel devenir, un monde unique, non divisé, dont l’essence même est le devenir – « Je ne vois rien d’autre que le devenir »50 −, et où la connaissance des essences devrait se trouver, dès lors, compromise,

Platon pose la question : « comment arrivons-nous, bien que nous vivions dans le monde empirique, à pouvoir savoir quelque chose des Idées ? D’où parvenons-nous à l’Egal, au Bien, que nous rencontrons dans la réalité effective ? D’où affirmons-nous cette ressemblance des choses avec l’Idée ? ». Nietzsche explique que c’est ici qu’intervient la théorie de l’immortalité de l’âme :

« Les âmes sont … liées aux corps à titre de châtiment ; le corps est une prison dans laquelle la divinité les a jetées pour les punir …. Lorsque l’âme est séparée du corps, elle mène dans un monde supérieur une existence incorporelle, naturellement, seulement lorsqu’elle s’est montrée digne de ce bonheur ».51

Le corps est, dès lors, rejeté sur le banc des accusés, frein à toute connaissance possible, représentant de la finitude et de la dimension d’abord fautive puis coupable du multiple face à la transcendance de l’Un, de ce même « Un », de ce « Même », de ce « Dieu » que révélait le rêve comme continuité et identité face à la mort : « la mort est le sens absolu du rêve » (IB, 123, nous soulignons).

2.

Le faux infini – Le mythe contre la nature

Mais bien avant Nietzsche, c’est Lucrèce qui le « premier » dénoncera cette dimension religieuse et superstitieuse qui sous-tend la métaphysique, l’image moralisante qui convertit la pensée philosophique à sa racine, en décelant l’origine et les fondements de la croyance en la divinité − l’instauration d’une transcendance.

50 Nietzsche, La philosophie à l’époque tragique des Grecs, Paris, Gallimard, 1870-1873, p. 28. 51 Nietzsche, Introduction à l’étude des dialogues de Platon, op. cit., p. 103.

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Deleuze développe une belle analyse de cette critique radicale dans l’un des appendices à Logique du sens, « Lucrèce et le simulacre », en mobilisant justement les notions de simulacre et de phantasme. Ce qu’expose dans ce texte Deleuze est la dimension éthique qui sous-tend l’ontologie épicurienne – son naturalisme essentiel, qui s’oppose foncièrement à toute velléité totalisante propre notamment au mythe, et dont se revendiquent la philosophie après Socrate :

« La Nature − écrit Deleuze − est précisément la puissance, mais puissance au nom de laquelle les choses existent une à une, sans possibilité de se rassembler toutes à la fois, ni de s’unifier dans une combinaison qui lui serait adéquate ou l’exprimerait tout entière en une fois. Ce que Lucrèce reproche aux prédécesseurs d’Epicure, c’est d’avoir cru à l’Etre, à l’Un et au Tout. Ces concepts sont les manies de l’esprit, les formes spéculatives de la croyance au fatum, les formes théologiques d’une fausse philosophie » (LS, 309)

Aussi, après avoir exposé un à un les huit principes qui régissent la physique atomiste lucrétienne, Deleuze met en avant la dimension proprement philosophique de cette physique, reposant sur « la théorie de l’infini, et des minima temporels et spatiaux », physique qui est avant et après tout une éthique et une pratique : car distinguer le vrai infini du faux relève d’un projet vitaliste. Et c’est là qu’interviennent la théorie des images, ainsi que toute la conception du plaisir et de la douleur, de la passion et de l’action, qui président aux comportements moraux et superstitieux des hommes, troublant leurs âmes plus intensément que la douleur la plus extrême dont pâtissent les corps :

« La fin ou l’objet de la pratique est le plaisir. Or la pratique, en ce sens, nous recommande seulement tous les moyens de supprimer et d’éviter la douleur. Mais nos plaisirs ont des obstacles plus forts que les douleurs elles-mêmes : les fantômes, les superstitions, les terreurs, la peur de mourir, tout ce qui forme le trouble de l’âme. Le tableau de l’humanité est un tableau de l’humanité troublée, terrifiée plus encore que douloureuse …. C’est le trouble de l’âme qui multiplie la douleur ; c’est lui qui la rend invincible, mais son origine est autre et plus profonde. Il est composé de deux éléments : une illusion venue du corps, illusion d’une capacité infinie de plaisirs ; puis une seconde illusion projetée dans l’âme, illusion d’une durée infinie de l’âme elle-même, qui nous livre sans défense à l’idée d’une infinité de douleurs possibles après la mort …. C’est sur cette terre qu’il faut chercher Sisyphe et Tityos ; « c’est ici-bas que la vie des sceaux devient un véritable enfer » ». (LS, 315-316, nous soulignons)

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La crainte, à la fois, de la mort en ce monde-ci, et de l’immortalité dans l’au-delà, ainsi s’énonce la terrible existence des modes finis au sein de l’océan d’imagination du monde des signes spinoziste, du monde du faux infini des phantasmes lucrétien :

« Le trouble de l’âme est donc fait de la peur de mourir quand nous ne sommes pas encore morts, mais aussi de la peur de ne pas être encore mort une fois que nous le serons déjà » (LS, 316).

Il faut, dès lors, tel chez Spinoza, passer par un apprentissage des images et des signes, en précisant leurs différences de nature, leurs fonctions, leurs portées. D’où l’intérêt que porte Deleuze pour la classification des simulacres que propose Lucrèce, à l’instar d’Epicure. Aussi y auraient-ils trois sortes de simulacres, et parmi ceux-ci, la dernière catégorie, celle des phantasmes, nous préoccupera davantage, puisqu’elle se divise en trois types principaux, où l’on trouve les « images-rêve »52 : phantasmes

théologiques, phantasmes oniriques et phantasmes érotiques.

Avant d’exposer leurs spécificités, nous faut-il brièvement revenir sur la définition épicurienne des simulacres ou idoles53, qui s’appuie sur une conception physique

naturaliste − rapport du « clinamen » et du vide comme théorie du temps sous-jacente54

− la genèse des phantasmes :

52 Nous mettons le concept entre guillemets puisqu’ils ne s’agit pas encore des images-rêve au

sens bergsonien, dont Deleuze développe les enjeux dans L’Image-Temps. Cf. Chapitres VII et VIII.

53 Remarquons que chez Platon les images-idoles sont de deux types, différents en nature, les

copies-icônes, d’une part, les simulacres-phantasmes (cf. LS, 296) ; tandis qu’Epicure ne fait pas