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La qualification de droit personnel

SECTION II LE DROIT À L'INTEROPÉRABILITÉ : UN DROIT PERSONNEL

B. La qualification de droit personnel

107. Plan. Le sujet actif du droit à l'interopérabilité peut donc opposer une obligation au sujet passif (1). Il reste à déterminer la nature de cette obligation pour clore l'analyse de la qualification de ce droit (2).

1. L'opposabilité de l'obligation

108. L'opposabilité à l'éditeur de logiciels ou de contenus numériques. A la lecture des développements précédents, un constat s'impose : le consommateur n'est pas le créateur de l'interopérabilité, qui dépend 301 J. Carbonnier, op. cit., p. 183

302 Art. 1101, c. civ. : « le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ».

303 Art. 1382, c. civ. : « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

304 Y. Buffelan-Lanore et V. Larribau-Terneyre, Droit civil, 18e éd., Sirey, 2013, p. 62 : « alors que les droits réels sont limitativement

énumérés par la loi, les droits personnels ou obligations sont innombrables (originairement on appelait obligation la prestation du débiteur, la dette qui s'opposait à la créance, représentant le droit du créancier, mais aujourd'hui, on tend à confondre obligation et droit personnel). Les obligations se forment à chaque instant à la suite de cinq sources traditionnelles : les contrats, les quasi-contrats, les délits, les quasi-délits et la loi (...) ».

nécessairement de l'intervention technique d'un autre acteur. Cet acteur est, de manière évidente, l'éditeur du logiciel305, car c'est lui qui permet au consommateur de créer, d'utiliser et de partager ses données. Il n'est

cependant pas le seul acteur pouvant garantir l'interopérabilité au bénéfice du consommateur. En effet, l'interopérabilité des contenus numériques requiert l'intervention d'un autre tiers, à savoir l'éditeur de contenus numériques306.

109. L'établissement d'un rapport de droit. C'est donc à un éditeur de logiciels ou de contenus numériques, que le consommateur doit s'adresser pour l'effectivité de son droit à l'interopérabilité. L'interopérabilité n'est alors pas, pour le consommateur, un droit sur une chose matérielle ou immatérielle mais bien un rapport de droit entre lui et un éditeur de logiciels ou de contenus numériques.

Ainsi, la seule qualification possible est celle de droit personnel : le consommateur dispose de la faculté d'exiger d'un sujet déterminé l'exécution d'une obligation pour le respect de son droit à l'interopérabilité. L'objet du droit à l'interopérabilité est donc cette obligation à la charge du sujet.

2. La nature de l'obligation

110. L'exclusion d'une obligation de donner. Quelle est précisément cette obligation à la charge de l'éditeur de logiciels ou de contenus numériques ? Une obligation peut être de trois ordres : de donner, de faire ou ne pas faire quelque chose307.

L'obligation de donner porte, d'après les dispositions des articles 1136 et suivants du Code civil, nécessairement sur une chose, qu'elle soit corporelle ou incorporelle. L'interopérabilité n'étant pas une chose en elle-même, il ne peut s'agir d'une obligation de donner à la charge de l'éditeur de logiciels ou de contenus numériques.

111. Une obligation de faire ou de ne pas faire. Est-ce alors une obligation de faire ou de ne pas faire ? S'il s'agit d'une obligation de faire, cela signifie que le tiers a une obligation positive de mise en œuvre de l'interopérabilité ; qu'il doit contribuer à l'interopérabilité. En revanche, s'il s'agit d'une obligation de ne pas faire, cela signifie que l'éditeur de logiciels ou de contenus numériques a une obligation négative, que l'on

305 cf. infra, p. 119 et s. 306 cf. infra, p. 138 et s. 307 Art. 1134 et s., c. civ.

pourrait traduire comme une interdiction de faire obstacle à l'interopérabilité. Or, le débiteur de l'obligation doit-il mettre en œuvre l'interopérabilité ou se contenter de ne pas y faire obstacle ?

La réponse à cette question est à rechercher dans les textes relatifs à la mise en œuvre de l'interopérabilité. Ainsi, par application des dispositions de l'article L. 331-5, alinéa 4 du Code de la propriété intellectuelle, « les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la mise en œuvre effective de l'interopérabilité, dans le respect du droit d'auteur (...) ». Actuellement, les dispositions de loi DADVSI, ont donc instaurées une obligation de ne pas faire obstacle à l'interopérabilité dans un contexte de recours aux mesures techniques de protection308. Il s'agit donc d'une obligation de ne pas faire, combinée à une simple

obligation d'information309.

Se limiter à une obligation de ne pas faire n'est cependant pas satisfaisant pour l'effectivité du droit à l'interopérabilité. C'est pourquoi, nous préconiserons, dans les développements à venir, en droit prospectif, une évolution de la législation vers la consécration d'une obligation de faire, centrée sur l'utilisation de formats de données non protégés, ouverts et interopérables310.

112. Conclusion de la Section. Par application de la catégorisation des droits subjectifs en fonction de l'objet, les qualifications de droit réel, droit de la personnalité et droit intellectuel ont été exclues s'agissant du droit à l'interopérabilité. Nous avons, en revanche, retenu la qualification de droit personnel, en raison de l'opposabilité de la prérogative reconnue à un tiers déterminé, qui dispose des moyens de mettre en œuvre l'interopérabilité.

En l'état du droit positif, ce qui peut précisément être opposé au tiers déterminé, c'est une obligation de ne pas faire obstacle à la mise en œuvre de l'interopérabilité par le recours aux mesures techniques de protection, combinée à une obligation d'information sur l'interopérabilité d'un contenu numérique311. Cette

analyse de la nature de l'obligation à la charge des sujets passifs permet d'identifier, après l'objet du droit à

308 cf. infra, p. 218 et s.

309 Art. L. 111-1, Code de la consommation : « avant que le consommateur ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes : (…) 4° Les informations relatives à son identité, à ses coordonnées postales, téléphoniques et électroniques et à ses activités, pour autant qu'elles ne ressortent pas du contexte, ainsi que, s'il y a lieu, celles relatives aux garanties légales, aux fonctionnalités du contenu numérique et, le cas échéant, à son interopérabilité, à l'existence et aux modalités de mise en œuvre des garanties et aux autres conditions contractuelles. La liste et le contenu précis de ces informations sont fixés par décret en Conseil d’État ». cf. infra, p. 174 et s.

310 cf. infra, p. 268 et s. 311 cf. infra, p. 174 et s.

l'interopérabilité, le deuxième élément d'un « droit de », entendu comme une prérogative précise et juridiquement sanctionnée. Ainsi, le contenu du droit à l'interopérabilité est actuellement délimité, dans son mode et dans son étendue, par cette obligation de ne pas faire obstacle à l'interopérabilité dans un contexte de recours aux mesures techniques de protection et par l'obligation d'information du consommateur.

113. Conclusion du Chapitre. La démarche de qualification juridique se conclut par l'examen de la catégorisation du droit à l'interopérabilité. Ainsi, le droit à l'interopérabilité est un droit subjectif, entendu selon la théorie d'Ihering comme un « intérêt juridiquement protégé », et plus précisément une prérogative précise et juridiquement sanctionnée avec un objet, un contenu, un sujet actif et un sujet passif.

Ce droit relève de la catégorie des droits personnels, définis comme les droits offrant au titulaire, le créancier, la capacité d'exiger d'une personne déterminée, le débiteur, l'exécution d'une obligation. En effet, ce n'est pas le consommateur qui est le créateur de l'interopérabilité mais bien un acteur du secteur du numérique, qui lui fournit les éléments matériels ou immatériels permettant l'échange de données interopérables. Cet acteur est, en premier lieu, l'éditeur de logiciels et, en second lieu, l'éditeur de contenus numériques. Dès lors, le consommateur doit solliciter de ces derniers l'exécution de leur obligation de mettre en œuvre de l'interopérabilité et c'est en ce sens qu'il existe un rapport de droit entre deux sujets, caractéristique d'un droit personnel.

114. Conclusion du Titre. L'interopérabilité est une notion restée longtemps inconnue des juristes et réservée aux seuls initiés des technologies de l'information et de la communication. De ce fait, la notion d'interopérabilité, bien que mentionnée à de multiples reprises dans divers textes réglementaires et législatifs, est mal appréhendée par le droit. L’interopérabilité est ainsi juridiquement mais insuffisamment définie par la directive 91/250/CEE comme « la capacité d'échanger des informations et d'utiliser mutuellement les informations échangées »312.

On préférera alors définir l'interopérabilité de manière plus précise, sans pour autant retenir l'ensemble des éléments techniques utiles à la compréhension de la notion d'interopérabilité, comme la capacité d'éléments matériels ou immatériels à échanger des données et à utiliser mutuellement les données échangées, par le recours à des standards ouverts de communication.

Cependant, la place croissante des technologies de l'information et de la communication dans la société a fait émerger de nouveaux besoins du consommateur, parmi lesquels celui de l'interconnexion de ses outils numériques et la pleine maîtrise de ses données, besoins qui ne peuvent se concevoir sans interopérabilité. De ce fait, l'interopérabilité est bien plus qu'une simple exigence technique sur le marché des technologies de l'information et de la communication, ce qui nécessite une évolution du droit vers une meilleure appréhension de la notion, afin de la distinguer de celles voisines telles que la compatibilité, la complémentarité, la connexion et l'accessibilité.

Or, dans la mesure où la société connaît une évolution majeure vers le tout numérique, l'appréhension de la définition, mais également de la qualification juridique, est amenée à évoluer. Ainsi, l'interopérabilité constitue un droit subjectif personnel, opposable à l'éditeur de logiciels ou de contenus numériques, en mesure de la garantir, précis et juridiquement sanctionné. Dès lors, il convient de poursuivre l'étude par la présentation des sujets de ce droit, à savoir le sujet actif, d'une part, et les sujets passifs, d'autre part.

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