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L'application de la conception du consommateur moyen au droit à l'interopérabilité

SECTION I LA DÉFINITION DU CONSOMMATEUR, SUJET ACTIF DU DROIT A L'INTEROPERABILITE

B. L'application de la conception du consommateur moyen au droit à l'interopérabilité

135. La conception jurisprudentielle européenne du consommateur « moyen ». Une dernière question est à aborder s'agissant de la détermination du sujet actif du droit à l'interopérabilité : devons-nous exclure du bénéfice du droit à l'interopérabilité les consommateurs disposant de connaissances techniques suffisantes pour pallier un défaut d'interopérabilité ? Cette question mérite d'être posée car, depuis l'adoption de la directive 84/450/CEE du 10 septembre 1984 en matière de publicité trompeuse370, et plus particulièrement

depuis la position de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE)371, la conception de

société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), JOCE n° L178 du 17 juill. 2000, p. 0001- 0016.

367 Art. 2.e, directive 2000/31/CE.

368 Sur la définition du commerce électronique, cf. P. Le Tourneau (P.), Contrats informatiques et électroniques, Dalloz référence, 8e

éd. 2013, p. 393 et s.

369 Art. 14 et suivants, Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

370 Directive 84/450/CEE du Conseil du 10 septembre 1984 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité trompeuse, JOCEE n° L 250 du 19 sept. 1984, p. 0017- 0020.

consommateur « moyen » a été consacrée.

Ainsi, dans un arrêt du 16 juillet 1998372, la CJCE, saisie de l'applicabilité des dispositions de la directive sur la

publicité trompeuse, devait répondre à la question préjudicielle suivante, posée par le Bundesverwaltungsgericht, la Cour administrative fédérale allemande : « est-ce la conception du consommateur moyen informé qui compte ou celle du consommateur superficiel ? » La CJCE a adopté une position claire sur ce point, à savoir qu'il convient de se reporter aux attentes « d'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé » pour apprécier l'applicabilité des dispositions de cette directive.

Cette position est désormais la référence quant à l'appréciation du champ d'application des différents textes visant à la protection du consommateur. A titre d'illustration, d'après la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales, « il convient de protéger tous les consommateurs des pratiques commerciales déloyales (...)»373 et donc de se référer aux effets d'une pratique commerciale « pour un

consommateur typique fictif (..) »374 et de retenir « comme critère d'évaluation le consommateur moyen qui

est normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, compte tenu des facteurs sociaux, culturels et linguistiques, selon l'interprétation donnée par la Cour de justice »375.

136. La conception jurisprudentielle nationale du consommateur « moyen ». Sur ce fondement, la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 janvier 2014376, a confirmé que l'appréciation d'une pratique telle que

372 CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-210/96, Recueil de jurisprudence 1998, p. I-04657, RTD Com. 1998 p. 995, obs. M. Luby. 373 Cons. 18, directive 2005/29/CE.

374 Ibid. 375 Ibid.

376 Civ. 1ère, 22 janvier 2014, Laurent G. / DARTY, n° 12-20.982, CCC 2014, n° 145, obs. Raymond; CCE 2014, n° 37, obs. Loiseau :

« Attendu, selon le jugement attaqué, rendu sur renvoi après cassation (1er civ, 15 novembre 2010, pourvoi n°08-20.227), que M. G. a acquis le 6 juin 2006 auprès de la société Darty et fils (la société), un ordinateur portable équipé de logiciels préinstallés tout en refusant de souscrire aux contrats de licence lors de la mise en service de l’ordinateur ; qu’ayant vainement sollicité le remboursement du prix de ces logiciels auprès de la société, M. G. a assigné celle-ci en paiement ; (…) Vu l’article 7 de la Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 ; Attendu qu’interprétant à la lumière de la Directive précitée l’article L. 122-1 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, le jugement retient que M. G. est membre actif d’une association ayant pour but de lutter contre les ventes liées de logiciels et gérant d’une société dont l’activité est directement liée aux systèmes et produits informatiques, matériel, logiciel et réseau, en sorte qu’il n’est pas un consommateur moyen au sens de l’article 7 de la Directive, lequel dispose que l’omission trompeuse est constituée notamment lorsqu’un professionnel omet une information substantielle dont le consommateur moyen a besoin, compte tenu du contexte, pour prendre une décision commerciale en connaissance de cause et, par conséquent, l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement ; Qu’en statuant ainsi, alors que l’existence d’une omission trompeuse au sens de l’article 7 de la Directive doit être appréciée au regard d’un consommateur moyen, sans avoir égard aux qualités propres du consommateur ayant conclu le contrat litigieux, la juridiction de proximité a violé, par fausse application, le texte susvisé ; Par ces motifs : Casse et annule ».

l'omission trompeuse, en matière de technologies de l'information et de la communication, devait s'opérer au regard du consommateur moyen et non par rapport aux connaissances techniques d'un consommateur que l'on pourrait qualifier d'averti. Il est donc exclu d'apprécier les connaissances techniques d'un consommateur, s'agissant de l'examen de la réalité d'une pratique commerciale déloyale en matière de technologies de l'information et de la communication.

Par cet arrêt du 22 janvier 2014, la Cour de cassation opère manifestement une utilisation peu ordinaire de la conception du consommateur moyen. En effet, de manière habituelle, la conception du consommateur moyen est évoquer pour écarter l'examen de l'applicabilité des textes par rapport au consommateur le moins averti. Or, en l'espèce, c'est l'inverse : il s'agit d'écarter la possibilité d'un examen de l'applicabilité des textes par rapport au consommateur le plus averti, le plus compétent en matière de technologies de l'information et de la communication.

137. L'extension de la conception du consommateur « moyen » au droit à l'interopérabilité. Par une interprétation extensive de la position de la Cour de cassation, nous pouvons aussi conclure que les connaissances techniques d'un sujet ne sont pas à prendre en considération s'agissant de l'application d'un régime protecteur du consommateur en matière de technologies de l'information et de la communication. Le consommateur moyen est donc la référence en la matière, y compris s'agissant du droit à l'interopérabilité.

Dès lors, les consommateurs ayant des connaissances techniques leur permettant de pallier un défaut d'interopérabilité ne devraient pas être exclus du champ d'application du droit à l'interopérabilité. La qualité de sujet actif du droit à l'interopérabilité s'apprécie en fonction de l'activité, professionnelle ou non- professionnelle, du sujet au moment de la mise de œuvre du droit à l'interopérabilité et non en fonction de ses compétences.

138. Conclusion de la Section. Longtemps, aucune définition juridique du consommateur n'a été posée. La doctrine, sans être unanime, est venue pallier l'absence de définition juridique, avant l'établissement d'une définition européenne, en particulier par la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011, aux termes de laquelle le consommateur est défini de manière générale comme « toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale »377.

En France, il a fallu attendre la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation pour poser une définition légale du consommateur identique à celle de la directive précitée et placée à l'article préliminaire du Code de la consommation.

Malgré les critiques qui peuvent être formulées à l'encontre de cette définition procédant à la caractérisation du consommateur par opposition au professionnel, c'est bien cette définition juridique générale du consommateur qui trouve à s'appliquer au droit à l'interopérabilité. On exclut par ailleurs la nécessité d'une définition spécifique du consommateur en matière d'outils et de technologies de l'information et de la communication et donc plus spécifiquement en matière d'interopérabilité.

Enfin, il est fait application de la définition générale du consommateur sans catégorisation de différents types de consommateurs. En définitive, tout consommateur, « personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale » serait potentiellement un sujet actif du droit à l'interopérabilité, peu importe les connaissances techniques dont chacun peut disposer et permettant de pallier un défaut d'interopérabilité. Ainsi, la démonstration se poursuit par l'examen du bien fondé de la qualification du consommateur en tant que sujet actif du droit à l'interopérabilité.

SECTION II - LA QUALIFICATION DU CONSOMMATEUR EN TANT QUE SUJET ACTIF DU

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