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L'exclusion de la qualification de droit réel

SECTION II LE DROIT À L'INTEROPÉRABILITÉ : UN DROIT PERSONNEL

A. L'exclusion de la qualification de droit réel

95. La définition des droits réels. Le mot « réel » a pour origine l'expression latine realis de res, la chose. Dans une première approche, un droit réel est donc un droit qui porte sur une chose et non sur une personne269. Juridiquement, la chose est un bien et, plus précisément, et pour beaucoup, un « bien

matériel »270, c'est-à-dire un élément ayant une existence physique271. Ainsi, « selon la théorie classique, les

droits qui portent sur des biens matériels (choses) sont appelés droits réels (...) »272.

Le doyen Carbonnier a eu une analyse différente de la notion de chose, objet du droit réel. Pour ce dernier, le droit réel est « le pouvoir juridique exercé directement sur une chose et permettant d'en retirer tout ou partie de ses utilités économiques ». Pour cet auteur, la notion de chose renvoie à celle de biens, divisés en deux grandes catégories : les immeubles et les meubles, ceux-ci étant eux-mêmes subdivisés en deux catégories, à savoir les meubles corporels, d'une part, et les meubles incorporels, d'autre part273. En d'autres termes,

d'après le doyen Carbonnier, un droit réel porte sur des immeubles, des meubles corporels et des meubles

269 G. Cornu et alii, Vocabulaire juridique, in Ass. Capitant, 8e éd., PUF, 2000, cf. Réel : « droit qui porte directement sur une chose

(jus in re) et procure à son titulaire tout ou partie de l'utilité économique de cette chose (...) ». 270 J. Ghestin et G. Goubeaux, op. cit., p. 174.

271 J. Dabin, op. cit., p. 177 : « les choses les plus faciles à définir, en raison de leur nature essentiellement finie, sont les choses matérielles, meubles et immeubles. La plupart d'entre elles ont un corps solide ; d'autres sont de matière plus fluide, tels le gaz, l'électricité, les ondes radiophoniques, mais néanmoins sensibles et susceptibles de possession privative ».

272 P. Voirin et G. Goubeaux, Droit civil, tome 1, 34e éd., LGDJ 2013, p. 39.

incorporels. Dès lors, compte tenu de cette analyse, il n'y aurait pas lieu de limiter le champ d'application de la qualification de droit réel aux seuls biens matériels puisque sont inclus, dans la définition juridique d'un bien, les meubles incorporels.

Néanmoins, dans les développements à venir sur le droit à l'interopérabilité, nous ne nous joindrons pas à cette analyse et préférerons nous accorder avec la présentation quadripartite déjà exposée, aux fins de distinction des biens matériels et des biens immatériels. Nous classerons donc les biens immatériels dans la catégories des droits intellectuels et non dans celle des droits réels.

Ainsi, un droit réel, sous réserve de la controverse quant à l'étendue de la définition de la chose, sera défini comme un droit portant sur une chose, bien matériel. L'objet du droit est donc précisément la chose. L'exemple ordinairement présenté est celui du droit de propriété274. En effet, le titulaire du droit, le

propriétaire, a le droit, dans la limite de la légalité, de disposer librement de son bien275. En outre, un droit

réel est dit absolu, ce qui signifie que le titulaire du droit « peut retirer toutes les utilités de la chose »276. Un

tel droit est également opposable à tous, sans qu'un sujet passif puisse être déterminé277. En résumé, un droit

réel est établi par le lien entre une personne et une chose.

96. L'exclusion de la qualification du droit à l'interopérabilité de droit réel. Compte-tenu de la définition des droits réels précédemment exposée, on doit déterminer si l'objet du droit à l'interopérabilité porte sur un bien matériel, afin d'apprécier si la qualification de droit réel lui est applicable.

Or, ce n'est visiblement pas le cas. En effet, comme il a été vu précédemment, il faut distinguer l'interopérabilité matérielle278, entre deux éléments physiques, de l'interopérabilité logicielle279, entre deux

274 J. Rochfeld, op. cit., p. 160 ; J. Ghestin et G. Goubeaux, op. cit., p. 174.

275 Il est établi l'existence d'un droit de suite, de la possibilité de l'exercice du droit à l'égard de la chose même si celle-ci a changé de main, et d'un droit de préférence au bénéfice du titulaire, correspondant au fait que ce dernier sera privilégié dans le versement des fruits de la vente de la chose. L'autonomie d'un droit de préférence et d'un droit de suite est remis en cause par Dabin, op. cit., p. 180 : « quant au droit de suite d'abord, il se confond avec la notion de droit réel, à laquelle il n'ajoute rien. (…) si son droit est contesté, il agira en revendication ; et ce n'est pas là « suivre » la chose mais seulement affirmer son droit vis-à-vis d'autrui. (…) Quant au droit de préférence, il est non seulement inutile, mais contradictoire : le titulaire de droit réel, quand celui-ci est principal, ne saurait avoir ni préférence ni priorité pour cette raison qu'il n'entre et n'a à entrer en concours avec personne (...) ». 276 J. Rochfeld, op. cit., p. 160.

277 Contra. Pour Planiol, tout droit est un rapport entre deux personnes, un sujet actif et un sujet passif, et tout droit réel est un droit personnel car il constitue une « obligation passive universelle ». A titre d'illustration, pour le droit de propriété, le sujet passif est l'ensemble de la société devant respecter la propriété du sujet actif, cf. M. Planiol, G. Ripert et J. Boulanger, Traité élémentaire de Droit civil, Tome 1er, 1901.

278 cf. supra, p. 54. 279 cf. supra, p. 55.

logiciels. Pour le cas de l'interopérabilité logicielle, il ne peut s'agir d'un droit réel, un logiciel n'ayant pas de consistance physique. Quant à l'interopérabilité matérielle, il doit être rappelé qu'elle est impossible sans interopérabilité logicielle, le recours à un logiciel étant nécessaire pour signifier aux matériels qu'ils peuvent interopérer. Dès lors, l'interopérabilité matérielle dépendant également de la programmation de logiciels entrant en communication, il ne peut être soutenu que l'objet du droit à l'interopérabilité porte sur un bien matériel.

De ce fait, la qualification de droit réel, strictement entendue, ne peut être retenue pour le cas du droit à l'interopérabilité. Si le droit à l'interopérabilité ne porte pas sur un matériel matériel se pose en revanche la question de savoir si ce droit a pour objet un bien immatériel, et plus particulièrement un logiciel. Si tel était le cas la qualification de droit intellectuel serait retenue.

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