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L'interopérabilité, un intérêt juridiquement protégé

SECTION I LE DROIT À L'INTEROPÉRABILITÉ : UN DROIT SUBJECTIF

A. L'interopérabilité, un intérêt juridiquement protégé

80. Plan. La démonstration du bien fondé de la qualification de l'interopérabilité de droit subjectif s'articule en toute logique selon deux axes : elle constitue un « intérêt » (1) « juridiquement protégé » (2).

1. L'interopérabilité, un « intérêt »

81. L'interopérabilité, un « intérêt » du professionnel. Il doit être noté, qu'il existe deux versants de l'intérêt que constitue l'interopérabilité, et cela en fonction des acteurs considérés, à savoir les professionnels,

240 Loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, JORF n° 55 du 6 mars 2007, p. 4190. Depuis l'entrée en vigueur de la loi DALO, le droit au logement opposable a rejoint la catégorie des « droits de ».

d'une part, et les consommateurs, d'autre part.

S'agissant des professionnels, d'après le Professeur Bruguière, l'interopérabilité constitue bien un « intérêt » car elle est nécessaire à l'accès des « opérateurs »241 au marché des technologies de l'information et de la

communication et à la préservation d'un contexte concurrentiel sur ce marché. Le droit à l'interopérabilité est ainsi un « droit à pouvoir faire concurrence et doit être ici rattaché à la liberté du commerce et de l'industrie »242. Selon une analyse similaire, livrée par Maître Pichaud, le droit à l'interopérabilité peut se

définir « comme un droit à communication sur des éléments indispensables »243 et, s'agissant de sa finalité, a

« vocation à faire primer les impératifs concurrentiels et à permettre le verrouillage de marché interdisant cet échange d'informations »244.

L'interopérabilité est donc indéniablement un « intérêt » pour les professionnels du marché des technologies de l'information et de la communication car elle garantit qu'aucun acteur économique majeur ne puisse contrôler l'accès à ce marché en étant le seul à choisir les outils et technologies pouvant fonctionner avec les siens.

82. L'interopérabilité, un intérêt du consommateur. S'agissant du consommateur, l'interopérabilité est également un « intérêt » dans la mesure où elle lui permet de ne pas se retrouver bloquer dans l'usage d'outils et technologies déterminés. L'interopérabilité donne par conséquent le pouvoir au consommateur de choisir son mode d'utilisation des technologies de l'information et de la communication. L’interconnexion des outils numériques, qu'exige aujourd'hui tout consommateur, dépend en effet de la mise en œuvre de l'interopérabilité dès l'instant où lesdits outils ne peuvent « se comprendre » qu'en utilisant des format de données ouverts245. De même, la libre disposition, par le consommateur, de ses données numériques n'est

effective que dans un contexte d'interopérabilité dès lors qu'il peut en disposer dans un format accepté par tout support, quelque soit son fabricant et les logiciels qu'il contient. Compte tenu de ces éléments, on peut soutenir que l'interopérabilité constitue un « intérêt » à la fois pour les professionnels et pour les consommateurs sur le marché des outils et technologies de l'information et de la communication.

241 J.-M. Bruguière, « Le droit à l'interopérabilité », Comm. Com. Electr., fév. 2007, étude 3. 242 Ibid.

243 M.-A. Pichaud, « Fasc. 4540 : droit de la concurrence et informatique », JCI Communication, 1er oct. 2008.

244 Ibid.

2. L'interopérabilité, un « intérêt juridiquement protégé »

83. Une protection juridique par la procédure d'accès aux informations essentielles à l'interopérabilité. L'interopérabilité bénéficie d'une protection juridique, par l'instauration de l' Autorité de Régulation des Mesures Techniques de protection (ARMT), fusionnée aujourd'hui dans l'HADOPI246. Elle peut

être saisie pour le règlement des litiges relatifs à l'accès aux informations essentielles à l'interopérabilité des mesures techniques de protection. L'objet de cette Autorité est en effet de « garantir l'interopérabilité des systèmes et des services existants, dans le respect des droits des parties, et d'obtenir du titulaire des droits sur la mesure technique les informations essentielles à cette interopérabilité »247.

Une Autorité a donc été spécifiquement créée par le législateur français pour la garantie de l'interopérabilité, dans un contexte de recours aux mesures techniques de protection248. Ses fonctions ne se limitent pas, du fait

de son pouvoir de sanction249, à la seule recherche d'une solution de conciliation. Aussi, grâce à l'existence

d'une telle Autorité, il est établi que l'interopérabilité dispose d'une protection juridique spécifique et donc que cet « intérêt » est « juridiquement protégé ».

Cependant, par application des dispositions de l'article L. 331-32, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle, la saisine de cette autorité de régulation est réservée, nous le verrons, aux éditeurs de logiciels, aux fabricants de systèmes techniques et aux exploitants de services250, à l'exclusion donc des

consommateurs. Dès lors, il n'est pas possible de qualifier l'interopérabilité d'« intérêt juridiquement protégé » pour le consommateur sur le fondement de cette saisine. Mais cela ne signifie pas pour autant renoncer au bénéfice du droit à l'interopérabilité pour le consommateur.

246 cf. supra, p. 23. 247 Art. L. 331-31, al. 1, CPI. 248 cf. infra, p. 247 et s.

249 Art. L. 331-32, al. 5, CPI : « la Haute Autorité a le pouvoir d'infliger une sanction pécuniaire applicable soit en cas d'inexécution de ses injonctions, soit en cas de non-respect des engagements qu'elle a acceptés. Chaque sanction pécuniaire est proportionnée à l'importance du dommage causé aux intéressés, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné et à l'éventuelle réitération des pratiques contraires à l'interopérabilité. Elle est déterminée individuellement et de façon motivée. Son montant maximum s'élève à 5 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques contraires à l'interopérabilité ont été mises en œuvre dans le cas d'une entreprise et à 1, 5 million d'euros dans les autres cas ».

Art. L. 331-35, al. 2, CPI : « à défaut de conciliation dans un délai de deux mois à compter de sa saisine, la Haute Autorité, après avoir mis les intéressés à même de présenter leurs observations, rend une décision motivée de rejet de la demande ou émet une injonction prescrivant, au besoin sous astreinte, les mesures propres à assurer le bénéfice effectif de l'exception. L'astreinte prononcée par la Haute Autorité est liquidée par cette dernière ».

250 Art. L. 331-32, al. 1, CPI : « Tout éditeur de logiciel, tout fabricant de système technique et tout exploitant de service peut, en cas de refus d'accès aux informations essentielles à l'interopérabilité, demander à la Haute Autorité de garantir l'interopérabilité des systèmes et des services existants, dans le respect des droits des parties, et d'obtenir du titulaire des droits sur la mesure technique les informations essentielles à cette interopérabilité (...) ».

84. Une protection juridique par la procédure de droit commun. En effet, la protection juridique de l'interopérabilité ne se limite pas à la seule faculté de saisine de l'Autorité de régulation. Ainsi, il sera démontré par la suite251, sur le fondement notamment de la décision du Conseil constitutionnel relative à la

loi DADVSI252, que la protection juridique de l'interopérabilité va bien au-delà de la procédure de

communication des informations essentielles à l'interopérabilité devant l'HADOPI. L'interopérabilité constitue donc également un « intérêt juridiquement protégé » pour le consommateur.

Par conséquent, la présence des éléments caractéristiques retenus par Ihering étant établie, la qualification de droit subjectif peut, à notre sens, être retenue pour l'interopérabilité, que ce soit pour les professionnels ou pour les consommateurs, et ce droit sera qualifié de « droit de ».

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