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L'interopérabilité, un « intérêt juridiquement protégé » du consommateur

SECTION II LA QUALIFICATION DU CONSOMMATEUR EN TANT QUE SUJET ACTIF DU DROIT A L'INTEROPERABILITE

B. L'interopérabilité, un « intérêt juridiquement protégé » du consommateur

148. L'étendue de la protection juridique de l'interopérabilité. Aux dires mêmes du Conseil constitutionnel, il ne faut pas se focaliser sur la procédure relative à l'accès aux informations essentielles à l'interopérabilité pour appréhender la protection juridique de l'interopérabilité au bénéfice du consommateur. La demande du consommateur, contrairement aux éditeurs de logiciels, fabricants de systèmes techniques et exploitants de services, n'est en effet pas celle d'un tel accès mais plutôt celle d'une mise en œuvre effective de l'interopérabilité des outils et systèmes qu'il peut utiliser. Cette demande est à formuler devant les « juridictions compétentes »393.

Quelles sont les Juridictions que le Conseil constitutionnel vise ? La décision portant sur les moyens juridiques à la disposition du consommateur pour la défense de son « intérêt » à l'interopérabilité, il s'agit à l'évidence de juridictions compétentes pour statuer sur des litiges en matière de droit de la consommation et de droit des contrats. Ces dernières seront évoquées par la suite dans les développements relatifs à la mise en œuvre du droit à l'interopérabilité394.

La protection juridique de l'interopérabilité comporte donc deux aspects bien distincts. D'un côté, elle peut prendre la forme d'une saisine d'une Autorité spécifique sur la question de l'accès aux informations essentielles, réservée actuellement aux seuls éditeurs de logiciels, fabricants de systèmes techniques et exploitants de services, professionnels ou non. D'un autre côté, la protection juridique de l'interopérabilité pour les consommateurs doit relever de la compétence des juridictions statuant en matière de droit de la consommation et de droit des contrats. Seul ce second régime juridique de l'interopérabilité est potentiellement accessible au consommateur, en l'état du droit positif et constitue la protection juridique

392 A. Lucas, H.-J. Lucas et A. Lucas-Schloetter, Traité de la propriété littéraire et artistique, 4e éd., Lexisnexis, 2012, p. 793.

393 cf. supra, p. 113. 394 cf. infra, p. 291 et s.

actuelle au sens de la définition du droit subjectif d'Ihering.

149. L'évolution de l'étendue de la protection juridique de l'interopérabilité. Quant à la protection juridique du droit à l'interopérabilité par une autorité spécifique, des voix s'élèvent, aujourd'hui, pour supprimer la distinction entre acteurs des technologies de l'information et de la communication, d'une part, et consommateurs, d'autre part : le consommateur devrait pouvoir saisir l'Autorité en charge de l'accès aux informations essentielles à l'interopérabilité. L'HADOPI elle-même préconise l'ouverture de la saisine aux associations agréées de consommateurs395, recommandation reprise dans le Rapport Lescure396. Un certain

consensus sur la protection juridique de l'interopérabilité, au profit du consommateur, est donc établi et ne demande qu'à être mis en application.

150. Conclusion de la Section. Pour retenir la qualification juridique de sujet actif du droit à l'interopérabilité pour le cas du consommateur, nous avons démontré, pour ce sujet, la réunion des deux éléments caractéristiques d'un droit identifiés par Ihering, à savoir un intérêt et une protection juridique.

L'intérêt du consommateur est identifié comme celui d'une interconnexion et d'une maîtrise des outils numériques ainsi que d'un contrôle de ses données. S'agissant de la protection juridique, en l'état du droit positif, elle n'est pas garantie par l'HADOPI, pour le cas du consommateur. En effet, nous l'avons vu, la saisine de cette autorité est réservée, par application des dispositions de l'article L. 331-32 du Code de la propriété intellectuelle, aux éditeurs de logiciels, fabricants de systèmes techniques et exploitants de services.

Cela ne signifie cependant pas que l'intérêt d'interopérabilité du consommateur ne soit pas juridiquement protégé. A suivre le Conseil constitutionnel, cette protection juridique relève non pas de la compétence de l'HADOPI mais de celle des juridictions statuant en matière de droit de la consommation. Il existe donc bel et bien une protection juridique de l'intérêt du consommateur à l'interopérabilité. Dès lors, la preuve de la réunion des éléments caractéristiques d'un droit subjectif étant rapportée, le consommateur est qualifié de

395 Avis n° 2013-2 de l'HADOPI, rendu sur saisine de l'association VideoLAN, 8 avril 2013 : « afin de mieux réaliser l'objectif d'interopérabilité poursuivi par le législateur lors de l'adoption de la loi DADVSI de 2006, la Haute autorité recommande une modification des dispositions de l'article L.331-36 du Code de propriété intellectuelle, consistant à étendre aux associations agréées de consommateurs la possibilité de saisir la Haute autorité pour toute demande d'avis relative à l'interopérabilité ». 396 Rapport Lescure, op. cit., p. 200 : « (…) il serait légitime d'ouvrir aux consommateurs et aux associations qui les représentent la

possibilité de saisir le régulateur de toute question relative à l'interopérabilité. En effet, avant d'être un droit reconnu aux éditeurs de logiciels, celle-ci est avant tout une garantie visant à protéger l'utilisateur final, qui ne doit pas voir ses usages entravés au-delà de ce qu'exige le strict respect des droits d'auteur et des droits voisins ».

Dans ce rapport, il est rappelé qu'est utilisé le terme « droit reconnu » s'agissant de l'interopérabilité au profit des professionnels, confirmant ainsi le rejet de la thèse selon laquelle il n'existe pas de droit à l'interopérabilité.

sujet actif du droit à l'interopérabilité.

151. Conclusion du Chapitre. Le consommateur est défini de manière générale, par application des dispositions de l'article préliminaire du Code de la consommation, comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ». Tout consommateur est potentiellement un sujet actif du droit à l'interopérabilité puisque la conception du consommateur moyen, sans prise en considération des connaissances techniques d'une personne déterminée, lui est appliquée.

Or, initialement exclu du cercle des sujets actifs du droit à l'interopérabilité, par certains auteurs tels que les Professeurs Bruguière et Vivant, ainsi que les Professeurs Lucas et Lucas-Schloetter, le consommateur acquiert cette qualification aujourd'hui en raison de l'évolution de l'usage des outils et technologies de l'information et de la communication.

On note cependant que cette évolution sociale ne s'est pas encore accompagnée d'une modification des dispositions législatives et réglementaires relatives au droit à l'interopérabilité, ce qui est à regretter. Le régime juridique actuel n'a ainsi pas été réformé depuis 2006 alors que s'est imposée partout l'interconnexion des outils numériques. Le cadre juridique n'est donc plus adapté à la société et ne prend en particulier pas en considération les besoins des consommateurs. Aussi, cette démonstration de la qualification juridique du consommateur de sujet actif du droit à l'interopérabilité n'est que le préalable indispensable à une proposition d'évolution du régime juridique du droit à l'interopérabilité pour une prise en considération des besoins et attentes de ce dernier. Une dernière étape est essentielle, avant l'examen plus avant du régime juridique du droit à l'interopérabilité : l’identification des sujets passifs de ce droit.

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