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L'exclusion des qualifications de droit de la personnalité et de droit intellectuel

SECTION II LE DROIT À L'INTEROPÉRABILITÉ : UN DROIT PERSONNEL

B. L'exclusion des qualifications de droit de la personnalité et de droit intellectuel

97. Plan. Dabin et Messieurs Ghestin et Goubeaux, notamment, ont adopté une présentation quadripartite des droits subjectifs, en ajoutant aux catégories issues de la conception dualiste (droits réels et droits personnels) les droits de la personnalité et les droits intellectuels280. Cette présentation est aujourd'hui

exposée comme celle des droits dits intermédiaires. La structuration de l'analyse autour de quatre catégories permet une meilleure précision dans la classification des droits subjectifs. On exclura cependant la qualification du droit à l'interopérabilité comme droit de la personnalité (1) ou comme droit intellectuel (2).

1. L'exclusion de la qualification de droit de la personnalité

98. La définition des droits de la personnalité. La catégorie des droits de la personnalité regroupe les « droits inhérents à la personne humaine qui appartiennent de droit à toute personne physique (innés et inaliénables) pour la protection de ses intérêts patrimoniaux »281. Ils portent sur la personne même du sujet

actif, du titulaire du droit. Feraient partie de cette catégorie le droit au respect de la vie privée282, à l'image, à

l'intégrité physique, à l'honneur, à la réputation, à la présomption d'innocence, etc.283

280 J. Dabin, op. cit., p. 169 - 196 ; J. Ghestin et G. Goubeaux, op. cit., p. 174 -180.

281 G. Cornu et alii, Vocabulaire juridique, in Ass. Capitant, 8e éd., PUF, 2000, cf. Personnalité.

282 Art. 9, Code civil.

283 J. Dabin, op. cit., p. 170-172 : « en premier lieu, l'être du sujet : son corps et ses membres, mais aussi ses convictions et ses affections, sa pudeur et son sens esthétique, son intimité, son honneur ( sa « consistance en autrui »), les traits de son « personnage » physique et moral. Autant de valeurs strictement personnelles en ce qu'elles tiennent au sujet lui-même, sans pouvoir être détachées de sa personne à moins de mutilation ou de diminution. Mais vivre, pour l'homme, ce n'est pas seulement conserver intact son être : c'est aussi déployer les puissances et satisfaire les aspirations de son être, bref agir, et, puisque l'homme est un être raisonnable, agir de façon autonome. Ici se profile le champ illimité des libertés externes (…) Cependant, la

99. La controverse relative à la catégorie des droits de la personnalité. Bien que très controversée, l'existence de cette catégorie de droits est incontestable284. En revanche, pour d'autres auteurs, elle est mal

fondée, en raison d'un défaut d'homogénéité du régime des droits précédemment exposés, les uns pouvant faire l'objet d'une exploitation financière, les autres n'étant finalement que la sanction d'une atteinte morale285.

Malgré cette absence d'homogénéité, on peut néanmoins considérer que ce n'est pas un obstacle à la reconnaissance de cette catégorie286, ces droits pouvant difficilement être intégrés aux catégories des droits

réels ou des droits personnels. En effet, ils ne constituent ni un droit sur un bien matériel, ni un droit résultant d'une obligation dont un tiers serait tenu. Dès lors, évoquer l'existence d'une telle catégorie ne parait nullement constituer une hérésie juridique.

100. L'exclusion de la qualification de droit de la personnalité. De manière flagrante néanmoins, le droit à l'interopérabilité ne peut être qualifié de droit de la personnalité. En effet, l'interopérabilité n'est pas un attribut de son titulaire, qui porte sur sa personne même. L'exclusion de la qualification de droit intellectuel s'avère, quant à elle, moins évidente.

2. L'exclusion de la qualification de droit intellectuel

101. La définition des droits intellectuels. « Les droits intellectuels ne sont ni des droits réels, ni des droits personnels. Les droits intellectuels ne s'exercent ni contre une personne, ni sur une chose, tout au moins une chose matérielle »287. L'expression « droit intellectuel » est le « nom parfois donné aux propriétés

incorporelles dont l'objet est purement intellectuel, immatériel (…) »288. Les droits intellectuels sont donc les

personnalité du sujet ne se limite pas aux attributs de la nature humaine commune à tous les hommes. Elle englobe les éléments composants des personnalités « secondes », qui situent le sujet sur le plan social (…) ».

Ces droits, contrairement aux droits réels, sont, en principe, incessibles et insaisissables. Ils ne s'agit pourtant pas uniquement de droits de protection pour lesquels le titulaire ne peut agir qu'en cas de violation. En effet, ce dernier peut tirer un bénéfice de l'utilisation de certains objets de sa personnalité tels que son image ou la diffusion d'informations relatives à sa vie privée. 284 J. Ghestin et G. Goubeaux, op. cit., p. 179-180.

285 J. Rochfeld, op. cit., p. 164-165. .

286 J. Dabin, op. cit., p. 174 : « il va de soi d'ailleurs que le rapprochement sous une même rubrique des droits divers qui ont pour objet la personne elle-même, ne doit pas nécessairement conduire à leur appliquer à tous le même régime, qu'il importe au contraire de les traiter chacun selon son espèce particulière, en fonction non de la catégorie abstraite, mais des exigences de justice et d'utilité qui dominent l'interprétation juridique ».

287 H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons de droit civil, introduction à l'étude du droit, 12e éd., Montchrestien, 2000, p. 281.

droits ayant pour objet des biens immatériels ou incorporels289.

Selon Dabin, il s'agit d'une catégorie bien distincte des autres : « aux droits de la personnalité (…) s'opposent les droits portant sur les choses extérieures au sujet et, en soi, séparés de sa personne. Ces choses extérieures sont de trois sortes. Elles peuvent consister soit dans des choses matérielles, soit dans des choses immatérielles, soit dans l'acte ou l'opération d'autrui. A la première catégorie correspondent ce qu'on est convenu d'appeler les droits réels ; à la seconde, les droits que l'on dénomme souvent aujourd'hui droits intellectuels ; à la troisième, les droits dits de créance (...) »290.

102. L'objet des droits intellectuels. L'objet d'un droit intellectuel est bien la chose incorporelle, sans que ce droit puisse être opposable à une personne déterminée291. Il se distingue des droits réels, tout simplement

parce que le régime des biens immatériels n'est pas celui des biens matériels.

Un bien immatériel peut être, en premier lieu, un bien, fruit d'un travail personnel de son auteur, créateur, inventeur ou concepteur mais également un bien dit non rival car sa transmission à un tiers ne dépossède pas son détenteur. Ces spécificités expliquent l'élaboration de diverses dispositions propres à ce type de biens visant, d'une part, à préserver la volonté de celui qui en a la paternité ou de celui qui a contribué à sa conception et, d'autre part, à récompenser les efforts fournis pour l'élaboration du bien.

A titre d'illustration, l'auteur dispose d'un droit moral sur son œuvre, « perpétuel, inaliénable et imprescriptible »292. Il en va de même pour le cas de l'artiste-interprète293. L'auteur dispose également d'un

monopole d'exploitation de son œuvre294, tandis que les titulaires d'un droit voisin du droit d'auteur

289 J. Ghestin et G. Goubeaux, op. cit., p. 177-178 ; J. Rochfeld, op. cit., p. 162. 290 J. Dabin, op. cit., p. 177.

291 J. Ghestin et G. Goubeaux, op. cit., p. 177-178 ; J. Rochfeld, op. cit., p. 162. ; J. Dabin, op. cit., p. 177 ; Y. Buffelan-Lanore et V. Larribau-Terneyre, op. cit., p. 63 : « les droits intellectuels sont ceux qui se rapprochent le plus du droit de propriété, ce qui les a fait parfois qualifier de propriété : littéraire, artistique ou industrielle, selon l'objet sur lequel ils portent. En effet, il n'y a pas ici de sujet passif déterminé donc ce ne sont pas des droits personnels ou de créance. En même temps, l'objet sur lequel ils portent est incorporel ; il n'y a pas d'appréhension matérielle possible et pas de droit de propriété classique. Ce sont des droits spécifiques, qui, en définitive " matérialisent " ou concrétisent l'objet (…) ».

292 Art. L. 121-1, CPI : « l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel,inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l'auteur. L'exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires ».

Aussi l'auteur est libre de décider de la divulgation (art. L. 121-2 CPI) ou du retrait de son œuvre (art. L. 121-4 CPI), dispose d'un droit de paternité ou encore d'un droit au respect de l'intégrité de celle-ci (art. L. 121-1 CPI).

293 Art. L. 212-2, CPI : « l'artiste-interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation. Ce droit inaliénable et imprescriptible est attaché à sa personne. Il est transmissible à ses héritiers pour la protection de l'interprétation et de la mémoire du défunt ».

disposent d'une durée de protection de cinquante années de leurs droits patrimoniaux295. Ces dispositions

n'ont pas d'équivalent dans le régime juridique des biens matériels. Composent ainsi principalement la catégorie des droits intellectuels les droits mentionnés dans le Code de la propriété intellectuelle.

Un bien immatériel n'est pas seulement une création personnel. Il peut être, en second lieu, un bien qui n'est pas issu d'un effort de création de leur titulaire mais porte également sur une chose incorporelle. Ainsi, la catégorie des droits intellectuels ne se limite pas aux seules créations, inventions, marques . En effet, y sont inclus, par exemple, les quotas, les licences de taxis ou encore la clientèle, et plus précisément, le « rassemblement d'une clientèle »296.

Il convient de préciser que l'objet d'un droit subjectif intellectuel n'est pas le support du bien immatériel mais plutôt son contenu297. Un sujet peut donc être propriétaire du bien matériel qu'est le support, comme par un

exemple un livre, et disposer, sur ce support, d'un droit réel en sa qualité de propriétaire. En revanche, il ne détient pas de droits intellectuels sur l’œuvre qui constitue le contenu de ce livre, droits réservés à son auteur.

tirer un profit pécuniaire. Au décès de l'auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l'année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent ».

295 Art. L. 211-4, CPI : « la durée des droits patrimoniaux objets du présent titre est de cinquante années à compter du 1er janvier de

l'année civile suivant celle :

1° De l'interprétation pour les artistes-interprètes. Toutefois, si une fixation de l'interprétation fait l'objet d'une mise à disposition du public, par des exemplaires matériels, ou d'une communication au public pendant la période définie au premier alinéa, les droits patrimoniaux de l'artiste-interprète n'expirent que cinquante ans après le 1er janvier de l'année civile suivant le premier de ces faits ;

2° De la première fixation d'une séquence de son pour les producteurs de phonogrammes. Toutefois, si un phonogramme fait l'objet, par des exemplaires matériels, d'une mise à disposition du public pendant la période définie au premier alinéa, les droits patrimoniaux du producteur du phonogramme n'expirent que cinquante ans après le 1er janvier de l'année civile suivant ce fait. En l'absence de mise à disposition du public, ses droits expirent cinquante ans après le 1er janvier de l'année civile suivant la première communication au public ;

3° De la première fixation d'une séquence d'images sonorisées ou non pour les producteurs de vidéogrammes. Toutefois, si un vidéogramme fait l'objet, par des exemplaires matériels, d'une mise à disposition du public ou d'une communication au public pendant la période définie au premier alinéa, les droits patrimoniaux du producteur du vidéogramme n'expirent que cinquante ans après le 1er janvier de l'année civile suivant le premier de ces faits ;

4° De la première communication au public des programmes mentionnés à l'article L. 216-1 pour des entreprises de communication audiovisuelle ».

296 J. Ghestin et G. Goubeaux, op. cit., p. 177-178 : « ce n'est pas à proprement parler la clientèle elle-même qui est l'objet du droit (le sujet n'a aucun pouvoir contre les clients pris individuellement ou dans leur ensemble), mais le rassemblement de clientèle. Ce rassemblement, résultat de nombreux facteurs parmi lesquels figure spécialement l'activité du professionnel, est la « chose incorporelle » sur laquelle porte le droit. (…) Le monopole d'exploitation est protégé contre les initiatives des tiers et le titulaire peut en disposer en cédant différents droits particuliers inclus dans son « droit de clientèle » (droit sur les signes de ralliement du public, comme les marques de fabrique, droit réel sur le matériel, etc.) et en présentant un successeur à ses clients ».

297 Ibid. : « (…) indépendamment de l'objet matériel qui peut leur servir de support- tels le manuscrit, le livre, le tableau, le dessin, le plan, l'appareil dans lequel prend corps l'invention, le vocable ou l'image qui touche l'oreille ou les yeux, supports d'ailleurs nécessaires,- c'est sur ces choses mêmes, en tant qu'incorporelles, sur l’œuvre, sur l'invention, sur le vocable ou l'image revêtus de leur valeur de signe, qu'est assis le droit dit intellectuel ».

De plus, il est important de noter que les contours de cette catégorie ne sont pas immuables en raison de l'évolution permanente que connaissent les biens incorporels. De nouveaux droits peuvent en effet apparaître du fait de la mutation des technologies de l'information et de la communication. Dès lors, « parce qu'ils font un bien de l'activité humaine, les droits intellectuels vont en se multipliant »298. Aussi, ni Dabin dans les

années 1950, ni Messieurs Ghestin et Goubeaux au début des années 1990, ne pouvaient anticiper l'arrivée au XXIe siècle de la révolution numérique engendrée par Internet et par l'interconnexion des outils technologiques.

103. L'exclusion de la qualification de droit intellectuel. L'interopérabilité intervenant dans le cadre de l'utilisation de biens immatériels tels que les logiciels, il est tentant de conclure à la qualification de droit intellectuel. Toutefois, ce serait un raisonnement hâtif et incomplet que de s'en tenir à relier l'usage d'un bien immatériel et l'interopérabilité.

Ainsi, outre la condition de l'identification d'un bien immatériel objet du droit, il est rappelé que la qualification de droit intellectuel est également caractérisée par l'absence d'opposabilité du droit à un tiers déterminé. De plus, pour une partie des droits intellectuels, l'idée centrale est celle d'un effort « créatif » du titulaire du droit.

Or, le droit à l'interopérabilité ne peut être catégorisé dans les droits intellectuels avec « effort créatif » de son titulaire. En effet, pour le cas de l'interopérabilité, nous ne retrouvons pas cette condition d'une initiative de conception pour le consommateur, utilisant par exemple un logiciel de traitement de texte et, par voie de conséquence, l'identification d'un bien immatériel comme objet de ce droit. Le bien immatériel, qu'est le logiciel de traitement de texte, n'est en effet pas le fruit d'une création du consommateur.

Pouvons-nous en revanche soutenir que les données créées par le consommateur, par le biais de son logiciel de traitement de texte, sont le support de l'interopérabilité ? Cela signifierait que le consommateur aurait le droit d'opposer à toute personne l'interopérabilité sur les données dont il est le créateur. Ce raisonnement ne résiste pas à l'analyse de la logique de l'interopérabilité. En effet, ce n'est pas le consommateur qui, en pratique, décide de l'interopérabilité de la donnée qu'il crée et ce n'est donc pas lui qui se trouve en capacité de l'opposer à toute personne en contact avec ladite donnée. Au contraire, c'est le logiciel utilisé qui garantit l'interopérabilité, ce qui induit que la volonté d'un tiers, l'éditeur du logiciel, est déterminante dans la mise

en œuvre du droit à l'interopérabilité.

En raison de la nécessité de l'intervention d'un tiers, le droit à l'interopérabilité ne peut être catégorisé ni dans les droits intellectuels avec « effort créatif » de leur titulaire, ni dans ceux ne faisant pas l'objet d'un effort de création.

En tout état de cause, il est manifeste que l'objet du droit à l'interopérabilité ne peut être la donnée créée par le consommateur dès lors que l'interopérabilité est définie comme « la capacité d'éléments matériels ou immatériels à échanger des données et à utiliser mutuellement les données échangées, par le recours à des standards ouverts de communication »299.

Dans ces conditions, il est donc exclu que l'objet du droit à l'interopérabilité, au bénéfice du consommateur, soit un bien immatériel puisque ce dernier n'est pas en mesure, à la création ou à l'acquisition de ce bien, de lui appliquer l'interopérabilité. En conséquence, à défaut de création ou d'acquisition d'un bien immatériel comme objet du droit à l'interopérabilité, la qualification de droit intellectuel ne peut être retenue. Reste donc l'examen de la catégorie que nous n'avons pas encore étudiée, celle des droits personnels.

II. La qualification à retenir du droit à l'interopérabilité

104. Plan. Aussi étrange que cela puisse paraître au premier abord, les biens technologiques, qu'ils soient matériels ou immatériels, n'ont aucune influence sur la catégorisation du droit subjectif à l'interopérabilité car il s'agit d'un rapport d'obligations entre deux sujets de droit (B), ce qui correspond à la définition des droits personnels (A).

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