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L'OBLIGATION D'INFORMATION RELATIVE A L'INTEROPERABILTE LORS DE LA FORMATION DU CONTRAT DE CONSOMMATION

259. La distinction des moyens techniques et des obligations juridiques. Les moyens actuels de mise en œuvre du droit à l'interopérabilité sont de deux sortes : on trouve des moyens techniques, d'une part, et des obligations juridiques, d'autre part.

Les principaux moyens techniques, nous l'avons vu, sont les recours aux démarches de l'ingénierie inverse et de la décompilation ainsi que l'adoption d'un format ouvert et non protégé. Ces moyens sont essentiellement à la disposition des professionnels du secteur des technologies de l'information et de la communication et ne concernent qu'indirectement le consommateur, même si les développements des logiciels à des fins d'interopérabilité se réalisent à son bénéfice, en qualité d'utilisateur final des produits et services mis à sa disposition. Il s'agit de moyens techniques ayant fait l'objet d'une reconnaissance juridique et non d'obligations juridiques. Aussi, cette partie ne portant que sur les obligations juridiques, ne seront pas évoqués ici les moyens techniques à la disposition des éditeurs de logiciels ou de contenus numériques.

260. L'établissement de l'obligation d'information relative à l'interopérabilité. Or, à ce titre, Au stade de la formation du contrat de consommation, on trouve une première obligation juridique, celle de l'information du consommateur586. C'est la jurisprudence qui a progressivement consacré une obligation générale

d'information entre cocontractants587, pour le cas d'une information « pertinente » que son destinataire

pouvait légitimement ignorer588. Il existe, de manière autonome, une obligation générale de révéler au

cocontractant les informations nécessaires à éclairer son consentement lors de la conclusion du contrat,

586 J. Calais-Auloy et H. Temple, Droit de la consommation, Précis Dalloz, 8e éd., 2010, p. 55 et s. ; D. et N. Ferrier, Droit de la

distribution, Litec, 2014, p. 192 et s.

587 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Droit civil – Les obligations, 11e

éd., Précis Dalloz, 2013, p. 284 : « Longtemps on a enseigné que, sauf obligation légale précise, nul n'était tenu de renseigner son cocontractant. Dans une société libérale composée d'hommes libres et responsables, la règle est le devoir de s'informer soi-même. Mais, prenant conscience de ce que l'inégalité dans l'information peut, tout autant que l'inégalité économique, nuire à l'équilibre du contrat, sensible aussi à l'idée qu'il vaut mieux prévenir que guérir, la jurisprudence a progressivement imposé à certains contractants l'obligation d'informer leur partenaire. A cet effet, elle a pris appui sur la notion de bonne foi. Bien que l'article 1134 alinéa 3 du Code civil vise la seule exécution du contrat, la bonne foi irrigue également la formation de celui-ci (..) ».

588 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Droit civil – Les obligations, op. cit., p. 286 : « En premier lieu, une personne ne pourra être tenue de renseigner son partenaire que si elle détient une information " pertinente ". On entend par là une information dont la connaissance par le partenaire est de nature à conduire celui-ci à modifier son comportement, soit qu'il renonce à son projet de conclure de le contrat, soit qu'il persévère dans celui-ci en en réexaminant les conditions. (…) En second lieu, l'obligation d'information n'existera que si celui qui se prétend créancier de cette obligation a lui-même ignoré le fait recelé et si cette ignorance est légitime (...) ».

accessoire de l'obligation principale589.

Le législateur est alors intervenu pour préciser l'obligation d'information dans le cas de relations contractuelles spécifiques et plus particulièrement celles des professionnels et des consommateurs. Cette obligation d'information du consommateur en est venue à porter sur l'interopérabilité590.

En effet, le consommateur moyen ne dispose pas des connaissances techniques nécessaires à la mise en œuvre de l'interopérabilité. Il est donc un sujet du droit à l'interopérabilité qui dépend de la volonté des éditeurs de logiciels et des éditeurs de contenus numériques. Afin de lui laisser le choix de se soumettre, ou pas, aux contraintes techniques qui pourraient ensuite lui être imposées, il est donc nécessaire de l'informer des conditions d'interopérabilité des contenus numériques et des logiciels auxquels il souhaite avoir accès.

261. Le cadre juridique de l'obligation d'information relative à l'interopérabilité. La préoccupation d'information du consommateur est cependant récente. Elle s'inscrit en effet à partir des dispositions du Code de la propriété intellectuelle issues de la loi DADVSI. Par application des dispositions de l'article L. 331- 10 du Code de la propriété intellectuelle591, l'utilisateur doit être informé, des « conditions d'accès à la lecture

d'une œuvre, d'un vidéogramme, d'un programme ou d'un phonogramme » et des « limitations susceptibles d'être apportées au bénéfice de l'exception pour copie privée »592 par la mise en œuvre d'une mesure

technique de protection.

Cette obligation légale d'information s'avère toutefois extrêmement limitée, dans le sens où ne sont

589 Sur l'obligation générale d'information : A. Benabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, 9e

ed., Montchrestien, 2011, p. 137 et s. ; Grimaldi, J. Huet, H. Lécuyer (dir. Ghestin), Les principaux contrats spéciaux, 3e éd., LGDJ, 2012, § 11264 et s. ;

P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, 7e éd., LGDJ, 2014, p. 194 et s.

590 D'après les Professeurs Bruguière et Vivant, faute de droit à l'interopérabilité au bénéfice du consommateur, l'information de ce dernier sur l'interopérabilité n'est pas une composante du régime juridique de ce droit. cf. J.-M. Bruguière et M. Vivant, Droit d'auteur et droits voisins, 2e éd., Précis Dalloz, 2013, p. 796 : « aujourd'hui, le consommateur (et l'on s'éloigne beaucoup du droit

d'auteur), à défaut de bénéficier d'un droit à l'interopérabilité, a toutefois un droit à savoir que le matériel qu'il achète n'est pas compatible avec tel ou tel autre matériel : une information sur l'impossibilité de mettre en œuvre l'interopérabilité ».

591 Art. L. 331-10, CPI : « Les conditions d'accès à la lecture d'une œuvre, d'un vidéogramme, d'un programme ou d'un phonogramme et les limitations susceptibles d'être apportées au bénéfice de l'exception pour copie privée mentionnée au 2° de l'article L. 122-5 et au 2° de l'article L. 211-3 par la mise en œuvre d'une mesure technique de protection doivent être portées à la connaissance de l'utilisateur ».

592 Il s'agit, comme le mentionne l'article L. 331-10 précité, de l'exception pour copie privée du 2° de l'article L. 122-5, CPI : « Les copies ou reproductions réalisées à partir d'une source licite et strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, à l'exception des copies des œuvres d'art destinées à être utilisées pour des fins identiques à celles pour lesquelles l’œuvre originale a été créée et des copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde établie dans les conditions prévues au II de l'article L. 122-6-1 ainsi que des copies ou des reproductions d'une base de données électronique » ; Elle est également mentionnée au 2° de l'article L. 211-3, CPI : « Les reproductions réalisées à partir d'une source licite, strictement réservées à l'usage privé de la personne qui les réalise et non destinées à une utilisation collective ».

concernés que les seuls cas de lecture et de limitations de l'exception pour copie privée. Elle ne porte donc pas directement sur la question de l'interopérabilité, appliquée aux mesures techniques de protection, et ne peut, dans ces conditions, être qualifiée d'obligation générale d'information du consommateur sur l'interopérabilité. Néanmoins, une évolution de la législation sur ce sujet est survenue, par le biais de la transposition d'une directive européenne.

La directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs593, dont l'objectif est « de

contribuer, en atteignant un niveau élevé de protection du consommateur, au bon fonctionnement du marché intérieur en rapprochant certains aspects des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux contrats conclus entre les consommateurs et les professionnels »594, a consacré en

effet, sans ambiguïté, une obligation d'information du consommateur quant aux fonctionnalités et à l'interopérabilité du « contenu numérique ».

Ces éléments font partie intégrante de l'obligation générale d'information du consommateur à la charge du professionnel et sont rédigés comme suit : « s'il y a lieu, les fonctionnalités du contenu numérique, y compris les mesures de protection technique applicables (…) toute interopérabilité pertinente du contenu numérique avec certains matériels ou logiciels dont le professionnel a ou devrait raisonnablement avoir connaissance »595.

Le législateur français a procédé à la transposition de la directive du 25 octobre 2011 par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation596. L'article L. 111-1 du Code de la consommation est désormais

rédigé ainsi : « avant que le consommateur ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes : (…) 4° Les informations relatives à son identité, à ses coordonnées postales, téléphoniques et électroniques et à ses activités, pour autant qu'elles ne ressortent pas du contexte, ainsi que, s'il y a lieu, celles relatives aux garanties légales, aux fonctionnalités du contenu numérique et, le cas échéant, à son interopérabilité, à l'existence et aux modalités de mise en œuvre des garanties et aux autres conditions

593 Directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 99/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil, JOUE, 22 nov. 2011.

594 Art. 1, directive 2011/83/UE.

595 Art. 5, g et h, art. 6, r et s., directive 2011/83/UE. Cette obligation d'information à la charge du professionnel inclut donc, outre les classiques identité du professionnel ou prix, de nouvelles exigences, notamment sur les fonctionnalités et l'interopérabilité des contenus numériques.

contractuelles. La liste et le contenu précis de ces informations sont fixés par décret en Conseil d’État ».

L'article R. 111-1 du Code de la consommation, issu du décret du 14 septembre 2014597, précise quant à lui

cette obligation d'information en ces termes : « e) s'il y a lieu, toute interopérabilité pertinente du contenu numérique avec certains matériels ou logiciels dont le professionnel a ou devrait raisonnablement avoir connaissance ainsi que les fonctionnalités du contenu numérique, y compris les mesures de protection technique applicables ».

En outre, hors du cadre précité de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, la garantie de l'information relative à l'interopérabilité peut se fonder sur la sanction des pratiques commerciales déloyales, posée par les dispositions des articles L. 120-1 et suivants du Code de la consommation. En effet, se prévaloir d'une interopérabilité qui n'existe pas en pratique ou, a contrario, taire un défaut d'interopérabilité pourrait être sanctionné sur ce fondement juridique598.

En l'état il existe donc, au moment de la formation du contrat de consommation, une obligation majeure : celle d'informer le consommateur sur l'interopérabilité. Le droit à l'interopérabilité n'est ainsi pas une pure fiction juridique dès lors qu'il existe d'ores et déjà une obligation d'information ayant pour objet l'interopérabilité. Toutefois, l'obligation actuelle s'avère insuffisante dans un contexte où prédomine la protection du droit d'auteur et des droits voisins au détriment du droit à l'interopérabilité. Il est donc nécessaire de la faire évoluer, par des propositions concrètes, dans la perspective de la mise en œuvre du droit à l'interopérabilité lors de la formation du contrat de consommation.

Plan. Cette évolution doit porter, d'une part, sur l'objet de l'obligation d'information relative à l'interopérabilité (Chapitre I) et, d'autre part, sur son champ d'application (Chapitre II).

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