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LA QUALIFICATION DU DROIT A L'INTEROPERABILITÉ

58. La définition juridique de la notion de « droit ». Pour les Professeurs Vivant et Bruguière, il existe de manière indéniable un droit à l'interopérabilité178. Or, nous ne pouvons que constater que l'étude de la

reconnaissance d'un droit à l'interopérabilité s'inscrit dans le contexte actuel de multiplication de la reconnaissance de différents droits aux individus179. De ce fait, on ne peut nier le risque, dans les

développements à venir, de soutenir une politique de revendication de « droits » avec des considérations partisanes en lieu et place de l'analyse juridique qui s'impose.

Afin d'éviter cet écueil, il importe donc de ne pas s'exonérer de la rigueur de la démonstration juridique qui doit être appliquée au droit à l'interopérabilité. Aussi, le préalable indispensable tient précisément en la définition à donner à cette notion, somme toute banale, mais au combien complexe juridiquement qu'est celle de « droit ».

Au sens juridique, il convient d'opérer différentes distinctions. Doivent être appréhendées les notions de « droit objectif », d'une part, et de « droit subjectif », d'autre part. S'agissant du « droit objectif », il est défini commel'« ensemble de règles de conduite socialement édictées et sanctionnées, qui s'imposent aux membres de la société »180. Quant à la notion de « droit subjectif », sa définition est plus complexe181.

59. La première approche de la notion de « droit subjectif ». Selon une première approche communément admise, les droits subjectifs peuvent être définis comme des « prérogatives individuelles de l'homme (le sujet) »182. Un droit subjectif est donc attaché à l'individu, à la personne183. Les droits subjectifs se trouveraient

178 M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d'auteur et droits voisins, Précis Dalloz, 2e éd. 2013, p. 794-804.

179 cf. supra, p. 17.

180 G. Cornu et alii, Vocabulaire juridique, in Ass. Capitant, 8e

éd., PUF, 2000, cf. Droit.

181 Sur la définition de la notion de droit subjectif : J. Ghestin et G. Goubeaux avec le concours de M. Fabre-Magnan, Traité de droit civil, Introduction générale, 4e éd., LGDJ, 1994 ; J. Carbonnier, Droit civil, PUF, Quadrige Manuels, 2004 ; J. Dabin, Le droit

subjectif, Dalloz, 1952, rééd. 2007 ; M. Fabre-Magnan, Introduction au droit, PUF, Que-sais-je ?, 1ère

ed., 2010 ; P. Malinvaud, Introduction à l'étude du Droit, Lexisnexis, 14e éd., 2013 ; H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons de droit civil, introduction à

l'étude du droit, 12e éd., Montchrestien, 2000 ; J. Rochfeld, Les grandes notions du droit privé, collection THEMIS éd. PUF, 1ère éd.

2011 ; F. Terré, Introduction générale au droit, Précis Dalloz, 9e éd., 2012 ; P. Voirin et G. Goubeaux, Droit civil tome 1, 34e éd.,

LGDJ, 2013.

182 J. Ghestin et G. Goubeaux avec le concours de M. Fabre-Magnan, Traité de droit civil, Introduction générale, 4e éd., LGDJ, 1994,

p. 127 : « sans doute, est-il admis que l'idée de droit subjectif correspond à celle de prérogatives individuelles de l'homme (le sujet). Mais cette conception est bien vague et appelle un effort de précision ».

183 Certains auteurs soutiennent que les droits subjectifs sont inhérents à la nature humaine, cf. T. Hobbes, Leviathan ou la Matière, la Forme et la Puissance d'un État ecclésiastique et civil, Tome 1er- de l'Homme,Marcel Giard & Cie, 1921, p. 212-214, gallica.bnf.fr :

alors au cœur du système juridique et la vie en société ne serait rendue possible que parce que les individus cèdent, par le biais d'un pacte ou d'un contrat social184, leurs droits à l’État qui les garantit et les sanctionnent.

Critiquée pour son abstraction, cette théorie du caractère social de l'individu et de ses droits185 est

concurrencée par celle de la primauté du droit objectif.

60. La théorie de la primauté du droit objectif. Selon cette théorie, défendue notamment par le Doyen Carbonnier, les individus disposent de droits qui n'existent qu'en raison de leur détermination, de leur délimitation par le droit objectif. Ainsi, « si le droit (objectif) nous permet de faire quelque chose, nous avons le droit (subjectif) de le faire. Suivant la conception la plus classique, le droit objectif est l'ensemble des règles de droit ; le droit subjectif est le pouvoir d'agir reconnu à l'individu, au sujet de droit, par ces règles »186. Un droit subjectif ne devrait donc son existence que par sa reconnaissance par le droit objectif187.

61. Postulat. Sans entrer dans toutes les subtilités de ces deux approches de la notion de droit subjectif, nous opterons pour la théorie dominante de la primauté du droit objectif. Il sera donc admis que le système juridique est marqué par la prééminence du droit objectif et les droits subjectifs constituent les moyens de mise en œuvre de ce système au niveau de l'individu188.

« chaque homme a par nature droit sur toute chose.- Et ce que la condition humaine est une condition de Guerre de chacun contre chacun, où chacun est gouverné par sa propre Raison, et, de ce que, pour préserver sa vie contre ses ennemis, il n'est aucun moyen qui ne puisse être de quelque utilité, il s'ensuit que dans une telle condition, chacun a Droit sur toutes choses, même sur le corps des autres. Tant donc que persiste ce Droit, il ne peut exister pour personne de sécurité. La Loi Fondamentale de Nature (…) c'est donc un précepte ou une règle générale de Raison que chacun doit chercher la Paix par tous ses efforts tant qu'il a l'espoir de l'obtenir (…). De cette Loi Fondamentale de Nature dérive cette seconde Loi qu'on consente, quand les autres sont aussi consentants, et cela aussi loin que l'on pense que c'est nécessaire à la paix et à sa propre défense, à renoncer à ce droit sur toutes choses et à se contenter de la même liberté à l'égard des autres que celle que l'on accorde aux autres à l'égard de soi ». 184 J.-J. Rousseau, Du Contrat social ou principes du Droit politique, 1762.

185 En effet, l'individu vit nécessairement en communauté et ce n'est que fiction juridique que de lui attribuer des droits de par sa nature humaine, qu'il cède par la suite aux fins de pouvoir vivre en société. La vie en communauté est ainsi un fait acquis que l'on ne peut occulter dans la théorisation des droits subjectifs.

186 J. Carbonnier, Droit civil 1- Introduction. Les personnes, 10e éd., collection Thémis, PUF, 1974, p. 107.

187 J. Dabin, Le droit subjectif, Dalloz, 1952, rééd. 2007, p. 2 : « dans le langage communément admis aujourd'hui, aussi bien par les techniciens du droit positif que par les théoriciens de la science du droit, l'expression droit subjectif est prise par antithèse à celle de droit objectif. Le droit objectif, en ce sens, désigne la règle de droit (Recht im objektiven Sinne), tandis que le droit subjectif (Recht im subjektiven Sinne) signifie une certaine prérogative établie ou reconnue par le droit objectif au profit d'un individu (ou d'une collectivité) et qui le fait sujet de droit (subjectif) ». J. Dabin, op. cit., p. 51 : « sous quelque perspective qu'on l'envisage, en soi et en dehors du droit objectif, le droit subjectif est une notion non seulement défendable mais indispensable. Il est impossible de construire le droit sans elle, parce qu'elle est la traduction immédiate, sans voile ni détour, de cette réalité élémentaire que, si les hommes sont soumis à une règle sociale, qui est d'ailleurs là pour eux et pour leur bien, ils sont néanmoins des être individuels. La société existe et par conséquent la règle sociale ; mais l'individu aussi. La société et la règle sociale ne suppriment pas le droit subjectif. (…) On n'a pas affaire seulement à des individus qui vont bénéficier du jeu d'une règle ; on a affaire à des individus investis par cette règle de prérogatives à eux propres et dont ils sont reconnus les maîtres. Du droit objectif sort un droit subjectif ».

188 J. Ghestin et G. Goubeaux, op. cit., p. 139 : « cette conception [la primauté du droit objectif], loin d'éliminer le droit subjectif l'intègre donc dans le système juridique dont il ne constitue pas la source mais à la fois un des buts et un des moyens ».

Il est toutefois à noter, dès à présent, que cette étude n'a ni la vocation, ni la prétention, d'ajouter une énième pierre à l'édifice de la définition de la notion de droit subjectif. L'objet des développements à venir n'est donc pas de s'attarder sur une étude approfondie de la notion de droit subjectif189 mais bien de déterminer si, sur

la base des différents écrits sur le sujet, la qualification juridique de droit subjectif à l'interopérabilité, au bénéfice du consommateur, doit être retenue.

De plus, un postulat sera posé : celui de l'existence de droits subjectifs. En effet, l'existence même de droits subjectifs a pu être remise en cause par une partie de la doctrine190. Pour autant, il n'est nullement question

ici de trancher cette controverse doctrinale et nous nous accordons avec la conception dominante sur ce point191, à savoir qu'il convient de reconnaître l'existence de droits subjectifs dans notre système juridique192.

62. Plan. Compte tenu des développements précédents, si droit à l'interopérabilité il y a, il est évident qu'il doit prendre la forme d'une prérogative individuelle, donc être qualifié, dans un premier temps, de droit subjectif (Section I). Puis, dans un second temps, sera abordée la classification du droit à l'interopérabilité, pour retenir, en définitive, la qualification de droit personnel (Section II).

SECTION I - LE DROIT À L'INTEROPÉRABILITÉ : UN DROIT SUBJECTIF

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