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La prise en compte pratique de la complexité : la gestion intégrée

9.5. Enjeux, principes et pratiques de la gestion intégrée des problèmes d’eutrophisation

9.5.2. La conceptualisation systémique en réponse à la complexité des processus socio-naturels de

9.5.2.2. La prise en compte pratique de la complexité : la gestion intégrée

Pour plusieurs auteurs, la complexité peut s’exprimer dans le cadre d’une gestion intégrée. L’hydrologue et experte internationale M. Falkenmark (2003), qui s’inscrit dans une approche écosystémique de l’environnement, propose quatre perspectives afin de concilier l’utilisation de l’espace et celle de l’eau, les humains et les écosystèmes, l’aval et l’amont des bassins versants, les générations présentes et futures. La perspective écologique consiste à prendre soin des écosystèmes terrestres et aquatiques dans un souci de long terme et dans leurs capacités à rendre des services (les services écosystémiques) ; la perspective sociale inclut les besoins des populations en matière de ressource en eau et la mise en place d’une gestion participative ; la perspective économique doit conduire à partager la ressource en prêtant attention aux relations coûts-bénéfices des infrastructures créées et la dernière perspective concerne la durabilité des ressources. Comment articuler les besoins sociaux immédiats avec une gestion adéquate des services rendus par les écosystèmes et les besoins sur le long terme de ces mêmes écosystèmes tout en sécurisant le développement social et économique ? Une des réponses résiderait dans la gestion socio-écohydrologique des bassins versants articulant gestion de l’eau et gestion de l’espace.

En France, le programme de recherche intitulé « Eaux et Territoires » conduit entre 2007 et 2015, conjointement par le Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, IRSTEA et le CNRS avait pour objectif « de mettre en relation les connaissances relatives au fonctionnement des hydrosystèmes et celles portant sur les territoires, afin d’éclairer les politiques actuelles ou à venir portées par les acteurs publics responsables de la gestion des territoires et de la gestion de l’eau » (Goeldner-Gianella et al., 2016, p. 4). Le chapitre rédigé par F. Barataud (2016) porte plus spécifiquement sur les articulations problématiques entre les pratiques agricoles et la lutte contre la pollution de l’eau. La comparaison de quatre terrains d’étude (deux liés à des captages Grenelle et les cas plus singuliers de Vittel-Contrex et de la baie de Douarnenez concernant les algues vertes) souligne l’extrême diversité des actions publiques qui s’offrent aux acteurs locaux. Politiques de l’eau et politiques agricoles présentent, selon les auteurs, des « formes d’action collective » peu compatibles. Les premières sont plus instrumentées mais peu institutionnalisées tandis que les secondes sont, au contraire, stabilisées institutionnellement mais peu instrumentées. Ces décalages sont source d’incompréhensions et de difficultés pour dialoguer et insérer la qualité de l’eau dans une réflexion plus globale sur l’aménagement du territoire.

Cette articulation difficile est au centre de plusieurs réflexions en termes de gestion intégrée et d’eutrophisation. En réponse aux objectifs de la DCE, Alahuhta et al. proposent d’intégrer les objectifs de protection de l’eau dans une logique de « land use planning » et de créer des interfaces entre la gestion des cours d’eau et celle des usages de l’espace (2010). Les auteurs s’inscrivent dans le champ des « Environmental Policy Integration » dont la logique est d’intégrer l’environnement dans l’ensemble des politiques publiques et pas seulement celles qui lui sont généralement dévolues comme l’énergie, le transport ou l’aménagement du territoire. L’intégration peut se faire de deux manières : verticale, lorsque la planification de l’espace fusionne avec les objectifs de la gestion d’un bassin versant à différents niveaux ou horizontale, lorsque une autorité compétente coordonne l’intégration des différents secteurs.

En Finlande, la gestion du paysage et celle des cours d’eau sont segmentées entre deux services ministériels relevant de réglementations différentes. Si la gestion de l’eau se décline à l’échelle d’un district, celle de l’espace se décline en quatre niveaux (national, provincial, régional et local). Deux bassins versants finlandais sont comparés : le premier où dominent des milieux forestiers (Kainuu) et le second, des espaces agricoles (Karvia).

Dans le cadre de la province du Kainuu, l’action publique prend peu en compte la protection de l’eau, plus centrée sur les enjeux économiques du territoire. En matière d’eutrophisation, les auteurs préconisent de cartographier les secteurs à enjeux, notamment pour rendre compte des articulations possibles en matière de protection des bassins versants. L’appropriation majoritairement privée des

zones forestières induirait le recours au principe du paiement pour services rendus par les écosystèmes, dans le cadre duquel la pollution diffuse pourrait être estimée. Dans le cadre du secteur agricole de Karvia, la prise en compte de la pollution diffuse reste difficile à intégrer dans les outils de la planification territoriale. Cela est seulement rendu possible par le zonage de zones humides et de champs d’expansion des crues affectant directement les espaces agricoles. Pour Alahuhta et al., la coordination entre la gestion de l’espace et la prise en compte des milieux aquatiques est encore trop peu préconisée pour pouvoir atteindre une véritable intégration dans le cadre de la lutte contre l’eutrophisation. Cette difficulté est également relevée dans le cadre des impacts sur le milieu marin. L’océanographe A.D. Guerry préconise un « ecosystem-based management », afin de tendre vers une gestion holistique qui reconnaisse les interactions entre la structure, le fonctionnement et les services de l’écosystème ; la terre et la mer ; les habitats marins ; les espèces ; les divers facteurs de stress et les savoirs et l’incertitude (Guerry, 2005). Guerry insiste sur les relations entre la terre et la mer, notamment pour œuvrer à l’échelle des bassins versants qui drainent la grande majorité des polluants. Les exemples de la gestion des baies de Tampa et Chesapeake (USA) sont cités comme des réussites quant à leurs efforts exercés sur les bassins versants et leurs impacts sur le milieu marin. L’ecosystem-based management demande de repenser les principes de la gouvernance pour gérer en tenant compte de l’incomplétude des savoirs, des possibles interactions attendues et inattendues entre les éléments de l’écosystème et ne pas gérer ces derniers de manière isolée.

Plus spécifiquement lié au changement climatique, Brack et al. traitent, quant à eux, de « risk-based management » (2009). Cette démarche notamment diffusée aux Etats-Unis par l’Environmental Protection Agency (EPA) repose à nouveau sur une perspective intégrée : estimer les potentiels impacts du changement climatique en termes de pénurie d’eau, d’inondations et de pollutions. Il s’agit de connaître le système « terre/eau/climat » de chaque bassin versant et de pouvoir anticiper les diverses pressions qui peuvent s’exercer sur lui, à différentes échelles.

La gestion intégrée de l’environnement incite, enfin, à des formalisations souvent déclinées en principes d’action, tels que ceux cités par Lundberg (op.cit., 2005, Figure 9.23). Ceux-ci se partagent entre l’adoption d’une perspective sociale et économiquement faisable, réalisée avec des technologies appropriées. Elle doit être légale à l’échelle nationale et internationale ; enfin, administrativement possible et durable.

Figure 9.23 – Modèle conceptuel intégré représentant les causes et effets de l’eutrophisation en Mer Baltique. Source : Lundberg, 2005.

9.5.2.3.Synthèse

Les principes de la gestion intégrée de l’eau se déclinent à travers diverses démarches conceptuelles afin de mieux appréhender la complexité des processus socio-naturels de l’eutrophisation. Un large consensus se dessine concernant la nécessité d’aborder de manière globalisée et non plus localisée ce type de pollutions et ses effets ; de penser conjointement dynamiques écologiques et sociales dans une perspective de durabilité (entendue au sens large). Ce consensus agit à deux niveaux différents. Il questionne la production scientifique dans sa capacité à rendre compte d’un tel fonctionnement systémique ou il suggère, par la pratique de la gestion, de mettre en place cette pensée ; les deux niveaux sont bien évidemment liés, nombre de chercheurs étant impliqués dans des programmes de recherche appliquée. Cette littérature donne lieu à des conceptualisations le plus souvent schématisées, montrant les interactions permanentes entre les éléments du système, peu soumises à l’expérience du terrain mais servant prioritairement de cadres de pensée. D’autres articles vont cependant prendre le chemin de l’expérimentation pour tenter d’appliquer ces grands principes. Le premier d’entre eux est celui du rapprochement entre disciplines scientifiques.

9.5.3. Stratégies d'atténuation, d'adaptation et de restauration dans des situations

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