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Le nouveau contexte introduit par la Directive-Cadre sur l’Eau dans l’Union Européenne: entre

9.2. Les trajectoires de l’eutrophisation dans les politiques publiques et en tant que problème

9.2.4. L’eutrophisation comme objet d’action publique en Europe : approches et questions

9.2.4.2. Le nouveau contexte introduit par la Directive-Cadre sur l’Eau dans l’Union Européenne: entre

La Directive Cadre sur l’Eau a déjà fait l’objet, dans les parties précédentes, d’une analyse détaillée sur les plans définitionnel et juridique. Les articles analysés ici s’attachent à en analyser les enjeux et les implications politiques et sociétaux, à la fois sur le plan général de la gouvernance de la qualité de l’eau et sur le thème plus particulier de l’eutrophisation. Le texte a en effet fait l’objet de recherches approfondies, qui mettent toutes en exergue l’importance des changements qu’il introduit du point de vue des dynamiques d’acteurs et des catégories institutionnelles qui appuient leur mise en mouvement. La directive cadre sur l’eau rompt d’abord avec la dualité fondamentale qui structurait le droit de l’eau en Europe jusqu’en 2000 (Barraqué, 2001 ; Bouleau, 2008) : à une période marquée par une approche technique de la norme, liée aux manques de connaissances disponibles sur le milieu et s’appuyant sur la promotion des techniques les plus performantes à un prix acceptable, a succédé une période de gouvernance par les objectifs, indépendamment des techniques permettant de les atteindre. La distinction entre normes d’émission (visant le contrôle des rejets) et normes d’immiscions (visant la qualité de milieu récepteur) a constitué l’architecture des régulations environnementales communautaires depuis les années 1980. L’ « approche combinée » qui en résultait reposait sur un grand nombre de textes qui ont fait du droit communautaire de l’eau à la fois l’un des plus complexes et des plus ambitieux au monde en termes d’objectifs de qualité. Au sein du triptyque normatif visant la prise en charge des pollutions nutrimentielles qui a émergé à la fin des années 1980 (dont la directive nitrates et la DERU sont issues), la DCE est le volet dont l’élaboration a été la plus longue et la plus complexe.

Les chercheurs en sciences sociales se sont jusqu’à présent particulièrement penchés sur les objectifs d’information du public et de transparence de l’action publique, très fortement mis en avant par le texte. Comme le souligne Bouleau (2008), l’affichage de cet objectif est le résultat du processus même d’élaboration de la directive, la première à avoir été adoptée selon la procédure de co-décision du Parlement et du Conseil : la conjonction de la mobilisation d’entrepreneurs politiques particulièrement actifs à la DG Environnement de la Commission et au Parlement, ainsi que le poids plus important des groupes de pression environnementalistes vis-à-vis des parlementaires européens, ont marqué de leur empreinte le texte et permis de contrer en partie la réticence des grands Etats à adopter un texte dont l’ambition les expose à une multiplication des contentieux avec les consommateurs d’eau et à des exigences renforcées du point de vue des moyens.

Le texte va même plus loin que le simple principe d’information sur l’état des milieux aquatiques et encourage la participation du public et l’implication active de toutes les parties intéressées à la mise en œuvre de la directive. La mise en valeur des approches participatives est liée à la conscience croissante de la complexité des écosystèmes aquatiques mais aussi de leurs usages, du fait de la concurrence accrue entre activités, des frustrations résultant de l’approche technocratique dominante des questions d’eau et du scepticisme sur la capacité des institutions de mettre en place des solutions viables à long terme pour restaurer la qualité de l’eau (Sabatier et al., 2005 ; Steyaert et Ollivier, 2007). Le développement de ces lectures et le soutien dont les recherches qui s’en réclament ont bénéficié de la part de l’Union a beaucoup à voir avec la centralité de la problématique des pollutions diffuses d’origine agricole dans l’espace communautaire (Ison et al., 2007). Or, dans le domaine de la lutte contre l’eutrophisation, prévaut depuis la fin des années 1980 un mode de gouvernance où dominent des communautés de politiques publiques expertes partageant les mêmes conceptions de l’environnement et des connaissances pertinentes à mobiliser (Deroubaix, 1997). L’enjeu est alors, dans une perspective d’apprentissage social, de passer à une gouvernance élargie, mettant en présence des communautés plus diversifiées, dont la lecture des pollutions nutrimentielles et l’expérience de la co-construction territorialisée des politiques publiques peuvent différer profondément (Löwgren, 2005). La conception de cadres de dialogue et d’action permettant de répondre aux conditions cognitives et relationnelles de la co-construction s’avère, dans ce contexte, cruciale pour renforcer la participation effective des porteurs d’enjeux (Olsson et al., 2011). La mise en œuvre de la DCE a donc pour effet de renforcer à la fois la légitimité et la nécessité des approches de gestion intégrée, à l’examen desquelles la quatrième partie de cette contribution sera consacrée.

Mais, comme le soulignent Steyaert et Ollivier (2007), la DCE est construite sur une tension majeure : d’une part, elle reconnaît, dans une approche procédurale des politiques publiques, le fait que doit reposer sur les acteurs locaux la détermination des politiques les mieux adaptées pour atteindre le bon état écologique des cours d’eau. Mais, d’autre part, elle incorpore une très grande densité de connaissances et de concepts issus de courants de l’écologie scientifique qui se focalisent sur l’état des écosystèmes et leur stabilité, et considèrent avant tout les activités humaines comme des éléments de perturbation (Steyaert et Ollivier, 2007 ; Bouleau et Pont, 2014). Coexistent donc, dans le même dispositif, une approche procédurale et une approche substantive des politiques publiques, qui peut peser sur les démarches d’implication du public et la reconnaissance d’une pluralité de définitions du problème à traiter.

Sur un plan général, le renforcement de l’obligation d’information du public comme la définition retenue du « bon état écologique », qui met l’accent sur les indicateurs biologiques, oblige les Etats- Membres à renforcer le suivi des masses d’eau et à concevoir, de façon coordonnée, des batteries d’indicateurs interopérables à différentes échelles. Ainsi, la mise en œuvre de la DCE peut être décrite comme une phase de réorganisation accompagnant un ensemble de changements : ces changements sont à la fois environnementaux (accentuation des phénomènes d’eutrophisation, montée en puissance des changements globaux) et politiques (les arrangements institutionnels évoluent) (Hammer et al., 2011). Dans plusieurs grandes régions, l’eutrophisation apparaît dans ce contexte comme une problématique dominante : la définition des indicateurs adaptés constitue un enjeu de premier plan

pour évaluer l’atteinte des objectifs de bon état. Dans le cas des algues vertes en Bretagne, dynamiques institutionnelles et dynamiques sociales convergent ainsi : les volumes de macroalgues sont progressivement instituées comme indicateur de la qualité des masses d’eau côtières dans le cadre de la mise en œuvre de la DCE, et dans le même temps les algues vertes deviennent une pollution et un danger en elles-mêmes aux yeux des publics non experts. Ces dynamiques convergentes mettent l’accent sur les symptômes les plus visibles de l’eutrophisation, au risque d’une surinterprétation des variations interannuelles (Levain, 2013).

L’accentuation de la visibilité de l’eutrophisation sur certains territoires est également le résultat du champ d’application de la directive : en incluant les masses d’eau côtières et en mettant l’accent sur la qualité des eaux de surface, la DCE place indirectement les pollutions diffuses d’origine agricole et leurs conséquences les plus visibles (cf. échouages d’algues vertes sur les plages) au cœur du débat public local, même si d’autres dimensions du bon état, comme la continuité physique, peuvent apparaître a priori comme les plus coûteuses à mettre en oeuvre.

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