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Les crises dystrophiques affectant périodiquement des masses d’eaux emblématiques où se

9.4. Approches situées des coopérations et des conflits associés à l’eutrophisation

9.4.3. Examen détaillé des quatre configurations hydro-sociales

9.4.3.2. Les crises dystrophiques affectant périodiquement des masses d’eaux emblématiques où se

Cette configuration hydro-sociale se rencontre principalement dans les pays démocratiques urbanisés et tertiarisés, dans lesquels les activités de loisirs et les mobilisations environnementalistes se sont développées depuis plusieurs dizaines d’années.

9.4.3.2.1.L’intensification des mobilisations et des « fronts » conflictuels

Les cas les plus emblématiques et les plus étudiés restent, comme cela a été à plusieurs reprises mentionné dans cette contribution, ceux de l’Amérique du Nord et de la Scandinavie, régions dans lesquelles lacs et littoraux constituent des destinations et des lieux de résidence privilégiés des populations urbaines. Mais la littérature comporte également des études de cas plus dispersées, qui témoignent d’une montée en puissance des conflits opposant différents groupes sociaux dont les représentations et les usages des écosystèmes aquatiques diffèrent.

Plusieurs articles récents mentionnent des dynamiques de ce type pour le cas du Japon, et relèvent une intensification de la « pression sociale », définie comme « un facteur psychologique qui encourage la coopération » (Suzuki & Iwasa, 2009), aux abords de certains lacs emblématiques (Suzuki & Iwasa, 2009 ; Iwasa et al., 2007 ; Asano, 2007). T. Asano relève le rôle croissant des mouvements environnementalistes locaux dans la dénonciation de l’eutrophisation du lac Kasumigaura (Honshu) et

montre leur coopération avec les collectivités locales pour faire pression sur les autorités gouvernementales et obtenir la mise à l’agenda de l’eutrophisation comme problème environnemental majeur. Il n’évoque pas, en revanche, la façon dont ces mobilisations très denses entrent en conflit avec les activités à l’origine des pollutions nutrimentielles qui l’alimentent, ou la diversité des représentations et des cadrages du problème en présence. L’approche par la théorie des jeux retenue par Y. Suzuki et Y. Iwasa (2009) ne permet pas, non plus, d’en savoir davantage : leur approche d’économie expérimentale les conduit à envisager l’eutrophisation d’un lac davantage comme un modèle permettant de mettre en évidence les facteurs de coopération et de conflit que comme une situation réelle, ce qui les conduit à ne livrer aucune information sociologique ou contextuelle.

Historiquement, la possibilité d’accéder à un usage récréatif des littoraux, lacs et cours d’eau a constitué, y compris pour des riverains aux ressources économiques modestes, un facteur important de mobilisation et de structuration d’associations locales, demandant ainsi aux autorités d’intervenir pour lutter contre l’eutrophisation. C’est le cas, par exemple, dans la région d’Helsinki (Finlande) dans les années 1930 (Hänninen, 1992)31, ou de la région des Grands Lacs de façon également très précoce

(Kehoe, 1992). L’étude de ces mouvements montre que, d’abord structurés autour de revendications en direction des autorités publiques, ils effectuent un travail de problématisation qui les conduit à prendre l’attache avec des experts et à identifier un ou plusieurs adversaires locaux ou extra- territoriaux, comme l’industrie papetière ou l’industrie des détergents32. Comme le soulignent

l’ensemble des auteurs néanmoins, les conflits n’opposent jamais un bloc solidaire d’habitants à une personne physique ou morale implantée localement et identifiée comme à l’origine des pollutions. D’une part, les conflits ont plutôt lieu entre plusieurs secteurs d’activité, et restent dans ce cas confinés ; d’autre part, le cas dominant est celui où la société locale est divisée et où l’argument du développement et de la préservation de l’emploi pèse très lourd dans les débats. Certains auteurs font même de cette division entre développement et conservation la trame de leur analyse des conflits relatifs à la préservation des milieux aquatiques (voir supra : Kim, 2003).

9.4.3.2.2.Ecologisation, imbrication des enjeux et complexité des dynamiques conflictuelles

Le cas des Grands Lacs américains a été étudié avec une pluralité d’approches et a également donné lieu à des témoignages d’acteurs qui mettent en évidence la diversité même des expériences vécues du conflit. Ainsi, K.G. Gould privilégie une analyse micro-sociologique des mobilisations autour de la pollution des Grands Lacs, en étudiant six cas de part et d’autre de la frontière entre le Canada et les Etats-Unis. Il montre leur dépendance aux facteurs sociaux locaux et, en revanche, leur relative indépendance vis-à-vis de la gravité des pollutions elles-mêmes (Gould, 1993). Mais, appréhendée à une échelle plus large par des acteurs ayant participé à ces mobilisations, la situation peut être décrite comme une situation de confrontation très dure (Kehoe, 1997), voire par les journalistes spécialisés, comme une série de guerres (Annin, 2009).

L’ancienneté des pollutions et des programmes de gestion a également pour effet de transformer les écosystèmes eux-mêmes et les pratiques des usagers des lacs. L’anthropologue F. Berkes relève ainsi que les programmes de lutte contre l’eutrophisation du lac Erie se sont accompagnés d’une évolution des pratiques de pêche, du fait de modes différents de gestion des pêcheries : la pêche professionnelle s’est concentrée du côté canadien du lac et a disparu du côté états-unien. En revanche, de nouvelles espèces de poissons, supposées plus résistantes, ont été introduites. Au début des années 1980, ces transformations conjointes des écosystèmes et des pratiques de pêche se sont traduites par des confrontations nouvelles entre pêcheurs amateurs et pêcheurs professionnels sur les rives canadiennes du lac (Berkes, 1984). Comme le relève toutefois l’auteur, ces conflits ne sont pas directement liés à une compétition effective pour les zones de pêche et les espèces capturées, mais sont à mettre en relation avec l’intensité des usages sur les berges et l’histoire douloureuse des pêcheries dans la région.

31 Voir également : sous-chapitre 9-2.

La géographe A. Cadoret analyse ainsi les dynamiques socio-spatiales entourant les conflits d’aménagement et de gestion côtière dans le Languedoc-Roussillon (Cadoret, 2009). Elle étudie ainsi, dans une perspective comparée, l’émergence, les formes d’expression et la régulation des conflits environnementaux sur différents sites. L’un des sites étudiés, l’étang de Thau, connaît depuis les années 1980, comme la plupart des lagunes du Languedoc-Roussillon, une accentuation des phénomènes d’eutrophisation avec prolifération d’algues, phénomène connu localement sous le nom de malaïgue. L’eutrophisation de l’étang a servi de point d’appui aux aquaculteurs pour peser dans les négociations locales en tant que garants de la qualité de l’eau et obtenir d’élus réticents l’adoption d’un Schéma de mise en valeur de la mer. Les blooms d’Alexandrium en 2003 et 2004 donnent lieu à des interdictions de commercialisation, des manifestations d’aquaculteurs et conchyliculteurs, à des violences vis-à-vis des organismes chargés d’expertiser la toxicité, ainsi qu’à des divisions internes aux groupes professionnels concernés. L’enjeu est, au-delà des interdictions ponctuelles, le déclassement de l’étang de Thau comme zone conchylicole (Cadoret, 2006). Si la partie la plus visible du conflit, dans sa phase de crise, met aux prises les conchyliculteurs avec les représentants de l’Etat, de fait le conflit oblige sur la longue durée à prendre en compte les choix d’aménagement réalisés par les élus locaux, gestionnaires des réseaux d’assainissement et des stations d’épuration, dont l’ajustement à l’afflux touristique massif de la période estivale, par ailleurs encouragé, n’est jamais garanti. L’épisode du déclassement et des manifestations qui l’ont accompagné est un marqueur doté localement d’une forte valeur symbolique : il rend visibles des antagonismes anciens et profonds, ainsi que des incohérences dans les choix politiques. En effet, il a été précédé de crises de moins grande intensité pendant les décennies 1980 et 1990 : la convergence de la mobilisation locale, de nouveaux outils réglementaires et de nouveaux cadres d’action publique a ainsi conduit à reformuler les enjeux attachés à la qualité de la masse d’eau et à rééquilibrer le monitoring entre santé publique (les mesures de toxicité) et protection de l’environnement (les mesures de pollution, au plus près de leur source).

9.4.3.3.L’ « eutrophisation silencieuse» : tensions sans conflits ou absence de

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