• Aucun résultat trouvé

Les différentes approches de politiques publiques mises en oeuvre et l’évaluation de leurs

9.2. Les trajectoires de l’eutrophisation dans les politiques publiques et en tant que problème

9.2.4. L’eutrophisation comme objet d’action publique en Europe : approches et questions

9.2.4.1. Les différentes approches de politiques publiques mises en oeuvre et l’évaluation de leurs

Les politiques publiques visant à lutter contre l’eutrophisation sont pour certaines très anciennes, comme le montre l’exemple des pays scandinaves, où les politiques se sont penchées très tôt à la fois sur les lacs et sur les eaux côtières (Fölster et al., 2014). Dans les années 1960, les efforts de maîtrise de la problématique de l’eutrophisation ont mené à la construction d’usine de traitement des eaux usées avec des techniques d’abattement du phosphore, après qu’un lien robuste entre bloom algal et un excès de phosphore dans les eaux usées ait été établi scientifiquement. Les mesures de réduction en phosphore dans les stations de traitement produiront en général des effets presque immédiats sur la baisse des concentrations en phosphore total, à une exception près, ce qui suggère l’importance d’autres facteurs dans le contrôle du développement algal.

Il serait malaisé de proposer ici un bilan des programmes de lutte contre l’eutrophisation tant ils ont donné lieu à des évaluations disparates, voire contradictoires dans certains cas. Retenons néanmoins que les efforts de réduction des apports en nutriments ont en partie porté leurs fruits en ce qui concerne les apports en azote et phosphore en provenance de sources ponctuelles. Cela vaut pour les milieux côtiers également. En revanche les objectifs relatifs aux apports en azote de sources diffuses ont rarement été atteints (Herzog et al. 2008). Ce bilan s’avère particulièrement négatif pour les écosystèmes côtiers (Boesch, 2002).

Boesch (2002) évoque des objectifs de réduction des apports en nutriments relativement arbitraires, fruits de la combinaison entre jugement professionnel et art du politique. Des objectifs de réduction ont été décidés sans que l’on dispose d’une réelle compréhension du moment et de la manière dont cela va affecter les milieux côtiers. Or, plusieurs travaux (Fölster et al., 2014) ont déjà souligné l’importance de posséder des séries de données environnementales sur le temps long18 pour une meilleure gestion

environnementale et notamment pour pouvoir évaluer l’efficacité des mesures de politiques publiques mises en place, particulièrement en ce qui concerne l’eutrophisation du fait par exemple de fortes variations interannuelles. Les travaux d’Herzog et al. (2008) évoquent des recherches utilisant la modélisation afin de pouvoir différencier l’efficacité de plusieurs types d’interventions. Toutefois, ces auteurs rappellent que la relation de cause à effet entre mesure de politique publique mise en place et impact sur la pollution diffuse est parfois difficile à établir comme nous l’évoquions déjà supra avec les travaux de Boesch (2002). Pour élucider cette relation, des dispositifs de surveillance des paramètres azote, phosphore et érosion des sols ont été combinés avec des outils de modélisation afin de pouvoir isoler les effets de chaque mesure individuelle. Etant donné les nombreuses incertitudes introduites à différents niveaux, les résultats de cette modélisation doivent être considérés comme des estimations plus que comme des données précises (Herzog et al., 2008).

Quant aux dispositifs de surveillance, ils sont pour les pollutions d’origine diffuse en règle générale plus difficiles à mettre en place (Boesch, 2002). De Jong (2016) montre également que la mise en place d’instruments d’observation des effets des mesures en place sur le phénomène eutrophisation s’est également avérée beaucoup plus problématique, voire irréaliste (étant donné le pas de temps relativement court imposé aux écologues marins par les politiques et les gestionnaires), que ce qui avait été imaginé au départ.

Boesch (2002) pointe aussi de nouvelles attentes, plus exigeantes, vis-à-vis de la science. Cela pourrait éclairer en partie le relatif échec des programmes de lutte. Il ne s’agit plus seulement pour la science de diagnostiquer un niveau d’eutrophisation et ses causes. Elles doivent désormais pouvoir renseigner les autorités sur le niveau de sensibilité des différents écosystèmes à un enrichissement excessif par les

18 Voir chapitre 4

nutriments, ou encore cibler stratégiquement des objectifs de réduction au sein des bassins, définir un état du milieu désirable lorsque l’on met en place des actions de réhabilitation, ou encore prédire les réponses du milieu selon une approche de gestion adaptative.

Une autre explication à ce relatif échec de l’action publique peut être proposée en s’intéressant aux approches privilégiées. Des années 1980 à 2000, la majorité des pays ont opté pour des approches d’engagement volontaire concernant les pollutions diffuses. De ce point de vue, les analyses diffèrent selon les auteurs sur l’efficacité des approches volontaires versus approches réglementaires. Skjaerseth (2010) par exemple conclut sur le fait que les mesures volontaires mises en œuvre au niveau du secteur agricole norvégien entre 1987 et 1995 dans le cadre de la Conférence internationale sur la mer du Nord auraient produit des résultats significatifs et se seraient avérés plus efficaces que les mesures coercitives expérimentées entre 1995 et 2000 (notamment au-travers de la convention OSPAR de 1992 et la directive européenne Nitrates de 1991) puis entre 2000 et 2007. En guise d’explication à cette différence dans l’efficacité des approches, l’auteur suggère que les mesures contraignantes représentent des mesures méticuleusement négociées et reflètent les efforts que les gouvernements, particulièrement vigilants, sont prêts à consentir. A l’inverse, les accords volontaires, en l’occurrence celui relatif à la seconde North Sea Conference à Londres en 1987 se sont déroulés dans des conditions plus opaques, sous un « voile d’incertitude » concernant les conséquences économiques et pratiques des décisions prises, surtout parce que les groupes agricoles n’ont pas été inclus dans le processus de négociation et n’ont pas été suffisamment consultés. Plus que le caractère coercitif ou volontaire de l’approche cependant, ce qui constitue, selon nous, la véritable différence entre les deux approches ne tient pas dans leur caractère coercitif ou volontaire, c’est surtout le fait que les groupes d’intérêts professionnels agricoles n’avaient pas à l’époque (1987-1995) encore pu se mobiliser pour dénoncer et s’opposer à des mesures de réduction des apports en nutriments (azote et phosphore) qui allaient s’avérer coûteuses pour leur secteur d’activité. Skjaerseth qualifie ces coûts comme concentrés sur les agriculteurs alors que les bénéfices sont diffus et profitent à l’ensemble de la population plutôt qu’à celle agricole. Or on sait que l’action publique est particulièrement difficile dans ce type de configuration (Hassenteufel, 2008).

Les conclusions des travaux de Morris (2008) dans le Golfe du Mexique sur l’approche dite de l’« environnementalisme civique » sont plus mesurées. Cette approche se caractérise par l’accent mis entre autres sur la gouvernance polycentrique, une participation locale, des programmes incitatifs (outils de marché, partenariats public-privé) et volontaires. Cette approche s’est avérée relativement fructueuse pour gérer des problèmes à petite échelle très localisée. En revanche, le bilan est beaucoup plus mitigé dans le cas de problèmes environnementaux complexes à grande échelle comme celui de la zone morte du Golfe du Mexique. En dehors de ces questions d’échelle, May (2005) engage une discussion plus générale sur ces deux approches, et conclut sur le fait que l’approche réglementaire traditionnelle s’avère plus efficace que celle uniquement centrée sur la dimension volontaire.

Autre explication possible des difficultés à atteindre les objectifs fixés au sein de l’action publique: la question de la mobilisation des groupes d’intérêts. Sur cette dimension, il n’existe pas non plus de vision partagée des auteurs, même quand leur analyse couvre la même aire géographique. Selon Linke et al. (2014), il n’y a eu, pour le moment dans les pays d’Europe du Nord, que très peu d’interférence de la part des différents groupes d’intérêts, probablement, selon les auteurs, parce que peu d’entre eux ont été impliqués jusqu’à présent sur le sujet et parce que la coopération régionale avec HELCOM ne s’est pas encore déclinée en plans d’action nationaux susceptibles de remettre en cause certains intérêts constitués. Peu de divergences majeures ou de conflits d’intérêts entre organisations agricoles, scientifiques ou gestionnaires se seraient pour l’heure manifestés. Mais si personne ne s’est encore réellement emparé des questions d’incertitude scientifiques, la gestion de ce défi pourrait pourtant resurgir sur le devant de la scène, une fois le Baltic Sea Action Plan (BSAP) mis en œuvre, ou quand des discussions s’engageront avec le secteur agricole notamment autour d’un plan de réduction des apports en nutriments beaucoup plus économe. Linke et al. évoquent une conception idéalisée des rapports entre science et politique dans le cas de l’eutrophisation, dans laquelle les différents acteurs s’imaginent

que plus de science et de connaissances apporteront toujours les réponses nécessaires au problème. Ces relations apaisées au sein de la communauté scientifique et entre scientifiques et gestionnaires ou politiques s’expliquent par l’absence de politisation des enjeux. Les auteurs ajoutent ainsi que quand l’action publique concrète commencera à exacerber les intérêts, ceux-ci tenteront alors d’exploiter habilement les incertitudes inévitables qui ne manqueront pas de se manifester sur le sujet de l’eutrophisation comme ailleurs, en dépit de l’accord général qui prévaut aujourd’hui entre scientifiques, gestionnaires de HELCOM, autorités nationales et autorités européennes.

A l’inverse, Pihlajamäki et Tynkkynen (2011) évoquent un échec de l’action publique en Finlande (objectifs de réduction des apports en nutriments non atteints ; absence d’instruments de mise en œuvre des objectifs de réduction), qui s’expliquerait justement par la mobilisation des groupes d’intérêts agricoles en particulier. Pour Löwgren et al. (1989), évoquant le cas de la Suède, les mesures concernant l’azote n’étaient pas perçues comme souhaitables dans les années 1980 parce que cela impliquait un changement de pratiques agricoles. Boesch (2002) confirme dans le cas de Chesapeake Bay (Etats-Unis), que pour mesurer les progrès accomplis, en 1980, le facteur azote n’était pratiquement pas mentionné dans les débats sur l’eutrophisation, tant il paraissait illusoire sur un plan politique de tenter d’assigner des objectifs de réduction des apports en azote dans le cœur agricole de l’Amérique si éloigné du golfe où le phénomène d’eutrophisation se manifestait. Pour Laakkonen et Laurila (2007), la pression pour des actions ciblant l’azote provenait clairement en Finlande d’organisations internationales ou d’autres pays. Des pays comme le Danemark et la Suède avaient adopté des mesures de réduction de l’azote en 1987 et 1990. La Commission d’Helsinki (HELCOM) avait également recommandé un objectif de réduction de l’azote pour 1998, tout comme la Commission européenne exigeant une réduction de 70 à 80% de l’azote.

Pour Boesch (2002), qui analyse les phénomènes d’eutrophisation dans les écosystèmes côtiers de par le monde, une seconde génération de mesures de gestion tend à être basée sur des objectifs de résultats dans le milieu côtier et sur des objectifs de réduction des apports qui leur correspondent (approche américaine du Total Daily Maximum Load ou approche DCE en Europe):

9.2.4.2.Le nouveau contexte introduit par la Directive-Cadre sur l’Eau dans l’Union

Outline

Documents relatifs