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TITRE I. LES ATTEINTES ACTIVES À L’INTEGRITÉ DES PERSONNES DÉTENUES

Section 1. Le principe de sécurité au soutien de pratiques attentatoires à l’intégrité

A. Politiques sécuritaires et contrôle carcéral

2. Le principe de sécurité en droit interne

220. Le recours au principe de sécurité permet aux juridictions administratives de justifier certaines atteintes subies par les personnes détenues. La jurisprudence interne y fait donc fréquemment référence.

221. L’utilité du recours au principe de sécurité. Les références au principe de sécurité interviennent dans le contentieux interne tant pour le contrôle de la légalité que dans le cadre du contentieux de la responsabilité dans lequel on le retrouve sous les termes de « contraintes particulières qui pèsent sur l’administration pénitentiaire »495. Il doit cependant être souligné ici que le contentieux de la responsabilité n’est guère développé dans le domaine des atteintes actives portées par les autorités publiques aux personnes détenues496. Le contrôle est opéré essentiellement sur le fondement du recours pour excès de pouvoir, il s’agit donc d’un contrôle de la légalité de la décision contestée. Éric Péchillon considère que la sécurité est un « instrument de limitation de responsabilité »497. En effet, la reconnaissance d’une exigence

493 DELMAS-MARTY M., « Les droits de l’homme, processus d’humanisation réciproque », Mélanges Jean-Paul

Costa, La conscience des droits, Dalloz, Paris, 2011, p. 217.

494 BELDA B., Les droits de l’homme des personnes privées de liberté. Contribution à l’étude du pouvoir

normatif de la Cour européenne des droits de l’homme, Op. Cit., p. 246.

495 Mémoire du Garde des Sceaux en réponse à une demande de référé provision TA Rouen en date du 21 novembre 2011, n°1102675, p. 2.

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L’étude du contentieux relatif aux atteintes actives révèle que les requérants saisissent davantage le juge de l’excès de pouvoir qu’ils ne demandent d’indemnisation des préjudices subis à raison de telles pratiques inconventionnelles. Il s’agit indiscutablement d’un champ d’intervention juridictionnel qui a un fort potentiel de développement.

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spécifique de sécurité justifie l’extension des prérogatives de l’administration y compris lorsqu’elles sont susceptibles de porter atteinte à l’intégrité des personnes incarcérées498. Si le Conseil d’État sanctionne dorénavant les fouilles systématiques réalisées sans justification d’un impératif de sécurité précis, rien ne s’oppose néanmoins à ce que des fouilles quotidiennes puissent être considérées comme justifiées499. En principe, et en application des exigences européennes précitées, toutes les mesures attentatoires à l’intégrité des personnes détenues liées au contrôle carcéral, fouilles, rotations de sécurité, isolement, entraves, devraient être justifiées par des impératifs de sécurité concrets et individualisés.

222. A contrario, un argument d’autorité lié à des préoccupations générales de sécurité devrait être inopérant. À cet égard, des fouilles organisées systématiquement à la sortie des parloirs, généralement justifiées par la possibilité abstraite de faire entrer en détention des objets de l’extérieur, ne répondent pas à cette exigence d’un impératif de sécurité car il n’est ni individualisé ni concret500. La loi pénitentiaire subordonne d’ailleurs dans son article 57 la licéité des fouilles intégrales à l’existence d’une justification « par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement »501. Ces fouilles intégrales sont donc constitutives d’un traitement dégradant mais ce traitement est justifié par l’application du principe de sécurité502. Le raisonnement serait le suivant : dans la mesure où existe un impératif de sécurité, il n’y a pas d’atteinte à la dignité et plus la personne est

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Le professeur Damien Roets évoque à cet égard la spécificité d’un « contexte pénitentiaire », in ROETS D., « Big brother au parloir », note sous CEDH, WISSE c. France, 20 décembre 2005, Dalloz, 2006, pp. 764-768. Voir aussi, du même auteur, « Menottes, entraves et dignité de la personne », RPDP, 2001, p. 607-614.

499 Voir en ce sens CE, 26 septembre 2012, n°359479. L’arrêt affirme l’interdiction de principe des fouilles systématique en vertu de la loi pénitentiaire mais rappelle aussi l’éventualité d’un régime de fouilles corporelles quotidiennes qui serait justifié. Il fait ainsi référence à l’arrêt CE, ord., 20 mai 2010, n° 339259, AJDA 2010. 1846 ; RSC 2010. 645, chron. P. Poncela. Ici, ce sont essentiellement sur la nature des faits ayant entraîné la condamnation du requérant (association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme) et le comportement de la personne en détention que se fonde le Conseil d’État pour admettre que l’application du régime de fouille systématique à l’issue de chaque parloir ne constituait pas une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales du requérant, à condition que le chef d’établissement en réexamine le bien-fondé à bref délai et, le cas échéant, à intervalle régulier, afin d’apprécier si le comportement et la personnalité du requérant en justifient ou non la poursuite.

500 Sur ce point la jurisprudence du Conseil d’État semble conforme aux exigences européennes car elle refuse la systématisation des fouilles y compris dans des circonstances où un renforcement des mesures de sécurité de l’établissement apparaissait nécessaire. Voir notamment CE, ord., 9 sept 2011, req. n°352372, Dalloz actualité, 23 sept. 2011, obs. M. Léna ; AJDA 2011. 2495 ; D. 2011. 2784, entretien N. Ferran. Il s’agissait du centre de détention de Salon-de-Provence à l’époque de la diffusion d’une vidéo en ligne intitulée : « la prison de tous les trafics ».

501 Article 57 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009.

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Les requêtes de l’OPI en la matière font d’ailleurs valoir que les fouilles intégrales systématiques : « l’impact de cette décision sur l’intégrité psychologique des détenus subissant cette pratique, de ce que le caractère inhumain et dégradant de cette mesure, implique, au terme de l’article 13 de la convention européenne, un contrôle rapide de sa légalité et de ce que l’impératif de sécurité avancé par l’administration pénitentiaire n’est nullement établi » (Éléments repris par l’ordonnance TA Strasbourg, Ord., 8 novembre 2011, req. n°1105248).

considérée comme « dangereuse » moins les atteintes à l’intégrité physique ou psychique qu’il subit seront susceptibles d’être qualifiées de traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Comment continuer à affirmer qu’il s’agit d’un droit absolu ?

223. Les références au principe de sécurité dans l’ordre interne. L’argument sécuritaire est notamment invoqué par la Chancellerie concernant la surveillance permanente des détenus, portant atteinte à leur intimité la plus élémentaire. Le Gouvernement justifie parfois un traitement inhumain et dégradant par une obligation plus large de protection de l’intégrité des personnes détenues qui induit notamment la prévention des suicides503. Ainsi, sur la question du respect de l’intimité dans les lieux d’aisance, en méconnaissance de laquelle peut être qualifié un traitement dégradant selon les termes de la Cour européenne504, le gouvernement utilise généralement l’argument de la protection de l’intégrité contre la personne détenue elle-même et donc du maintien de la sécurité. Ainsi, il a pu être affirmé que « l’administration doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique, en tous lieux collectifs et individuels ; que les surveillants doivent être en mesure de contrôler visuellement la présence du détenu en cellule, y compris dans les toilettes ; que la conception de l’espace de vie réservé aux détenus est donc nécessairement dérogatoire aux règles applicables en milieu libre »505. Certains tribunaux administratifs affirment d’ailleurs que « la hauteur des murets de séparation a été imposée pour éviter les angles morts qui échappent à la surveillance du personnel pour prévenir suicides et automutilations ; tant la CESDH que la loi pénitentiaire font en effet obligation à l’administration pénitentiaire d’assurer à chaque détenu une protection de son intégrité physique : c’est la raison pour laquelle il n’y a pas de porte de séparation entre les toilettes et le coin repas, car tout contrôle visuel par œilleton serait réduit à néant […] »506.

224. Le Conseil d’État admet notamment que des entraves soient imposées à un détenu recevant des soins, hypothèse prévue par une circulaire du ministère de la justice, considérant qu’une telle mesure n’est pas attentatoire à la dignité humaine protégée par l’article 3 de la Convention européenne dès lors qu’elle est justifiée par un impératif de sécurité et que l’atteinte est proportionnée à cette exigence507. L’ingérence étatique dans le droit au respect de

503 Voir infra, §710 s.

504 CEDH, 19 avril 2001, PEERS c. Grèce, req. n°28524/95.

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CAA Bordeaux, 4 octobre 2011, n°10BX03196.

506 TA Marseille, Ordo. 27 juin 2011, n°1102260.

507 CE, 15 septembre 2007, n°281131 : « Considérant que M. A soutient que les mesures de sécurité prévues par la circulaire attaquée, notamment pour les détenus les plus dangereux pour lesquels elle autorise le menottage dans le dos ainsi que l’entrave et la présence de l'escorte à l'occasion de la consultation médicale, porteraient atteinte à la

l’intégrité des personnes détenues existe et il semble difficile de contester le risque que la garantie offerte par l’article 3 de la Convention devienne « relative si le principe de proportionnalité était manié inconsidérément »508. Pourtant comme le rappelle la jurisprudence administrative interne en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne509 « la nécessité d’assurer la surveillance des détenus pour les protéger des actes de suicide et d’automutilation ne saurait justifier » certaines atteintes510. C’est également au nom du principe de sécurité et de la prévention des suicides que certains détenus « à risques » sont soumis à une pratique qui consiste à réveiller les détenus suicidaires la nuit toutes les deux heures et parfois même toutes les heures. Un tel traitement ne pourrait-il pas être également qualifié d’inhumain511 ?

225. Le principe de sécurité est ainsi totalement intégré aux éléments d’appréciation dans la mise en œuvre du contrôle des pratiques pénitentiaires destinées au contrôle et à la surveillance des personnes incarcérées. L’exigence de sécurité est également omniprésente lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre la contrainte, ou la répression légale en milieu carcéral.

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