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TITRE I. LES ATTEINTES ACTIVES À L’INTEGRITÉ DES PERSONNES DÉTENUES

Section 1. Le principe de sécurité au soutien de pratiques attentatoires à l’intégrité

B. Politiques sécuritaires et pratiques répressives

2. L’encadrement de la répression carcérale

233. Vu ces éléments, a pu être encouragé « un contrôle souhaitable des pratiques disciplinaires »530, comme il semble souhaitable que les pratiques coercitives mises en œuvre à l’encontre des personnes détenues soient encadrées. Il apparaît que les instances de contrôle et les juridictions ont conscience des risques d’abus et prévoient des dispositifs pour les éviter.

234. Les instances de contrôle. Les risques de recours abusif à des moyens de coercition à vocation sécuritaire, qu’il s’agisse d’un exercice abusif de la contrainte légale ou du recours injustifié à des procédures disciplinaires, sont sérieusement pris en considération par les instances internationales qui manifestent une vigilance particulière à l’égard de ces prérogatives. Aussi, certaines dispositions en vertu desquelles il est interdit de prendre des sanctions contre des détenus qui exerceraient leurs droits fondamentaux peuvent être citées. Ainsi, un protocole facultatif à la Convention de prévention de la torture des Nations-Unies531 a

528

CÉRÉ J.-P., « Le nécessaire contrôle du pouvoir disciplinaire dans les prisons françaises », RSC, 1994, p. 606.

529 Ibid., p. 597. 530 Ibid., p. 606.

531 Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1984.

été adopté en 2002532 et préconise l’instauration, dans les États signataires, de mécanismes de contrôle extérieur et indépendant des établissements pénitentiaires. L’article 21 du protocole prévoit qu’« aucune autorité publique ni aucun fonctionnaire n’ordonnera, n’appliquera, n’autorisera ou ne tolérera de sanction à l’encontre d’une personne ou d’une organisation qui aura communiqué des renseignements, vrais ou faux, au mécanisme national de prévention, et ladite personne ou organisation ne subira de préjudice d’aucune autre manière ». Il est à souligner que la France n’a pas intégré cette exigence et a même formulé une réserve d’interprétation, alors que le protocole n’en prévoyait pas la possibilité, s’arrogeant le droit de poursuivre pénalement les personnes détenues qui feraient des réclamations abusives auprès de l’autorité de contrôle des établissements pénitentiaires533. Les juridictions administratives devraient donc être vigilantes à cet égard.

235. La Cour européenne. La Cour européenne est également attentive à l’égard des pratiques étatiques et apprécie l’application du principe de sécurité mis en avant par les gouvernements. La Cour est donc investie de ce pouvoir de limitation de l’extension du principe de sécurité, car tenue de déterminer le champ de la contrainte « nécessaire ». Sur l’imposition d’entraves à une personne extraite pour des soins hospitaliers, « la Cour rappelle qu'elle attache une importance particulière aux circonstances de chaque espèce, et l’examine au cas par cas, afin d'apprécier la nécessité d’entraver les condamnés en dehors du milieu pénitentiaire, notamment dans les hôpitaux »534. Il importe de déterminer « s’il y a lieu de penser que l’intéressé opposera une résistance à l’arrestation, ou tentera de fuir, de provoquer blessure ou dommage ou de supprimer des preuves »535. Ainsi, dans un arrêt Paradysz c.

France, le requérant avait été menotté et entravé à trois reprises au cours de transferts vers

l’hôpital au vu des personnes présentes sur le parking536. Il invoquait les arguments suivants : « le risque de fuite invoqué n’est pas raisonnable. Il dément l’absence d’attaches familiales dans la région et explique qu’après tant de mois passés en détention provisoire en attente du

532 Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 18 décembre 2002, entré en vigueur le 23 juin 2006.

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DELARUE J.-M., « Le Comité de prévention de la torture et le Contrôle général des lieux de privation de liberté. Un essai de comparaison », Art. préc., p. 199. Sur ce point l’auteur indique : « La protection prévue par le protocole n’est pas une précaution de pure forme. Il est dans la nature des choses que la personne privée de liberté, mais aussi l’agent public ou privé qui travaille auprès d’elle, lorsqu’ils ont été approchés au cours d’une visite par une CGLPL ou, a fortiori, lorsqu’ils ont demandé à être entendus par lui, suscitent la méfiance, voire le soupçon ; qu’après le départ du contrôle des questions lui soient posées, ou même que des sanctions (bien entendu pour un autre motif, ou alors non prévues par les textes), leur soient appliquées. […] On ne peut sous-estimer l’importance de ces circonstances qui pourraient paraître anodines. Mais elles n’ont pas seulement des conséquences qui peuvent être très sérieuse, pour les personnes en cause ; elles risquent aussi d’avoir pour effet, si elles se poursuivaient, l’amenuisement des contacts entre personnes privées de liberté et le contrôle général ».

534 CEDH, 29 octobre 2009, PARADYSZ c. France, req. n°17020/05, §89.

535 CEDH, 16 décembre 1997, RANINEN c. Finlande, req. n°20972/92, §56.

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verdict de l’appel, il n’est pas sérieux de parler de risque de fuite, sinon de manière spéculative et stéréotypée »537. En revanche, « compte tenu de la peine encourue, du profil pénal du requérant et de ses antécédents de violence, la Cour estime que la mesure d’entrave, limitée à trois opérations de transfert à l’hôpital, était proportionnée au regard des nécessités de la sécurité »538. La Cour affirme qu’eu égard au faible nombre d’extractions, l’atteinte à l’intégrité physique du détenu était justifiée par un impératif de sécurité, lié aux risques d’évasion.

236. La Cour opère un contrôle des exigences de sécurité invoquées par les gouvernements dans l’usage de la répression et la discipline carcérale, bien que le contentieux soit moins abondant que celui relevant du contrôle sécuritaire (fouilles et régimes de détention essentiellement). L’arrêt Alboréo c. France s’inscrit dans un contentieux relatif à l’usage de la force contre une personne privée de liberté, au regard de l’exigence de sécurité. Dans cette affaire, la Cour conclut à la violation de l’article 3 de la Convention notamment en raison de l’absence d’explication apportée par les autorités publiques quant au sort du requérant,

souffrant d’une côte cassée après une intervention musclée des ERIS539 pour refus

d’obtempérer en considérant que « même si aucun élément du dossier ne permet d’affirmer avec certitude que c’est au cours de ces interventions que la côte du requérant a été fracturée, la Cour estime que les allégations du requérant sont plausibles au vu de la manière dont les opérations se sont déroulées et notamment du fait que le requérant, mesurant 1, 72 m et pesant 66 kgs, a été maîtrisé par quatre agents des ERIS et fermement plaqué au sol à deux reprises. Elle estime en outre qu’une telle séquelle atteint indubitablement le seuil minimum de gravité requis par l’article 3 et que des explications sont nécessaires sur la survenue d’une telle blessure »540. Le professeur Martine Herzog-Evans retient, concernant cette décision, ajoutée aux autres constats de violation sur le fondement de l’article 3 de la Convention formulés par la Cour en en 2011 et 2012, « qu’elles montrent que ce ne sont pas seulement des décisions ou actes isolés qui sont en cause dans notre pays, mais bien plutôt que ceux-ci résultent d’un mode organisationnel, d’un type de gouvernance pénitentiaire que la Cour désapprouve manifestement »541.

537 Ibid., §82.

538 Ibid., §95.

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Équipes Régionales d’Intervention et de Sécurité.

540 CEDH, 20 octobre 2011, ALBOREO c. France, req. n° 51019/08, §99, AJDA, 2012, p. 143, chron. L. Burgorgue-Larsen ; AJ pénal, 2012, p. 175, obs. M. Herzog-Evans.

541 HERZOG-EVANS M., note sous CEDH, 20 octobre 2011, ALBOREO c. France, req. n° 51019/08, AJ pénal, 2012, p. 176.

237. Les juridictions administratives. Comme cela a précédemment été évoqué, les juridictions administratives internes qui ont à connaitre des recours pour excès de pouvoir mais également des recours en responsabilité de l’État encadrent également la mise en œuvre du principe de sécurité et l’œuvre jurisprudentielle est déterminante. Le tribunal administratif de Nantes a d’ailleurs statué sur le cas d’un détenu de 65 ans, condamné à 12 ans de réclusion criminelle ayant obtenu une permission de sortir sous escorte pour assister aux obsèques de sa sœur. Toute la durée de la sortie de l’établissement, du trajet avec les gendarmes, à l’enterrement lui-même, le détenu a été contraint au port des menottes. Par la suite, il engage une action en responsabilité pour faute contre l’État au motif que le port permanent des menottes n’était pas justifié et constituait un traitement dégradant. Le tribunal, pour qualifier la faute de l’administration, désapprouve la qualification retenue par l’administration pénitentiaire des exigences de sécurité qui ne se focalisait que sur la situation pénale de l’intéressé542. Le tribunal considère « qu’en prenant en compte ces seules considérations, sans examiner le comportement pénal du détenu, sa dangerosité et les craintes d’évasion que sa sortie pouvait, dans son propre contexte, susciter, l’administration a fait une inexacte application des dispositions de l’article 803 précité du code de procédure pénale ». Les arguments sécuritaires invoqués étant infondés, l’administration a commis « une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l’État » à l’égard du requérant543. Le pouvoir de coercition de l’administration est important mais ne doit pas être sans limite.

238. Concernant ces limites, un arrêt du Conseil d’État attire l’attention de l’observateur quant principe fondamental qu’il pose, davantage que pour les enjeux concrets de l’affaire. Un détenu assis sur un muret dans un parloir avait refusé d’obéir à un surveillant qui lui demandait de descendre, considérant cet ordre comme dépourvu de base légale. En application du code de procédure pénale544, le Conseil d’État affirme « qu’en dehors de la seule hypothèse où l’injonction adressée à un détenu par un membre du personnel de l’établissement pénitentiaire serait manifestement de nature à porter une atteinte à la dignité de la personne humaine, tout

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TA, Nantes, 19 octobre 2011, req. n°0802478 : le tribunal retient que « l’administration s’est fondée sur la situation pénale de M. Y qui avait été condamné en 2003 à 12 ans de réclusion criminelle pour viols sur mineur de 15 ans et auquel il restait 7 ans d’emprisonnement à effectuer ainsi que sur sa condition physique supposée ».

543 Jean-Paul Céré considère que le raisonnement du tribunal administratif doit être rapproché de celui de la Cour européenne affirmant qu’« il importe donc de considérer notamment le risque de fuite, de blessure ou de dommage. À défaut de pouvoir raisonnablement le justifier, c’est bien un constat de violation de l’article 3 auquel il faut parvenir », in CÉRÉ J.-P., note sous TA, Nantes, 19 octobre 2011, req. n°0802478, AJ pénal, 2012, p. 49.

544 Aux termes de l’article D. 249-3 du code de procédure pénale, aujourd’hui repris au 3° de l’article 57-7-3 du même code : Constitue une faute disciplinaire du troisième degré le fait, pour un détenu : 4° de refuser d’obtempérer aux injonctions des membres du personnel de l’établissement ; aux termes de l’article D. 251 du code de procédure pénale, aujourd’hui repris à l’article R. 57-7-33: Lorsque le détenu est majeur, peuvent être prononcées, quelle que soit la faute disciplinaire, les sanctions disciplinaires suivantes : 5° La mise en cellule disciplinaire dans les conditions prévues aux articles D. 251-3 et D. 251-4.

ordre du personnel pénitentiaire doit être exécuté par les détenus »545. Il est nécessaire de rappeler que la dignité humaine qui implique le respect de l’intégrité physique et psychique doit sans cesse être opposée à une définition extensive de la sécurité. Alors que les gouvernants s’attachent à étendre la définition des préoccupations de sécurité, les juridictions et les instances internationales doivent militer pour un respect strict de la dignité afin qu’un juste équilibre soit maintenu.

239. La prégnance du principe de sécurité en milieu carcéral n’a donc plus à être démontrée tant au regard de la jurisprudence européenne qu’interne. Au-delà de cette prégnance, l’extension du principe de sécurité qui pourrait se transformer en principe de précaution semble à craindre car il constituerait dès lors un obstacle de taille à l’effectivité des droits fondamentaux et en particulier au droit à l’intégrité.

§2. L’extension des exigences de sécurité

240. Comme l’affirme le CGLPL, même si la portée générale des droits fondamentaux semble dorénavant connue et reconnue, « dans un espace privé de liberté, les mesures de sécurité sont sans cesse renouvelées et adaptées »546. Les conceptions étatiques et européennes de la sécurité de sont pas figées. A l’heure de la promotion d’une société du risque zéro547, où la figure dangereuse est exacerbée et instrumentalisée au profit des politiques pénales (A), le risque d’extension de la violence carcérale au nom de la sécurité n’est pas à exclure (B).

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