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TITRE I. LES ATTEINTES ACTIVES À L’INTEGRITÉ DES PERSONNES DÉTENUES

Section 1. Le principe de sécurité au soutien de pratiques attentatoires à l’intégrité

B. Politiques sécuritaires et pratiques répressives

1. La mise en œuvre de la répression carcérale

227. La répression carcérale est autonome de la répression pénale générale. Sont visés ici des mécanismes pénitentiaires dont la vocation première est sécuritaire : contrainte légale et sanction disciplinaire. Excédant caractère nécessaire du recours à de telles mesures, ces initiatives pénitentiaires pourraient être qualifiées de traitement prohibé.

228. La contrainte légale. « L’ordre et la discipline doivent être maintenus avec fermeté, mais sans apporter plus de contraintes qu’il n’est nécessaire pour le maintien de la sécurité et d’une bonne organisation de la vie en collectivité »514. Comme cela a pu être démontré dans un ouvrage de sociologie intitulé Le monde des surveillants de prison, « l’autorité sur la population pénale est un élément requis de la relation surveillant-détenu. Elle figure d’ailleurs parmi les critères d’évaluation du surveillant par la hiérarchie »515. Les auteurs ajoutent que « la loi dans sa visée sécuritaire construit le rapport social aux détenus dans une perspective totalement instrumentalisée de contrôle total, de ‘surveillance constante’ et de rapports de force omniprésents »516. La loi organise ce rapport de force en prévoyant les conditions dans lesquelles la force peut être utilisée contre un détenu. Le rapport d’activité 2010 du CGLPL rappelait que l’article 726 (ancien) du code de procédure pénale permet au agents de l’administration pénitentiaire d’avoir recours « à des moyens de coercition, en cas de fureur ou de violence grave »517 des détenus. L’usage des armes doit être distingué des moyens de contrainte. L’article D. 283-5 du code de procédure pénale prévoit en outre que la force soit utilisée contre une personne détenue en cas de résistance par la violence ou par inertie. Le critère qui semble retenu par le code de procédure pénale consacré aux moyens de contrainte semble être celui de l’ultima ratio de l’utilisation de la force puisque « les moyens de contraintes visés à l’article 726 ne peuvent être utilisés […] s’il n’est d’autre possibilité de maitriser un détenu, de l’empêcher de causer des dommages ou de porter atteinte à lui-même ou à autrui »518. Il apparaît que le cadre légal ne donne pas de critères précis pour séparer les modalités d’intervention qui devraient l’être : l’arme létale, l’arme non létale, la force non

514 Article D. 242 du code de procédure pénale.

515

CHAUVENET A., ORLIC F. et BENGUIGUI G., Le monde des surveillants de prison, PUF, coll. Sociologies, Paris, 1994, p. 81.

516 Idem.

517 CGLPL, Rapport d’activité 2010, p. 13.

518

armée et la simple contrainte et les termes sont parfois employés de manière injustifiée. La loi pénitentiaire a néanmoins précisé que le recours à la force et le cas échéant à l’usage d’une arme à feu se justifiait dans trois hypothèses seulement : la légitime défense, la tentative d’évasion, la résistance par la violence ou par inertie physique aux ordres donnés. L’article R. 57-7-84 issu du décret n° 2010-1634 du 23 novembre 2010 « a précisé utilement que l’usage des armes dans les établissements pénitentiaires devait être précédé de ‘sommations faites à

haute voix’. Quant à la résistance violente ou à l’inertie physique, elles doivent être le fait de

‘plusieurs personnes détenues’ et non d’une seule »519.

229. Au regard des critères légaux, la systématisation du port de menottes ou d’entraves ne devrait pas être considéré comme légitime. L’article 803 du code de procédure pénale prévoit que « nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s’il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite ». Le caractère systématique de la contrainte physique s’oppose à l’exigence de l’ultima ratio induite notamment par la règle selon laquelle par « précaution contre les évasions, les détenus peuvent être soumis au port des menottes ou, s’il y a lieu, des entraves pendant leur transfèrement ou leur extraction, ou lorsque les circonstances ne permettent pas d’assurer efficacement leur garde d’une autre manière »520. Si la coercition légale est indispensable, la question du respect des droits fondamentaux des personnes incarcérées au regard du développement de moyens de contraintes de plus en plus efficaces mérite d’être soulevée. Investie d’un pouvoir de coercition, la limite qui doit être fixée entre la contrainte légitime et légale et l’excès de contrainte qui doit être assimilé à la violence pose des difficultés certaines.

230. À cet égard, la nécessité d’adapter les critères des atteintes prohibées au titre de l’article 3 de la Convention aux évolutions techniques de la répression doit être soulignée. Johan Callewaert, administrateur à la Cour, évoque notamment, concernant les gardes à vue, des techniques d’interrogatoires qui « sans être moins efficaces, se font cependant plus raffinées, notamment en ce qu’elles « ne laissent pas de traces », du moins apparentes… » 521.

519

Rapport de M. LECERF et Mme BORVO COHEN-SEAT au nom de la commission des lois et de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois sur l’application de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, 4 juillet 2012, n°629.

520 L’article D. 283-4 du code de procédure pénale. La loi ajoute que l’application des mesures de surveillance et de contraintes prévues à l’article D. 283-4, « doivent être proportionnées au danger qui apparaissent dans chaque cas particulier ».

521CALLEWAERT J., « L’article 3 de la Convention européenne : une norme relativement absolue ou absolument relative ? », Art. préc., p. 35. L’auteur fait ici reference à CASSESE A., « Prohibition of torture and Inhuman or degrading treatment or punishment », Art. préc., p. 258.

Les exigences d’une société démocratique imposent que ces mutations soient prises en compte pour apprécier au mieux les violations alléguées de l’article 3 de la Convention. En ce sens, le CGLPL évoquait à la suite d’une visite à la maison d’arrêt de la Santé en 2009 « la fréquence élevée du recours à un mode de coercition draconien en cas d’extraction » ; il rappelait d’ailleurs que « les dispositions de l’article 803 du code de procédure pénale522, […] devraient être appliquées avec un plus grand discernement »523. Il considérait en effet que le niveau de sécurité maximal était systématiquement appliqué, par précaution, sans détermination d’un risque précis pour la sécurité. Le risque d’illégitimité est grand et ces violences sans traces ne sont pas pour autant admissibles.

231. La répression disciplinaire. Tout d’abord, la loi prévoit qu’« aucun moyen de contrainte ne peut être employé à titre de sanction disciplinaire »524. L’article R. 57-7-13 du code de procédure pénale relatif aux poursuites disciplinaires prévoit qu’en « cas de manquement à la discipline de nature à justifier une sanction disciplinaire, un compte rendu est établi dans les plus brefs délais par l’agent présent lors de l’incident ou informé de ce dernier ». Un tel manquement dans un certain nombre d’hypothèses énumérées par le code de procédure pénale peut aboutir à un confinement en cellule individuelle ou à un placement en cellule disciplinaire au besoin par la force. Comme cela a précédemment été évoqué, les cellules disciplinaires sont « spécialement aménagées »525. Le droit répressif disciplinaire en détention est constitué par un ensemble de normes réglementaires526, essentiellement fondé sur le règlement intérieur de l’établissement concerné et dont la mise en œuvre peut être considérée comme un moyen de contrainte et parfois comme un moyen de pression sur les personnes privées de liberté qui craignent les séjours en cellule disciplinaire. Éric Péchillon considère que, dans le cadre pénitentiaire, la discipline occupe une place particulière « car elle est le reflet, plus que tout autre, de la complexité et de la diversité de la mission de sécurité »527. Pour les personnels de l’administration, l’exercice des poursuites disciplinaires est justifié par des nécessités de maintien de l’ordre et de la sécurité. L’équilibre quotidien de la détention est fragile et un écart à la norme qui pourrait sembler sans incidence en milieu ouvert peut susciter des réactions et des violences difficilement maîtrisées.

522 L’article dispose que : « Nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s’il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite ».

523

CGLPL, Rapport de constat : Maison d’arrêt de Paris la Santé (75), décembre 2009, p. 73.

524 Article D. 283-3 du code de procédure pénale.

525 Article R. 57-7-43 du code de procédure pénale.

526

Comme le soulignait Michel Foucault « les disciplines établissent une infra-pénalité ; elle quadrillent un espace que les lois laissent vide ; elles qualifient et répriment un ensemble de conduites que leur relative indifférence faisait échapper aux grands systèmes de châtiment » in FOUCAULT, Surveiller et punir : naissance de la prison,

Op. Cit., p. 180. 527

232. Le risque induit par ce système répressif interne aux établissements pénitentiaires est celui d’une utilisation abusive de la procédure disciplinaire au titre de représailles ou de punition, qui caractériserait un usage illégitime des prérogatives de puissance publique dont sont titulaires les agents de l’administration pénitentiaire. Comme l’affirme sans détour Jean-Paul Céré « l’incarcération n’autorise pas l’impunité des pratiques déshumanisantes, les conditions de détention doivent rester dans les limites du raisonnable et du tolérable. Si l’isolement en prison s’impose, ne serait-ce que pour des raisons évidentes de sécurité ou de discipline, sa mise en œuvre ne saurait conduire à des dépassements arbitraires »528. Au regard de la prohibition des traitements inhumains ou dégradants toute la difficulté réside dans l’appréciation des sanctions disciplinaires justifiées et proportionnées, afin de les distinguer des sanctions abusives. « Séparer le bon grain de l’ivraie ». Il s’agit de respecter « la dignité de l’homme bravant, parfois avec violence, le règlement pénitentiaire »529. Le recours aux sanctions disciplinaires constitue donc une prérogative des autorités pénitentiaires susceptible d’avoir pour conséquence des atteintes actives à l’intégrité des personnes détenues. Il est nécessairement encadré.

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