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TITRE I. LES ATTEINTES ACTIVES À L’INTEGRITÉ DES PERSONNES DÉTENUES

Section 1. Le principe de sécurité au soutien de pratiques attentatoires à l’intégrité

B. Le « risque d’extension de la violence carcérale » 587

2. La nécessaire reconnaissance d’une indispensable vigilance

262. Le renforcement des dispositifs répressifs et de contrôle induit un risque d’extension de la violence carcérale au sens où il véhicule une nouvelle forme de violence qui s’ajouterait aux formes de violences déjà inhérentes à l’institution par ailleurs évoquées. En ce sens, le professeur Martine Herzog-Evans affirme que « l’orientation générale est au durcissement des régimes de détention, suivant en cela un modèle venu des États-Unis, que d’aucun ont pu qualifier de pénologie post moderne ou d’autres de gouvernance disciplinaire »598.

263. Le rapport de l’ENAP. Les réflexions menées par l’École nationale de l’administration pénitentiaire (ci-après ENAP) sont particulièrement intéressantes. Les chercheurs de l’ENAP ont produit en 2008 un rapport remarquable, relatif à l’utilisation des

597 Les conditions de détention en France, Rapport 2011 de l’OIP, La découverte, 2012, 336 p.

598

HERZOG-EVANS M., Droit pénitentiaire, Op. Cit., §003.211, p. 33. Sur la pénologie postmoderne l’auteur fait notamment référence à GARLAND D., The culture of Control. Crime and Social Order in Contemporary

Society, Oxford University Press, 2001. Sur la gouvernance disciplinaire, elle fait reference à CARLEN P.,

Imprisonment and the penal body politic : the cancer of disciplinary governance », in LIEBLING A. et MARUNA S. (dir.), The Effects of Imprisonment, Willan Publishing, 2005, p. 421.

armes de neutralisation momentanée en prison599, affirmant que « les nouvelles technologies dites « non létales » permettent en effet de contraindre ou de contrôler des individus d’une manière plus douce qu’avec les méthodes classiques, en particulier les armes à feu. Mais cette relative douceur aurait finalement pour résultat d’étendre le champ d’utilisation de la violence répressive »600, mais non répréhensible. L’effectivité des droits fondamentaux des personnes détenues est mise en question par ces nouvelles techniques601. Les auteurs de ce rapport remarquent que traditionnellement, en détention, les personnels n’étaient pas armés et il semble donc que les armes non létales, dont les catégories se diversifient, n’aient pas vocation à remplacer des armes létales qui auraient précédemment été utilisées, mais bien l’absence d’arme.

264. Cela « pourrait entraîner une extension du champ d’application et une intensification de l’usage de la force en favorisant l’utilisation d’armes pour obtenir l’obéissance et non pas simplement pour se protéger »602. L’auteur du rapport résume une source d’inquiétude ainsi : « là où, pour simplifier, il y avait le choix entre tuer et maîtriser à mains nues, il est maintenant possible de choisir entre plusieurs outils qui sont des armes sans en être vraiment. Il n’est plus possible de se limiter à un choix binaire entre deux options différentes par nature et, plus il y a de réponses possibles, plus il faut être capable de moduler la réponse proportionnellement à la situation »603. Une limite semble s’estomper : celle entre désordre et danger. Il est possible de constater « un risque d’extension de la violence en prison, là où ces armes prétendent au contraire permettre une diminution du niveau de violence »604. Aussi distinguer le légitime de l’illégitime devient, pour les juridictions, une tâche qui se complexifie.

265. Visée prospective. Ce risque d’extension de la violence carcérale doit être pris au sérieux. Il doit surtout faire l’objet d’un contrôle scrupuleux par les juridictions. Dans l’arrêt

Alboréo c. France605 précité, la Cour qui conclut au constat de violation de l’article 3 de la

599

RAZAC O., L’utilisation des armes de neutralisation momentanée en prison, Enquête auprès des formateurs

de l’ENAP, CIRAP, dossier thématique n°5, juillet 2008. 600 RAZAC O., Op. cit., p. 19.

601 En ce sens, « Aux plans de l’applicabilité et de l’acceptabilité, l’accent est mis sur la compatibilité éventuelles des armements de neutralisation momentanée avec les règles de droit international humanitaire et les droits nationaux européens […] » : THYS P., « Quelques enjeux actuels des armes de neutralisation momentanée en Europe », Avant-Propos in RAZAC O., Op. cit, p. 5.

602 RAZAC O., Op.cit, p. 19.

603

Ibid., p. 20. 604 Ibid. p. 27.

605 CEDH, 20 octobre 2011, ALBOREO c. France, req. n° 51019/08, §§99 -101, la Cour affirme « qu’une telle séquelle atteint indubitablement le seuil minimum de gravité requis par l’article 3 et que des explications sont nécessaires sur la survenue d’une telle blessure. Elle considère qu’en l’espèce l’absence totale d’explication sur ce

Convention se situe sur le terrain probatoire : les autorités n’ont pas expliqué l’origine de la blessure du requérant, sans s’interroger sur la nécessité, où le caractère admissible ou non de telles méthodes. L’absence de positionnement clair de la Cour sur des pratiques précisément déterminées peut sembler critiquable et cet élément sera développé dans une réflexion relative à l’impossible définition des peines et traitements prohibés dans la seconde section. Le CGLPL évoquait, lors d’un conférence606, une affaire dont il avait eu récemment connaissance dans un courrier. Un homme, détenu particulièrement signalé, était à l’isolement, subissait des rotation de sécurité, obtenait ses aliments par un sas grillagé et ne sortait qu’après avoir été menotté par des agents pénitentiaires en tenue d’intervention. Comment appréhender ce type de situation au regard de la prohibition des traitements inhumains et dégradants. De plus, il existe une véritable difficulté à concilier l’application de principe sécuritaire avec l’objectif de réinsertion assigné à la privation de liberté. Il a ainsi été affirmé que « les attentes plus sécuritaires qui pèsent actuellement sur la prison impliquent des peines plus longues, plus de contrôles et de surveillance. Elles apparaissent incompatibles avec une philosophie thérapeutique de réinsertion fondée sur des rapports contractuels »607. Cette réflexion, bien qu’en marge des développements principaux de cette étude, ne doit pas être oubliée.

266. « Lutter contre la violence institutionnelle est absolument crucial »608. Pourtant, ces développements consacrés à l’extension du principe de sécurité révèlent un risque important, en intégrant totalement les exigences de sécurité aux critères du contrôle des atteintes alléguées par les personnes détenues ; en diversifiant par ailleurs les techniques de

neutralisation et de contrôle, les contours des atteintes prohibées s’effacent

progressivement. En outre, « il est admis que l’interdiction de la torture doit être considérée comme un « des garde-fous ou des limites fondamentales posées aux mesures sécuritaires, en particulier dans le monde carcéral »609. Pourtant les limites en matière d’exigence du respect de l’intégrité sont différemment appréciées dans le cadre de la détention ; aussi car il est admis qu’elle est source inévitable de souffrance et d’humiliation.

point de la part du Gouvernement et l’impossibilité d’établir les circonstances exactes dans lesquelles le requérant a été blessé, alors qu’il se trouvait sous le contrôle des agents de l’État, ne l’empêche pas de parvenir à un constat de violation matérielle de cet article. Dans ces conditions, la Cour estime que le requérant a subi des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention ».

606

Conférence-Débat, organisée par l’association Droit et Démocratie à l’auditorium du Conseil national des barreaux, 4 juin 2012.

607 CHAUVENET A., ORLIC F. et BENGUIGUI G., Op. Cit., p. 48.

608 HERZOG-EVANS M., Droit pénitentiaire, Op. Cit., §331.18.

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