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Les atteintes à l'intégrité des personnes détenues imputables à l'Etat : contribution à la théorie des obligations conventionnelles européennes : l'exemple de la France

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Academic year: 2021

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Submitted on 6 Dec 2017

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Les atteintes à l’intégrité des personnes détenues

imputables à l’Etat : contribution à la théorie des

obligations conventionnelles européennes : l’exemple de

la France

Anne Simon

To cite this version:

Anne Simon. Les atteintes à l’intégrité des personnes détenues imputables à l’Etat : contribution à la théorie des obligations conventionnelles européennes : l’exemple de la France. Droit. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2013. Français. �NNT : 2013PA010260�. �tel-01656923�

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Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne

École doctorale de droit comparé

LES ATTEINTES À L’INTÉGRITÉ DES

PERSONNES DÉTENUES IMPUTABLES À L’ÉTAT

Contribution à la théorie des obligations conventionnelles

européennes : l’exemple de la France.

Thèse pour l’obtention du titre de Docteur en droit privé et sciences criminelles

Présentée et soutenue publiquement le 4 décembre 2013 par

Anne SIMON

Membres du jury

Directeur de recherche :

Madame Christine Lazerges, professeur émérite de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne Rapporteurs :

Madame Jocelyne Leblois-Happe, professeur à l’Université de Strasbourg

Monsieur Pascal Beauvais, professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense Assesseurs :

Madame Françoise Tulkens, ancienne juge et vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme

Monsieur Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté

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Les conditions d’exécution de toute mesure privative de liberté sont déterminantes de son sens et de son efficacité en termes de réinsertion et lutte contre la récidive. La préservation de l’intégrité physique et psychique des personnes détenues constitue un facteur de légitimité indéniable de l’institution carcérale et de son rôle au sein d’une société démocratique. En vertu des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protègent respectivement le droit à la vie et la prohibition des traitements inhumains et dégradants, la jurisprudence européenne a identifié une pluralité d’obligations mises à la charge des États. Les atteintes portées à l’intégrité des personnes détenues dans le cadre de la détention carcérale peuvent être directement imputable à l’État lorsqu’elles résultent du fonctionnement officiel de l’institution, en particulier des fouilles, des placements à l’isolement, des rotations de sécurité, ou des conditions de détention. Elles peuvent aussi lui être indirectement imputables, lorsque la défaillance étatique a permis ou toléré la réalisation d’un acte particulier violant ces droits absolus protégés. L’élaboration des critères d’imputation à l’État de ces atteintes au droit à l’intégrité des personnes détenues et les limites de la responsabilité étatique sont précisément déterminées par la définition et l’intensité des obligations européennes. Si la Cour de Strasbourg apparaît comme le premier facteur de la mutation du droit pénitentiaire et d’une protection renforcée des droits des personnes incarcérées, les lacunes de sa jurisprudence pourraient avoir des effets contradictoires et faire obstacle à l’élaboration d’une théorie cohérente et systématisée des obligations conventionnelles européennes.

***

The conditions of enforcement of any custodial measure are crucial for its meaning and effectiveness in terms of reinsertion and the prevention of reoffending. The preservation of the prisoners’ physical and psychological integrity is a source of legitimacy for the prison institution and its function in a democratic society. Under articles 2 and 3 of the European Convention on Human Rights, which are respectively protecting the right to life and the prohibition of inhuman or degrading treatment, the European Court of Human Rights, in its case law, has identified numerous obligations imposed on Member States. The violations of the prisoners’ integrity during custody can be directly imputable to the State when resulting from the official functioning of the institution, especially bodily searches, solitary confinements, security rotations, or conditions of imprisonment. The violations can also be indirectly imputable to the State when its own failure permitted or tolerated a violation of these absolute rights by a private person. The development of the criteria for violations of prisoners’ integrity and the limits of the State responsibility are precisely delineated by the definition and the intensity of European obligations. If the European Court of Human Rights appears to be the primary cause of the changing nature of prison and of an increased protection of the prisoners’ rights, the loopholes of its case law might have contradictory effects and stand in the way of a coherent theory of the obligations under the European Convention on Human Rights.

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L’université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses ; ces opinions doivent êtres considérées comme propres à leurs auteurs.

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Cette thèse et son achèvement représentent le seuil d’une nouvelle étape de ma vie. Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont entourée sur le chemin, parfois chaotique, qui m’y menait et sans lesquelles je n’aurais pas été capable de le franchir.

Je souhaite, tout d’abord, remercier très chaleureusement le professeur Christine Lazerges qui m’a accompagnée pendant ces quatre années de travail avec une bienveillance et une gentillesse inestimables. Je la remercie pour toute la confiance dont elle m’a investie et pour ses conseils riches, précis et toujours optimistes. Sa présence fut le plus précieux des soutiens.

Je remercie également toutes les grandes âmes qui ont croisé ce chemin et qui, à leur manière, ont nourri mes réflexions toujours brûlantes sur le droit de la peine. Je pense tout particulièrement à Maître Etienne Noël qui m’a convaincue que l’on pouvait faire de l’engagement et de la passion un métier. Son expérience est une mine d’inspiration inépuisable. Je pense également à Monsieur Géraud Delorme dont la finesse et l’intransigeance des idées ont indéniablement marqué ce travail, je le remercie pour nos échanges nombreux, parfois houleux mais toujours fructueux.

Je remercie mes très chères relectrices, attentives et précises, amies et bien plus encore, Adèle, Marie, Maud, Olga, Sabrina, Vanessa, et Violette. Et je tire tout spécialement mon chapeau à ma sœur Laureline, unique relectrice non juriste, qui a affronté avec courage et ténacité la théorie des obligations conventionnelles, des premiers balbutiements du projet de recherche aux tous derniers instants.

Je remercie ma famille et mes amis, très chers et aimés, toujours à mes côtés, pour leur soutien indéfectible, leur présence et leur patience.

Je remercie Léo-Paul, premier étai de ma construction, pour sa confiance et son amour.

Une pensée, enfin, pour l’ensemble des personnels de la bibliothèque Malher pour leur disponibilité, leurs encouragements et leur contribution à mon cocon quotidien.

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ABRÉVIATIONS

Abréviations des revues

AJDA : Actualité juridique de droit

administratif

AJ pénal : Actualité juridique pénal APC : Archives de politique criminelle ARSS : Actes de la recherche en sciences

sociales

Bull. Crim. : Bulletin des arrêts de la Cour

de cassation (chambre criminelle)

CDE : Cahiers de droit européen

CFPA : Cahiers de la fonction publique et de

l’administration

CRDF : Centre de recherche sur les droits

fondamentaux

D. : Recueil Dalloz

Dr. Adm. : Droit administratif Dr. pén. : Droit pénal

Gaz. Pal. : Gazette du Palais HRLJ : Human Right law journal J.-Cl. Pénal : Juris-classeur Pénal JCP : Juris-classeur périodique (édition

générale)

JO : Journal officiel

RCA : Responsabilité civile et assurances RCADI : Recueil des cours de l’académie de

droit international

RDP : Revue de droit public RDPC : Revue de droit pénal et de

criminologie

RDSS : Revue de droit sanitaire et social RFAP : Revue française d’administration

publique

RFDA : Revue française de droit

administratif

RGDIP : Revue générale de droit

international public

RPDP : Revue pénitentiaire et de droit pénal RRJ : Revue de la recherche juridique et de

droit prospectif

RSC : Revue de sciences criminelle et de

droit pénal comparé

RTD Civ. : Revue trimestrielle de droit civil RTDH : Revue trimestrielle des droits de

l’homme

RUDH : Revue universelle des droits de

l’homme

Abréviations générales

Art. : article CA : Cour d’appel

CAA : Cour administrative d’appel CCNE : Comité consultatif national

d’éthique

CDI : Commission du droit international ch. : chambre

chron. : chronique

CEPEJ : Commission européenne pour

l’efficacité de la justice

CHAP : Chambre de l’application des peines CGLPL : Contrôleur général des lieux de

privation de liberté

CNCDH : Commission nationale

consultative des droits de l’homme

com. : commentaire

Crim. : chambre criminelle de la Cour de

cassation

CURAPP : Centre universitaire de

recherches administratives et politiques

dir. : sous la direction de

ENAP : École nationale de l’administration

pénitentiaire

GC : Grande chambre de la Cour

européenne des droits de l’homme

Ibid. : au même endroit, c’est-à- dire la

même référence

Idem. : pareillement, c’est-à-dire exactement

au même endroit du même ouvrage

IGSJ : Inspection générale des services

judiciaires

JAP : Juge de l’application des peines OIP : Observatoire international des prisons ONU : Organisation des nations unies Op. Cit. : ouvrage précité

préc. : référence précitée Somm. : sommaire

TAP : Tribunal de l’application des peines T. cor. : Tribunal correctionnel

TGI : Tribunal de grande instance Vol. : volume

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SOMMAIRE

(Voir la table des matières détaillée, p. 640 s.)

PREMIÈRE PARTIE - LES ATTEINTES À L’INTÉGRITÉ DES

PERSONNES DÉTENUES DIRECTEMENT IMPUTABLES À L’ÉTAT

Introduction

TITRE 1. LES ATTEINTES ACTIVES À L’INTÉGRITÉ DES PERSONNES DÉTENUES

Chapitre 1. Les atteintes étatiques prohibées Chapitre 2. Les atteintes étatiques tolérées

TITRE 2. LES ATTEINTES PASSIVES À L’INTÉGRITÉ DES PERSONNES DÉTENUES

Chapitre 1. La passivité étatique sanctionnée sur le fondement substantiel du droit à l’intégrité Chapitre 2. La passivité étatique sanctionnée sur le fondement procédural du droit à l’intégrité

DEUXIÈME PARTIE - LES ATTEINTES À L’INTÉGRITÉ DES

PERSONNES DÉTENUES INDIRECTEMENT IMPUTABLES À L’ÉTAT

TITRE 1. LES LACUNES DE LA PRÉVENTION

Chapitre 1. Les manquements aux exigences pratiques de prévention Chapitre 2. Les manquements aux obligations normatives de prévention

TITRE 2. LES LIMITES DE LA RÉPRESSION

Chapitre 1. Les limites de l’obligation de sanction individuelle Chapitre 2. Les limites de l’obligation de réparation

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« La punition tendra donc à devenir la part la plus cachée du processus pénal […]. De ce fait, la justice ne prend plus en charge la part de violence qui est liée à son exercice. Qu’elle tue, elle aussi, ou qu’elle frappe, ce n’est plus la glorification de sa force, c’est un élément d’elle-même qu’elle est bien obligée de tolérer, mais dont il lui est difficile de faire état ».

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INTRODUCTION

1. L’intégrité et l’humanité de la personne détenue, les atteintes que ses droits essentiels peuvent subir pendant le temps d’une incarcération et les moyens d’assurer leur protection, tels sont les sujets de l’étude proposée. Ce choix ne peut être justifié qu’à l’unique condition que la circonstance d’enfermement pénitentiaire influe de manière déterminante sur les modalités de protection de ces êtres particuliers, de ces « corps incarcérés »1. Toutes les personnes détenues, au sens de cette étude, ont en commun d’avoir à subir une réaction sociale incarnée par une réponse pénale, en lien avec un comportement infractionnel. Qu’il s’agisse d’un comportement avéré, dans l’hypothèse d’une peine exécutée, ou suspecté dans le cas de personnes placées en détention provisoire. Il est à préciser dès à présent que n’entrent pas dans le champ de cette recherche les atteintes à l’intégrité des personnes qui seraient privées de liberté sans pour autant être incarcérées au sein d’établissements pénitentiaires, bien que certains des principes ici étudiés soient applicables à l’ensemble du contentieux de la privation de liberté2. Les personnes qui subissent une détention carcérale ont la particularité d’être privées de liberté au nom de l’exercice de la fonction étatique de justice pénale. Les autorités publiques détiennent le pouvoir de leur imposer une entrave physique, matérialisée par un placement en établissement pénitentiaire, ainsi qu’une soumission aux règles applicables en leur sein. Un tel constat permet d’entrevoir les interactions particulières qui se jouent entre le droit à l’intégrité des personnes détenues et l’institution carcérale. Il s’agira ici d’étudier les atteintes aux personnes détenues dans lesquelles sont impliquées les autorités étatiques, car elles seules permettent d’élaborer une réflexion globale sur le sens de la peine privative de liberté et sur les rapports entre souffrance nécessaire de la peine et souffrance prohibée.

2. La problématique des droits des personnes détenues, de leur reconnaissance tout d’abord, et de leur application effective ensuite, a le vent en poupe3. Pourtant, le risque que

1 Cette expression fait référence au titre d’un webdocumentaire Lemonde.fr disponible depuis le 22 juin 2009. 2 La compétence étendue du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, institué par la loi n° 2007-1545

du 30 octobre 2007, atteste de l’unité de ce champ. En effet, le Contrôleur général est compétent s’agissant des droits et libertés des personnes privées de liberté dans des structures diverses, établissements pénitentiaires, établissements de santé, locaux de garde à vue, locaux de rétention douanière, centres et les locaux de rétention administrative des étrangers, zones d’attentes dans les ports et les aéroports, dépôts, centres éducatifs fermés et tout véhicule permettant le transfèrement de personnes privées de liberté.

3

Depuis le début des années 1990, de nombreuses thèses de doctorat ont été écrites sur le sujet. Pour ne citer que quelques exemples: MATHIEU G., Les droits de personnes incarcérées, thèse Aix-Marseille, 1993 ; RUBI CAVAGNA E., Le respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés

fondamentales par la France et l’Espagne concernant la protection de la personne détenue, thèse Montpellier I,

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contient en germe tout projet d’étude exhaustive des droits et libertés des personnes incarcérées est celui du manque de profondeur d’analyse. En effet, dans la mesure où la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la Cour européenne) affirme qu’il « est bien établi que les détenus ne perdent pas leurs droits au regard de la Convention à la suite de leur condamnation et qu’ils continuent de jouir de tous les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention, à l’exception du droit à la liberté »4, l’étude des droits des personnes détenues serait susceptible de se confondre avec celle des droits de tout individu. Bien que l’application des droits fondamentaux soit nécessairement entravée par la structure carcérale, les potentialités de recherche demeurent étendues. Voici exposée la raison pour laquelle l’étude proposée ne vise limitativement que le droit au respect de l’intégrité des personnes détenues, considérant qu’il s’agit d’un droit essentiel.

3. Les normes juridiques qui assurent la protection des personnes détenues résultent de politiques publiques dites « pénitentiaires » qui soulèvent des enjeux particuliers entre pouvoir et opinion, révélant la place spécifique qu’occupe l’institution carcérale dans le processus pénal (I). Bien qu’une protection juridique soit garantie, il peut être constaté que certaines modalités

du fonctionnement de l’administration pénitentiaire, mais également certains

dysfonctionnements de cette dernière, peuvent susciter ou contribuer à des atteintes aux droits des personnes incarcérées, susceptibles d’être imputées à l’État (II). En réponse à ces atteintes, le droit au respect de l’intégrité, droit absolu et matriciel, a été érigé comme un rempart qui se devrait d’être infranchissable (III). Les facteurs d’évolution sur cette question de l’intégrité des personnes détenues, rattachée au contentieux pénitentiaire, sont à la fois endogènes et exogènes. Cela pourrait sembler paradoxal mais les mouvements qui animent cette branche du droit viennent à la fois de la « base », à savoir des pratiques internes des États, du fonctionnement même de la détention et de la jurisprudence interne (IV). Ils viennent également, et de plus en plus généralement, des sources d’influence juridique supranationales et en particulier du Conseil de l’Europe (V).

4. Le droit de la prison est particulièrement sensible aux spécificités culturelles nationales5. L’application d’une réglementation en milieu fermé a initialement fait obstacle à

G., Le sens juridique de la peine privative de l’application des droits de l’homme dans la prison, thèse Paris I, 2008.

4 CEDH, 6 octobre 2005, HIRST c. Royaume-Uni, req. n°74/2501, §69, Europe, n°7, 2004, p. 19, note I.

Kitsou-Milounas.

5 En ce sens, Andrew Coyle, professeur du Centre international d’études pénitentiaires au King’s College de

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tout contrôle extérieur ainsi qu’à toute harmonisation des pratiques. En revanche, le développement des conventions internationales de protection des droits fondamentaux et la mise en place d’organes de contrôle permettent dorénavant une large diffusion d’un modèle pénitentiaire européen harmonisé. L’intégration nationale du modèle proposé par les instances régionales pour chaque État membre est inégale et imparfaite, comme en atteste l’étude des atteintes à l’intégrité des personnes détenues directement ou indirectement imputables à l’État.

I.

5. L’institution carcérale dans le processus pénal. Deux éléments peuvent être soulignés concernant la peine privative de liberté. D’une part, depuis l’abolition de la peine de mort, la privation de liberté constitue la peine la plus sévère de l’arsenal répressif. D’autre part, malgré un mouvement certain de diversification des peines6, le recours à l’enfermement a longtemps été systématisé comme unique moyen de lutte contre la criminalité7. Comme l’a révélé, depuis le début des années 2000, le débat relatif aux moyens de la justice, de nombreuses peines d’emprisonnement ferme prononcées par des juridictions répressives ne seront jamais exécutées8, faute de budgets et d’effectifs des services d’application des peines9, de personnels pénitentiaires, d’insertion et de probation. Ces mêmes raisons expliquent par ailleurs pourquoi lorsqu’elles sont effectivement exécutées, les peines privatives de libertés le sont dans des conditions souvent nettement critiquables. À cet égard, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice a dévoilé en 2014 son rapport comparatif sur les systèmes judiciaires européens. Les conclusions révèlent que la France est 24ème sur 43 États pour son budget consacré à la justice10, ce qui semblerait pouvoir expliquer en partie les grandes difficultés rencontrées par l’administration dans la gestion pratique de l’exécution des peines privatives de liberté. Il semble pourtant que les établissements pénitentiaires méritent

prisons sont des institutions très sensibles culturellement, qui dépendent directement des normes sociales qui les entourent ».

6

Dans son ouvrage Pénologie, Bernard Bouloc justifie son choix d’une étude dépassant le cadre de la science pénitentiaire car « ce n’est pas seulement la peine privative de liberté mais toutes les variétés de peines qui doivent faire l’objet d’une étude scientifique ; aussi la dénomination de pénologie est-elle aujourd’hui plus exacte » in BOULOC B., Pénologie, 3ème éd., Dalloz, Paris, 2005, p. 10.

7

Les nombreuses réformes ayant eu vocation à lutter contre la récidive en attestent. À titre d’exemple, peut être citée la loi n°2007-1198 du 10 août 2007, renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, instaurant les peines plancher ou encore la loi n°2008-174 du 25 février 2008, relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

8 IGSJ, Rapport, Évaluation du nombre de peines d’emprisonnement ferme en attente d’exécution, La

Documentation française, mars 2009, 107 p.

9 A titre d’illustration, la situation est telle que l’Association des juges d’application des peines propose que soit

instauré un numerus clausus de 800 dossiers par juge. Actualité du 7 février 2011 sur le site de l’association www.anjap.org.

10 CEPEJ, Rapport, Systèmes judiciaires européens, Édition 2014 (données 2012), p. 26. Tableau consacré à la

part des dépenses publiques annuelles aux niveaux national et régional allouée à l’ensemble du système de justice. La France y consacre 1,9% des dépenses publiques (contre 1,1% s’agissant des données 2010), contre 3,2% pour la Norvège et l’Ukraine et même plus de 4% pour l’Irlande et la Macédoine au sommet du classement.

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une attention particulière. En effet, il est aujourd’hui certain que l’institution carcérale est une composante incontournable et déterminante du processus pénal.

6. Conceptions de la prison. Depuis que la cruauté des peines n’est plus un objectif revendiqué par les gouvernements qui mettent en œuvre les politiques pénales, la prison est devenue la peine « reine » du nuancier répressif11. En outre, depuis l’abolition de la peine de mort en 1981, la peine carcérale est devenue l’unique sanction des infractions dites « graves » mais également une sanction systématisée au fil des évolutions du droit répressif. Comme a pu le souligner Michel Foucault en 1975, « a disparu le corps comme cible majeure de la répression pénale »12. L’enfermement est censé n’être plus qu’une privation de la liberté d’aller et de venir13. Ainsi, comme a pu l’affirmer l’auteur, « le châtiment est passé d’un art des sensations insupportables à une économie des droits suspendus. S’il faut encore à la justice manipuler et atteindre le corps des justiciables, ce sera de loin, proprement, selon des règles austères, en visant un objectif bien plus ‘élevé’ »14 ; il faut comprendre ici que l’objectif évoqué est celui de la réinsertion sociale et de l’amendement individuel. En effet, entérinant cette conception « aseptisée » de la peine, la réforme pénitentiaire de 1945 introduisait en son premier article la disposition selon laquelle « la peine privative de liberté a pour but essentiel l’amendement et le reclassement social du condamné »15.

7. La population pénale concernée par cette étude est composée de toute personne détenue au sein d’un établissement pénitentiaire, qu’il s’agisse d’une personne objet d’un placement en détention provisoire ou d’une personne condamnée exécutant sa peine en milieu fermé. Certains auteurs soulignent que le système pénitentiaire n’est que le « réceptacle des décisions prises en amont par le système judiciaire [et] le système policier »16. Aussi, l’institution carcérale est au cœur des politiques pénales en tant qu’unique lieu d’exécution de

11 Le recul théorique de la sanction carcérale ne peut cependant pas être nié même si elle nous semble demeurer

centrale. Voir sur cette question, GARÇON É. et PELTIER V., Droit de la peine, Litec, 2010, p. 16. Les auteurs s’interrogent en ces termes : « Après l’abolition de la peine de mort, ne serait-on pas sur le point d’assister à une abrogation de facto de la peine d’emprisonnement ? Plus encore, ne serait-on pas en train de procéder à une redéfinition de l’architecture générale du droit de la peine non pas dans un souci de simplification puisqu’en supprimant l’emprisonnement, le législateur incite les juges à faire usage de l’ensemble des autres types de peines (…) bref à puiser dans ce quasi enextricable enchevêtrement de normes répressives, mais au nom du principe d’économie pénitentiaire ? ».

12

FOUCAULT M., Surveiller et punir, Naissance de la prison, Collection Tel, Gallimard, 1975, p.14.

13 Pour reprendre la célèbre phrase de Valéry Giscard d’Estaing : « La prison, c’est la privation de la liberté d’aller

et venir et rien d’autre ».

14

FOUCAULT M., Op. Cit., p.18.

15 Pour une synthèse des apports de la réforme de 1945 voir AMOR P., « La réforme pénitentiaire en France », RSC, 1947, pp.1-30 et PINATEL J., Chron., RSC, 1946, pp. 142-143.

16 DARBÉDA P., « Détenus en surnombre ? À propos de la recommandation du 30 septembre 1999 du Conseil de

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la privation de liberté17. Quels sont les enjeux de cette réponse pénale particulière ? Il est à souligner que le recours à l’incarcération est à la fois une fin des politiques criminelles mises en œuvre, mais également un moyen. Il est difficilement concevable d’extraire la politique pénitentiaire d’une politique criminelle d’ensemble et de la considérer comme autonome de cette dernière. Les choix politiques en matière pénale influent très directement sur l’état des structures pénitentiaires et le constat inverse est également avéré. Ainsi, certains cas isolés de libérations anticipées, suivies d’un renouvellement d’infraction, ont pu être invoqués au soutien de lois limitant les aménagements de peines, créant des périodes de sûreté ou instaurant la rétention de sûreté. Des conceptions erronées des institutions, telle que la détention provisoire comme réponse exclusive à la « dangerosité », ont ainsi été véhiculées, au profit de logiques partisanes. La population carcérale est une source intarissable de fantasmes et de mythes, elle alimente abondamment un imaginaire collectif souvent caricatural que certains responsables politiques prennent le soin d’étoffer. Qu’il s’agisse du recours à la détention provisoire invoquée comme seul moyen de neutralisation du danger ou à des peines d’emprisonnement ferme systématisées, la question de l’enfermement a longtemps été utilisée par les responsables politiques revendiquant toujours plus de « fermeté » à l’encontre de la délinquance.

8. Cette conception de la prison comme unique vecteur de sécurité peut cependant être nuancée. Le CGLPL indiquait contre ce postulat, dans son rapport de 2009, que la recherche de sécurité à tout prix risque de faire de ce droit à la sécurité18 partout invoqué, « un ogre jamais rassasié qui mange trop de droits de la personne »19. Il est d’ailleurs important de souligner que depuis la fin de l’année 2012, le discours politique en ce domaine semble avoir évolué20. En effet, des réflexions sur la place de la privation de liberté dans l’arsenal répressif ont été engagées à l’échelle nationale dans le cadre d’une conférence consensus sur la prévention de la récidive, qui s’est tenue les 14 et 15 février 201321, mais aussi des débats parlementaires

17

Pour une analyse de la distinction entre peine privative de liberté et prison voir BECHLIVANOU MOREAU G.,

Op. Cit., p. 6 s. : « la peine est la privation de liberté ; la prison n’est qu’un des lieux de son exécution ».

18 Sur la question de l’émergence du « droit à la sécurité » et de son développement voir GRANGER M.-A.,

« Existe-t-il un ‘droit fondamental à la sécurité’ ? », RSC, 2009, pp. 273-296.

19 CGLPL, Rapport d’activité 2009. 20

Deux éléments de la fin de l’année 2012 méritent d’être ici évoqués : l’installation, le 18 septembre, d’une conférence de consensus sur l’efficacité des réponses pénales afin de mieux prévenir la récidive d’une part, et la circulaire du 19 septembre 2012, n°JUSD1234837 de madame le Garde des Sceaux d’autre part, qui pose les principes directeurs d’une nouvelle politique pénale et attire l’attention des juges et du parquet sur l’état de surpeuplement des établissements pénitentiaires. Pour une synthèse du « changement de cap » des politiques pénales voir LAZERGES C., « Du consensus sur la prévention de la récidive », RSC, 2013, pp. 191-198.

21 Rapport de la conférence de consensus, Pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive, principes d’action et méthodes, 20 février 2013.

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consécutifs au dépôt du rapport de la commission des lois relatif au surpeuplement carcéral22. Les propositions ont porté essentiellement sur la diminution du recours à l’emprisonnement en

instaurant une peine nouvelle de probation sans lien avec l’emprisonnement23 et en favorisant

le recours aux aménagements de peines. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (ci-après CNCDH) avait d’ailleurs alerté le législateur et le gouvernement sur la situation des prisons françaises, sur les conséquences des politiques répressives des dernières années, et sur la nécessité de repenser le sens de la privation de liberté24. De plus, cette autorité a participé aux débats de février 2013 relatifs à la prévention de la récidive, appuyant la proposition de création d’une nouvelle peine non carcérale de probation25. Cette évolution politique majeure a finalement été consacrée par l’adoption de la loi n°2014-896 du 15 août 2014, créant une peine nouvelle de contrainte pénale, venant compléter l’arsenal répressif26.

9. Dans l’attente des effets potentiels de ce changement de cap, certains discours mettent toujours en lumière le fait que « la prison constitue et désigne un envers social stabilisé par une catégorisation négative : la ‘délinquance méritant sanction’ »27. Ainsi, la population détenue est à la fois instrument et cible des politiques pénales, puisqu’elle pâtit ou bénéficie éventuellement de leur mise en œuvre. Un recours systématisé à l’enfermement conduit à l’aggravation du surpeuplement des établissements pénitentiaires et donc à des difficultés supplémentaires dans la prise en charge des personnes incarcérées, essentiellement en maison d’arrêt. Car à défaut de numerus clausus établi par la loi28, les établissements sont tenus d’accueillir les personnes détenues qui leur sont envoyées par les juges des libertés et de la

22 Rapport de la Commission des lois en conclusion des travaux d’une mission d’information sur les moyens de

lutte contre la surpopulation carcérale, présenté par les députés Dominique Raimbourg et Sébastien Huygue, 23 janvier 2013, n°652.

23 Rapport Raimbourg précité, 23 janvier 2013. Le jury a recommandé « l’instauration d’une nouvelle peine de

probation indépendante et sans lien ni référence avec l’emprisonnement ».

24 CNCDH, Sanctionner dans le respect des droits de l’homme, Tome 1, Les droits de l’homme dans la prison et

Tome 2, Les alternatives à la détention, 2007.

25

CNCDH, avis du 21 février 2013 dans le sens d’une approche globale pour la lutte contre la récidive. La CNCDH recommande notamment de supprimer les peines plancher, de lancer une réflexion pour supprimer totalement les peines inférieures à 6 mois d’emprisonnement, de créer une 3ème peine de référence à côté de la peine d’emprisonnement et de la peine d’amende, de réfléchir à la décriminalisation et/ou contraventionalisation de certains agissements, de promouvoir les alternatives au recours à la détention provisoire, et d’encourager les aménagements de peines ab initio.

26 La loi supprime également les peines-plancher. Voir notamment sur la réforme : BADINTER R. et BEAUVAIS

P., « A propos de la réforme pénale », D. 2014, pp. 1829 s. ; ROBERT J.-H., « Réforme pénale – punir dehors, commentaire de la loi n°2014-896 du 15 août 2014 », Droit pénal n° 9, Septembre 2014, étude 16 et GIACOPELLI M., « La loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales : un rendez-vous manqué », AJ pénal 2014, p. 448.

27 ARTIERES P., LASCOUMES P., SALLE G., « Introduction », in ARTIERES P. et LASCOUMES P. (dir.), Gouverner, enfermer : la prison, un modèle indépassable ?, Presses de Sciences Po, 2004, p. 29.

28 Voir notamment le rapport au nom de la Commission des lois sur la proposition de loi (n° 2753 rectifié) de

Messieurs Dominique Raimbourg, Jean-Marc Ayrault et plusieurs de leurs collègues visant à instaurer un mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire, 12 novembre 2010, n° 2941 et aussi CGLPL, Avis du 22 mai 2012 relatif au nombre de personnes détenues.

(22)

détention et par les juridictions de jugement. Pour reprendre une expression fréquemment utilisée à ce sujet « la marmite risque d’exploser » alors que le rapport Raimbourg rappelait justement en janvier 2013 que « l’augmentation du nombre de personnes incarcérées ne constitue pourtant en rien la garantie d’un renforcement de la sécurité ; elle est même

contreproductive à moyen comme à long terme »29.

10. La prison, objet d’étude. Cette étude se fonde sur le postulat selon lequel le « dernier maillon de la chaîne pénale30, la prison est le point de départ de la réflexion sur l’ensemble du processus pénal »31. Le sort des personnes détenues et leurs conditions d’incarcération sont des éléments déterminants du traitement de la délinquance et de la récidive. En effet, « la sanction pénale et son application constituent le pivot de la lutte contre la criminalité »32. Deux siècles après la généralisation de la sanction pénitentiaire, il est constant que l’emprisonnement reste une peine emblématique mais peu définie. Cette étude vise à démontrer que la protection de l’intégrité des personnes détenues, pendant le temps de la détention, conditionne certainement l’efficacité de la sanction en ce qu’elle détermine notamment ensuite l’aptitude de la personne libérée à se réinsérer socialement. Le contrat social tel que défini par la théorie rousseauiste exige que chaque individu membre de la société puisse y être intégré. Si l’infraction constitue une rupture entre le délinquant et le corps social, au terme de l’exécution de sa peine il devra être réinséré ; il s’agit là d’une obligation de la société dans son ensemble.

11. « Préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions »33, telle est la définition du sens moderne et idéal de la peine. Ce qui rend, par ailleurs, difficilement compréhensible l’interdiction d’exercice de certaines professions par des personnes ayant été

29

Rapport Raimbourg précité, 23 janvier 2013.

30 Sur le terme de « chaîne pénale » Christian Vigouroux, conseiller d’État, formule une critique virulente

considérant que « la justice relie, mesure les liens au civil, sépare les innocents et les coupables au pénal. Elle est en contact constant avec ses auxiliaires, à commencer par la police et les avocats, les deux vitaux pour la Justice. Mais aussi les pénitentiaires, les éducateurs, les greffiers et tous les collaborateurs. La justice ne peut se passer d’eux, mais elle n’est jamais réduite à une ‘chaîne pénale’, concept dégradé et simpliste, industrialiste et matérialiste qui réduit la spécificité de la procédure pénale. La justice est aboutissement. Elle a le dernier mot. Ce ne sont pas des ‘mots croisés’ » in VIGOUROUX C., « Justice », Après demain, numéro spécial en hommage à F. Seligmann, 2013.

31

DARBÉDA P., « Détenus en surnombre ? À propos de la recommandation du 30 septembre 1999 du Conseil de l’Europe », Chron. préc., p. 442.

32 PLAWSKI S., Droit pénitentiaire, Publications de l’Université de Lille II, Villeneuve d’Ascq, 1976, p. 13. 33

Article 1er de la loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009 dite loi pénitentiaire. Voir aussi le nouvel article 130-1 du code pénal, créé par la loi du 15 août 2014, selon lequel : « Afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions : 1° De sanctionner l'auteur de l'infraction ; 2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ».

(23)

condamnées à une peine d’emprisonnement ou de réclusion, notamment certains postes dans la fonction publique. Le défi majeur qui semble ici se présenter à l’institution carcérale est celui de la conciliation des objectifs qui lui ont été successivement attribués. En effet, permettre à la fois la mise à l’écart de personnes qui mettent en cause la sécurité, la resocialisation des personnes incarcérées et enfin la garantie de leur dignité, sont des objectifs qui « restent inarticulés et même souvent dans un rapport conflictuel »34. Le droit applicable à la vie en détention se voit donc investi d’une mission, celle d’articuler et de permettre la coexistence de préoccupations souvent antagonistes et dont le point de rencontre est matérialisé par la structure carcérale35.

12. Historiquement, l’une des premières critiques adressées à la prison et au régime juridique applicable en son sein, était celle de l’opacité. À cet égard, les établissements pénitentiaires ont souvent été qualifiés de « zones de non-droit ». Il est ainsi communément affirmé que le droit « s’arrête » aux portes des prisons ; qu’une fois la peine prononcée, les personnes détenues sont abandonnées à leur sort. Pourtant, celui qui s’intéresse au droit applicable et appliqué à la vie en détention sera rapidement convaincu du contraire. L’identification des dispositifs juridiques carcéraux révèle un véritable amoncellement de normes. Les réformes pénitentiaires se sont succédé, accompagnées de leurs règlements d’application, ainsi que des circulaires d’application de ces mêmes règlements. Tout un arsenal juridique auquel s’ajoute depuis novembre 2009 une loi pénitentiaire qui n’abroge que peu de normes préexistantes. Aussi, cette apparente opacité semble davantage relever de l’existence d’un droit enchevêtré et peu accessible que de son absence.

13. L’institution carcérale se caractérise en effet par un environnement « hypernormé » dans lequel la règle de droit, dont les sources sont multiples, est omniprésente. À cet égard, le professeur Pierrette Poncela indique que « si nous voulons bien nous détacher d’une vision manichéenne et idéaliste trop présente entre vrai droit et faux droit, droit clair et droit flou, droit dur et droit mou etc., le droit existe depuis longtemps en milieu carcéral » 36. En effet, ce droit a évolué de manière significative ; l’auteur ajoute que « le droit carcéral a longtemps été celui du plus fort, c’est-à-dire celui de l’administration pénitentiaire. Il a longtemps été peu,

34 ARTIERES P., LASCOUMES P., SALLE G., Op. Cit., p. 34.

35 Il est intéressant de souligner que le Conseil constitutionnel a investi le législateur d’une mission de conciliation

en ces termes : « que le législateur doit assurer la conciliation entre, d'une part, l'exercice de ces droits et libertés que la Constitution garantit et, d'autre part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public ainsi que les finalités qui sont assignées à l'exécution des peines privatives de liberté » in QPC, 25 avril 2014, n°2014-393, Organisation et régime intérieur des établissements pénitentiaires.

36

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voire pas du tout, juridictionnalisé ; il s’agissait d’un droit du règlement, brutal et sans appel »37. Le droit pénitentiaire est un droit spécifique et de cette spécificité naissent des difficultés particulières, notamment liées à l’articulation des responsabilités qui peuvent émerger à l’occasion du fonctionnement de ce service public. En effet, les politiques mises en œuvre par l’administration pénitentiaire conditionnent largement l’exercice des libertés individuelles des personnes détenues, alors que ce domaine est traditionnellement dévolu à la compétence du pouvoir judiciaire. « D’un strict point de vue juridique, la prison est située au cœur des questions liées au dualisme juridique (droit public et droit privé) et au dualisme juridictionnel (juges administratif et judiciaire) »38. L’objet de cette étude confirme ainsi le manque de pertinence de la distinction traditionnellement faite entre droit public et droit privé,

a fortiori en matière pénale.

14. Les sources du droit pénitentiaire. Cette recherche doit nécessairement se départir « d’une vision manichéenne et idéaliste trop présente entre vrai droit et faux »39, dans la mesure où les sources évoquées, souvent infralégales, sont également les seules qui fondent un système de protection de l’intégrité des personnes détenues. Il s’agit d’un domaine dans lequel les notes administratives et les circulaires ministérielles d’application sont légion, mais c’est également un droit dont les sources internationales sont très denses. En ce sens, il existe un véritable droit pénitentiaire européen, autonome et complexe, qui doit trouver à s’intégrer à des droits nationaux qui s’apparentent souvent à une « technologie bavarde de la prison »40. La première élaboration internationale en la matière date de 1933, la Commission internationale pénale et pénitentiaire avait adopté un « ensemble de règles pour le traitement des prisonniers ». En 1949, une Commission de l’organisation des Nations unies (ci-après ONU) composée de pénologues internationaux élabore une résolution, finalement adoptée en 1957, qui édicte un « ensemble des règles minima pour le traitement des détenus ». Cette dernière constitue encore aujourd’hui le socle onusien du droit pénitentiaire41. À cet égard, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a affirmé, dans une décision en date du 21 juillet 1994, que

37 Idem.

38 PÉCHILLON E., Droit de l’exécution des peines, problèmes et enjeux d’une discipline juridique en formation,

Synthèse de la mission de recherche Droit et Justice, Université de Rennes I, avril 2003.

39 PONCELA P., Droit de la peine, Op. Cit., p. 293. 40

FOUCAULT M., Op. Cit., p. 236.

41 L’influence de la déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948 a sans aucun doute déterminé

la mise en œuvre de ce projet. En effet, le préambule commence en ces termes : « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l'homme ».

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ces règles doivent être observées « même si des considérations économiques ou budgétaires peuvent rendre ces obligations difficiles à respecter »42. En outre, le pacte de l’ONU relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966, contient un article dédié à la protection des personnes privées de liberté43. D’autres textes supranationaux sont venus s’ajouter à ce premier socle. De nombreuses conventions internationales et régionales composent l’arsenal juridique relatif à la détention ; certains de ces textes n’ont par ailleurs pas été expressément élaborés pour régir la vie pénitentiaire. L’exemple le plus important est celui de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la Convention européenne)44. Elle est un des facteurs d’évolution les plus importants du droit pénitentiaire alors qu’il ne s’agit pas d’un texte consacré au sort des personnes incarcérées. Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la Cour européenne) affirme depuis un arrêt Hirst45 que le bénéfice de la Convention européenne ne saurait être perdu du

simple fait d’une condamnation pénale. Toute personne incarcérée peut donc valablement revendiquer le respect de ses droits et obligations issus de cette Convention.

15. L’activité normative européenne sur la question carcérale est intense. Il a d’ailleurs été affirmé que « le droit pénitentiaire est la matière du droit, y compris du droit pénal, qui a

donné lieu à l’élaboration commune la plus complète »46. En 1973, le Comité des ministres du

Conseil de l’Europe a adopté, sur le modèle onusien, un « ensemble des règles minima pour le traitement des détenus », complété en 1987 par la plus-value considérable des règles pénitentiaires européennes qui ont immédiatement été considérées comme constituant « un véritable ‘code de la détention pénitentiaire’, construit avec deux grands principes : les conditions de détention doivent assurer le respect de la dignité humaine et être appliquées de manière impartiale et sans discrimination »47.

42 Affaire WOMAH MUKONG c. Cameroun, n°458-1991, Rapport annuel du Comité des droits de l’Homme à la

49ème session de l’Assemblée générale des Nations-Unies, vol. II, p. 181.

43

L’article 10 du Pacte relatif aux droits civils et politiques adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966 prévoit que : « 1. Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. 2. a) Les prévenus sont, sauf dans des circonstances exceptionnelles, séparés des condamnés et sont soumis à un régime distinct, approprié à leur condition de personnes non condamnées; b) Les jeunes prévenus sont séparés des adultes et il est décidé de leur cas aussi rapidement que possible. 3. Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. Les jeunes délinquants sont séparés des adultes et soumis à un régime approprié à leur âge et à leur statut légal ».

44

Convention signée le 4 novembre 1950 et entrée en vigueur le 3 septembre 1953.

45 CEDH, 6 octobre 2005, HIRST c. Royaume-Uni, req. n°74/2501. 46 BECHLIVANOU MOREAU G., Op. Cit., p. 31.

47 LAMBERT P., « Le sort des détenus au regard des droits de l’homme et du droit supranational », RTDH, 1998,

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16. En droit interne, les sources sont essentiellement réglementaires, assorties de circulaires d’application, bien qu’un sursaut législatif très attendu ait eu lieu en novembre 2009 grâce à l’adoption d’une loi pénitentiaire48. Il n’existe cependant aucun code de la détention, et c’est en partie la raison pour laquelle le corpus normatif applicable reste complexe à appréhender, notamment pour les praticiens. L’École nationale de l’administration pénitentiaire (ci-après ENAP) fournit à chaque nouvelle promotion de personnels en formation un recueil de textes de droit pénitentiaire. Y figurent des extraits du code pénal, des extraits du code de

procédure pénale et les « textes européens (Conventions et recommandations) »49. Concernant

la problématique spécifique de la protection de l’intégrité des personnes détenues, les normes européennes ont autant vocation à s’appliquer que certains textes de la partie réglementaire du code de procédure pénale. Le droit pénitentiaire englobe donc un champ juridique et académique très large, ce qui explique la nécessité de limiter strictement le champ de cette étude, d’une part au droit à l’intégrité des personnes détenues et d’autre part aux atteintes portées à ce droit particulier lorsqu’elles sont imputables à l’État.

II.

17. Les atteintes aux personnes détenues imputables à l’État. La Révolution française symbolise la fin des supplices comme sanction répressive. Auparavant, les prisons étaient pour le délinquant un lieu d’attente, une zone transitoire, avant d’être exécuté ou supplicié. Mais depuis cette période, la peine privative de liberté est devenue la clé de voûte le l’arsenal punitif. L’avènement de la pensée des Lumières a suscité une rupture avec la volonté politique qui exigeait la souffrance de l’individu condamné, sujet d’une sanction pénale. Dans l’ouvrage fondateur de la politique criminelle, le Traité des délits et des peines de Cesare Beccaria, imprimé pour la première fois en 1764, celui-ci soulignait déjà l’absurdité de la douleur physique imposée au condamné. Il s’indignait alors en ces termes : « un corps politique, qui, bien loin d’agir lui-même par passion, a pour objet d’apaiser celle des particuliers, peut-il être le foyer d’une inutile cruauté, instrument de la fureur, du fanatisme ou de la faiblesse des

48 Loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009. Voir sur la loi pénitentiaire entre autres : TOURNIER

P.-V., Loi pénitentiaire – Contexte et enjeux, L’Harmattan, Paris, 2007, 114 p. ; numéro spécial sur la loi pénitentiaire de la Gazette du Palais, 2010, n°27-28 ; DANTI JUAN M., « Analyse critique du contenu de la loi dite « pénitentiaire » », RPDP, 2010, pp. 79-102 ; LETURMY L., « Pour quelques idées plus précises sur la genèse de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 », RPDP, 2010, pp. 67-77 ; CÉRÉ J.-P., « Quand la nécessité fait loi…pénitentiaire », RPDP, 2010, pp. 57-65 ; GIACOPELLI M., « Le contenu de la loi pénitentiaire : des avancées encore insuffisantes », RFDA, 2010, pp. 25-34 ; VIOUT J.-O., « La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009... un long enfantement », RFDA, 2010, pp. 23-24 ; HERZOG-EVANS M., « Loi pénitentiaire numéro 2009-1436 du 24 novembre 2009 : changement de paradigme pénologique et toute puissance administrative », D., 2010, pp. 31-38 ; CÉRÉ J.-P., « Virage ou mirage pénitentiaire ? A propos de la loi du 24 novembre 2009 », JCP G, 2009, pp. 47-55.

49

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tyrans ? Les cris d’un malheureux seraient-ils capables de faire revenir le temps passé et de révoquer les actes qu’il a commis ? (...). Il faut donc choisir des peines et une manière de les infliger qui, toute proportion gardée, fasse l’impression la plus efficace et la plus durable possible sur l’esprit des hommes et la moins cruelle sur le corps du coupable »50.

18. La sanction pénitentiaire a donc été valorisée en tant que substitut aux peines corporelles. Cependant, il est à souligner qu’à l’origine de la pratique carcérale, la privation de liberté a longtemps constitué une peine physique douloureuse. Comme le rappelle l’historien Jacques-Guy Petit, les personnes détenues ont subi la règle du silence absolu et le travail forcé pour survivre. Elles souffraient de malnutrition et étaient confrontées à un système de soin très médiocre. Cet auteur constate ainsi qu’au XIXème siècle, la prison tuait beaucoup plus que les

supplices de l’Ancien Régime51. Les rapports entre la protection des personnes et l’exécution

de la mesure privative de liberté ont donc toujours soulevé des difficultés particulières et comme cela pourrait encore être affirmé aujourd’hui : « de fait, cette peine est d’abord une prise sur le corps ; la démonstration de Foucault [ne serait donc] plus à faire »52. De manière plus générale, il peut être admis que « la peine comporte des souffrances et une douleur provoquées à dessein et justifiées par la valeur qu’on leur attribue »53. Cette exigence pérenne de souffrance inhérente à la peine explique sans doute la difficulté liée à l’émergence des droits des détenus qui implique la nécessité d’un protection croissante de l’intégrité de ces personnes privées de liberté.

19. Émergence des droits. Un article de 1957, écrit par Jean Dupréel, directeur général des établissements pénitentiaires de Belgique, est particulièrement révélateur sur ce point. Il affirmait à cette époque : qu’« en parlant des ‘droits des détenus’ nous risquons encore aujourd’hui d’étonner et même de heurter nos auditeurs »54. En effet, l’évolution a été lente car « il a fallu que naisse d’abord cette idée que l’être humain avait en toutes circonstances droit à certaines garanties, à une égale considération, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, d’un adulte ou d’un enfant, d’un noble ou d’un manant, d’un chrétien ou d’un hérétique, d’un blanc ou d’un noir »55. La conviction de cette égalité en droits, proclamée par l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, devait être acquise. L’auteur ajoutait assister depuis « vingt ans à une évolution qui transforme peu à peu en droits sanctionnés ce

50 BECCARIA C., Des délits et des peines, Le Monde, Flammarion, Paris 2010, p. 66. 51

PETIT J.-G., Ces peines obscures, La prison pénale en France 1780-1875, Fayard, Paris, 1990, 749 p.

52 PONCELA P., Op. Cit., p. 88.

53 SUTHERLAND E. et CRESSEY F., Principes de criminologie, trad. Française, éd. Cujas, Paris, 1966, p. 272. 54 DUPRÉEL J., « Les droits des détenus », RDPC, 1957-1958, p. 163.

55

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qui n’était originairement que de simples facultés accordées »56. Ces droits se sont peu à peu développés dans un mouvement global de promotion des droits de l’homme dans le contexte particulier de l’après seconde guerre mondiale57. La conscience de potentiels abus étatiques a déterminé la nécessité d’ériger ces droits et libertés en garanties fondamentales. Si cette extension des droits de l’homme à tous les domaines de la société a pu être critiquée58, il n’en demeure pas moins qu’elle représente un levier puissant qui, dans ce domaine, s’avère efficace ; levier de mutation politique face à une administration pénitentiaire historiquement omnipotente, potentiellement responsable d’atteintes portées à l’intégrité des personnes détenues.

20. De plus, la question de cette protection de l’intégrité des personnes détenues n’est pas sans incidence sur les fonctions attribuées à la peine privative de liberté. Concernant les rapports entre la peine et le corps, Michel Foucault constate, en 1975, que demeure « un fond « suppliciant » dans les mécanismes modernes de la justice criminelle – un fond qui n’est pas tout à fait maîtrisé, mais qui est enveloppé, de plus en plus largement, par une pénalité de l’incorporel »59. L’auteur formule cette observation alors même qu’il est théoriquement possible de considérer, depuis la Révolution française, que la rupture avec la tradition de l’affliction corporelle est consommée. En ce sens, il est généralement admis que la détention au sein d’un établissement pénitentiaire n’a plus vocation à porter atteinte à l’intégrité du corps incarcéré. Malgré cette rupture de principe, il est dorénavant d’une effroyable banalité de constater que de nombreuses personnes détenues en France sont incarcérées dans des conditions matérielles contraires à leur dignité, créant des risques pour leur santé, et propices à l’émergence d’un climat de violence60.

56 Ibid., p. 176. 57

Voir en particulier l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU en 1948.

58 Voir notamment pour une critique des droits de l’homme GAUCHET M., La démocratie contre elle-même,

Gallimard, Paris, 2002. Selon l’auteur, « ce n’est plus simplement que les droits de l’homme ne suffisent pas à définir une politique, c’est qu’en devenant le foyer de sens actif des démocraties ils sont devenus simultanément le ressort de leur difficulté d’être politique » (p. 326) ; « En l’absence de grande vision du devenir, ils fournissent un puissant levier de transformation. Sauf qu’ils ne disent rien des raisons qui font que les choses sont ce qu’elles sont, pas plus qu’ils ne délivrent d’idées sur les moyens de les changer » (p. 356). Il ajoute que « les faits sont les faits, le mal est le mal, l’écart entre l’être et le devoir être se signale comme un scandale appelant correction immédiate. Chercher à savoir, chercher à comprendre, c’est vouloir différer par rapport à l’urgence de l’intolérable, c’est commencer à pactiser avec l’inacceptable, c’est chercher des excuses à l’inexcusable » (p. 357). « Objectera-t-on que ces initiatives nées de l’émotion ou ces mesures adoptées dans l’urgence ne sont que des palliatifs qui empêchent de traiter ces problèmes au fond, des gouttes d’eau qui font oublier la mer, qu’on vous répondra que le peu qu’elles représentent est préférable à rien et que l’absolu des valeurs en cause interdit de ne pas agir ». Ce mariage de l’intransigeance avec la modestie rend la démarche invulnérable à l’objection » (p. 358).

59 FOUCAULT M., Op. Cit., p. 23.

60 CGLPL, Rapport annuel d’activité, 2009. En ce sens également DARBÉDA P., « Détenus en surnombre ? À

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21. Outre le constat de Michel Foucault d’une emprise permanente sur le corps détenu, inhérente à l’incarcération, le maintien d’un lien fort entre peine pénitentiaire et intégrité physique et morale des personnes détenues est perceptible, alors que la philosophie de la pénalité incorporelle se veut largement dominante. Persiste d’ailleurs très nettement une zone d’ombre quant à la nature et à l’intensité précises de la souffrance et de l’humiliation qui pourraient être considérées comme inhérentes à la privation de liberté. Il revient en effet à la société d’assumer une dimension douloureuse de la peine qui ne doit pas être confondue avec l’état de délabrement de certains établissements ou avec les risques de violences notamment causés par la surpopulation. L’état inacceptable de certains établissements pénitentiaires a été mis en lumière par des rapports parlementaires61, qui sont allés jusqu’à qualifier les prisons françaises d’« humiliation » de la République62. Les nombreux rapports détaillés du CGLPL font d’ailleurs office d’un miroir qui réflète à l’infini un tableau pénitentiaire qui n’a pas fondamentalement changé même si la problématique de la protection des personnes en détention a émergé et a pu être relayée par certains acteurs de la société civile. Les juristes n’ont pas fait exception à la tendance et un sursaut de mobilisation doctrinale est perceptible depuis la fin du XXème siècle, le mouvement s’étant intensifié depuis les premiers débats autour de la loi pénitentiaire63. Cette loi a d’ailleurs permis de redéfinir les fonctions du service public pénitentiaire.

22. Il semble indispensable de souligner que l’administration pénitentiaire et ses agents supportent et subissent nécessairement ces prises de conscience politiques parfois tardives, et constituent les premières cibles de la critique lorsqu’il s’agit de contester le fonctionnement des établissements ou leur indignité. L’institution pénitentiaire a la particularité d’instaurer « une emprise totalisante de la puissance publique sur des hommes, des trajectoires, des espoirs, des échecs, - en un mot sur des vies entières – […] »64. L’administration pénitentiaire est investie par la loi d’une double mission : elle participe à l’exécution des décisions pénales et au maintien de la sécurité publique ; en outre, elle favorise la réinsertion sociale des personnes qui

61 Gilles Chantraine emploie le terme d’« émoi carcéral », in CHANTRAINE G., « Le temps des prisons. Inertie,

réforme et reproduction d’un système institutionnel » in ARTIERES P. et LASCOUMES P. (dir.), Op. Cit., p. 57.

62 Rapport de la Commission d’enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements

pénitentiaires, présidée par Jean-Jacques Hyest, session 1999-2000 n°449 et Rapport de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la situation des prisons françaises, présidée par Louis Mermaz, rapporteur Jacques Floch, n° 2521, 2000.

63

HERZOG-EVANS M., « La révolution pénitentiaire française », in DE SCHUTTER O. et KAMINSKI D. (dir.),

L’institution du droit pénitentiaire. Enjeux de la reconnaissance de droits aux détenus, Bruylant-LGDJ,

Bruxelles-Paris, 2002, p. 17. L’auteur précise en ce sens que « l’Histoire s’accélère depuis le début de l’année 2000 ».

64

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lui sont confiées par l’autorité judiciaire65. Cette administration particulière a donc été confrontée, de fait, à l’émergence des droits des personnes détenues66. Ses pratiques ont dû s’adapter à des exigences diverses parfois contradictoires, souvent imposées « d’en haut » et impliquant des mutations profondes de la culture professionnelle. Les personnels de l’administration pénitentiaire regroupent des personnels de surveillance, des personnels de direction, des personnels d’insertion et de probation et des personnels administratifs et

techniques. Au 1er janvier 2013, 35 670 personnels prenaient en charge les 251 998 personnes

placées sous main de justice (dans et hors les murs des établissements pénitentiaires). Il est indispensable de garder à l’esprit que cette problématique de l’exercice des droits fondamentaux des personnes privées de liberté rencontre nécessairement les préoccupations de l’exercice quotidien des fonctions de surveillance et d’organisation de la détention, assurées par les agents de l’administration pénitentiaire. Ces derniers sont victimes de la violence carcérale au sens large67 et de la dégradation des conditions de détention. Contraints de maintenir l’ordre public au sein de la détention avec des moyens souvent très insuffisants, ils subissent également des violations de leur droit à l’intégrité, bien qu’elles ne soient pas l’objet précis de cette recherche. En revanche, l’extension du champ des atteintes imputables à l’État a des conséquences importantes sur les régimes de responsabilité de ces agents de l’administration, elles devront donc être étudiées.

23. Atteintes. L’atteinte est définie dans le lexique juridique du doyen Cornu comme

une « action dirigée contre quelque chose ou quelqu’un par des moyens divers »68. L’étude des

« atteintes » permet de limiter la recherche aux actions volontaires ou involontaires de nature à porter atteinte à l’intégrité des personnes détenues, identifiées dans le temps de la détention. Cependant, parmi les « moyens divers » susceptibles de consommer cette atteinte, l’omission étatique constitue une éventualité. En effet, dans une acception plus large l’atteinte renvoie également à tout « dommage matériel ou moral »69 ; dans les hypothèses étudiées il sera également question de dommage physique et de la responsabilité de l’État dans la réalisation de ces différents dommages. L’étude ici proposée porte exclusivement sur l’atteinte imputable à l’État. Pour intégrer le champ de l’étude il faut donc qu’une causalité directe ou indirecte

65

Article 2 de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009.

66 Voir sur cette question BOUSSARD S., « Le service public pénitentiaire, cadre de la reconnaissance des droits

de la personne détenue », in BOUSSARD S. (dir.), Les droits de la personne détenue après la loi pénitentiaire du

24 novembre 2009, Acte du colloque des 26 et 27 janvier 2012, Dalloz, 2013, pp. 24-38.

67 Sur l’« augmentation continue » des violences des détenus envers les personnels, voir HERZOG-EVANS M., Droit pénitentiaire, 2ème éd., Dalloz-Action, Paris, 2012/2013, §331.21, p. 327.

68 V° Atteinte, CORNU G., Vocabulaire juridique, PUF, 9ème éd., Paris, 2011, 1095 p. 69

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