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TITRE I. LES ATTEINTES ACTIVES À L’INTEGRITÉ DES PERSONNES DÉTENUES

Section 2. La redéfinition des critères des atteintes prohibées

A. Le déclin du critère de gravité

2. L’abaissement du seuil de gravité et l’objectivation de l’atteinte prohibée

155. La jurisprudence européenne révèle un abaissement du seuil de gravité retenu pas la Cour, phénomène intimement lié à la diversification des atteintes admises comme constitutive d’un traitement inhumain et dégradant. À cet égard, Madame Béatrice Belda

376 Rapport CPT/Inf (2007) 44, rendu le 10 décembre 2007, rapport relatif à la visite effectuée en France du 27 septembre au 9 octobre 2006 .

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Article D. 296 alinéa 1er du code de procédure pénale : « Pour l’observation des principes posés à l’article D. 295, comme pour la sécurité des opérations, l’exécution des transfèrements et extractions doit être préparée et poursuivie avec la plus grande discrétion quant à la date et à l’identité des détenus en cause, au mode de transport, à l’itinéraire et au lieu de destination ».

378 CEDH, 19 juillet 2012, KETREB c. France, req. n° 38447/09, §110. Dans ce paragraphe l’arrêt renvoie d’ailleurs aux deux arrêt suivants : CEDH, 3 avril 2001, KEENAN c. Royaume-Uni, req. n° 27229/95, § 113, et CEDH, 16 octobre 2008, RENOLDE c. France, req. n°5608/05, § 120.

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observe un « durcissement général dans l’appréciation des atteintes aux droits de l’homme »380 et « un abaissement des seuils de déclenchement des concepts contenus dans l’article 3 de la Convention »381. Ce durcissement est lié à une conception plus objective de la gravité, la Cour européenne considère davantage une pratique carcérale telle qu’elle a été effectivement vécue par une personne privée de liberté, que par référence à ce qui aurait été voulu par les autorités. Plusieurs des éléments précités permettent d’élaborer une réflexion sur ce qu’est le seuil de gravité au-delà duquel une atteinte portée à l’intégrité d’une personne détenue est susceptible d’être qualifiée de traitement inhumain ou dégradant. Cependant, aucun des éléments précités ne conditionne de manière sine qua non un constat de violation. En fonction de l’affaire soumise à la Cour européenne, la gravité sera déduite de tel ou tel facteur, de tel ou tel comportement. En outre, il est à noter qu’il résulte du caractère relatif du seuil de gravité, une possibilité pour la Cour de l’abaisser et même de lui faire perdre toute pertinence.

156. Les effets cumulatifs : théorie symptomatique de l’abaissement du seuil de

gravité. Outre l’admission de modalités de fonctionnement de la détention comme cause de

violation de l’article 3, la prise en considération des effets cumulés de toutes les mesures subies par le détenu est un facteur important de l’abaissement du seuil de gravité. La Cour européenne admet en effet que le caractère inhumain d’un traitement puisse résulter d’un cumul de mesures contraignantes. Elle indique que « lorsqu’on évalue les conditions de détention, il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs ainsi que les allégations spécifiques du requérant »382. Dans le contentieux de l’article 3 de la Convention, les conditions matérielles de

détention, qui seront traitées au chapitre consacré aux atteintes passives directement imputables à l’État, peuvent constituer un facteur d’aggravation du mécanisme étatique actif sanctionné. Ainsi, dans l’arrêt Rivière c. France, la Cour européenne a estimé que « l’état de santé, l’âge et un lourd handicap physique constituent désormais des situations pour lesquelles la question de la capacité à la détention est aujourd’hui posée au regard de l’article 3 » et que « certains traitements enfreignent l’article 3 du fait qu’ils sont infligés à une personne souffrant de

troubles mentaux »383. Une sanction de cellule disciplinaire imposée à une personne souffrant

de troubles mentaux aigus pourra être considérée comme dépassant le seuil de gravité des atteintes conventionnellement tolérées.

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BELDA B., Les droits de l’homme des personnes privées de liberté. Contribution à l’étude du pouvoir

normatif de la Cour européenne des droits de l’homme, Op. Cit. , p. 78. 381 Ibid., p. 68.

382 CEDH [GC], 4 juillet 2006, RAMIREZ SANCHEZ c. France, req. n°59450/00, §119.

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157. C’est la solution admise par la Cour européenne dans l’arrêt Keenan c.

Royaume-Uni384, dans lequel la requérante faisait valoir, conformément à la jurisprudence de la Cour, que « bien que l’isolement de détenus ne soit pas en lui-même contraire à l’article 3 de la Convention, l’État doit rechercher attentivement si, du fait de la personnalité et de la vulnérabilité mentale d’un détenu, un traitement qui se justifie par ailleurs ne risque pas d’entraîner chez lui des souffrances et briser sa résistance physique et mentale »385. Certaines pratiques pénitentiaires sur des personnes particulièrement fragiles doivent être considérées comme inhumaines. En ce sens également, dans un arrêt Ketreb c. France, la Cour européenne, « consciente des difficultés auxquelles se heurtent les autorités pénitentiaires et de la nécessité de sanctionner les agressions visant les personnels de surveillance ou les codétenus », affirme être « frappée de voir qu’un placement en quartier disciplinaire de quinze jours a été prononcé à l’égard de Kamel Ketreb »386 qui était dans un état psychique préoccupant et conclut à la violation de l’article 3 de la Convention.

158. En effet, « chercher dans ces lieux (de détention) à identifier un facteur de traitement inhumain et dégradant conduit souvent, très naturellement, à en, inventorier plusieurs causes qui y concourent »387. Ainsi, outre les constats de violation pour une atteinte spécifiquement visée, il est courant que la violation de la protection conventionnelle résulte de l’application de la théorie du cumul de circonstances et de souffrances endurées, qui permet de dépasser le seuil de gravité toléré388. Dans un arrêt Frérot c. France, la Cour européenne a considéré que les fouilles à nu subies par le détenu constituaient un traitement dégradant, car l’humiliation ressentie par le requérant avait été aussi accentuée par le fait que ses refus de se plier à ces mesures lui ont valu, à plusieurs reprises, d’être sanctionné par des placements en cellule disciplinaire389.Le cumul de plusieurs traitements qui ne seraient pas sanctionnés per se peuvent l’être lorsqu’ils coexistent390. L’éventail de traitements imposés et mis en cause devant la Cour européenne ne cesse de se diversifier. En ce sens, si le régime de l’isolement n’a pas,

384 CEDH, 3 avril 2001, KEENAN c. Royaume-Uni, req. n°27229/95.

385

Ibid., §105.

386 CEDH, 19 juillet 2012, KETREB c. France, 38447/09, §113.

387 DELARUE J.-M., « Le Comité de prévention de la torture et le Contrôle général des lieux de privation de liberté. Un essai de comparaison », Art. préc., p. 173.

388 CEDH, 9 juillet 2009, KHIDER c. France, req. n° 39364/05, §130. Dans cet arrêt Khider, la Cour admet que les « fouilles répétées, pratiquées sur un détenu qui présentait des signes d’instabilité psychiatrique et de souffrance psychologique, ont été de nature à accentuer son sentiment d’humiliation et d’avilissement à un degré tel qu’on peut les qualifier de traitement dégradant ».

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CEDH 12 juin 2007 FREROT c. France req. n°70204/01, §47 .

390 A titre d’exemple, CEDH, 4 février 2003, VAN DER VEN c. Pays-Bas, req. n°50901/99, §63, « la Cour conclut que la combinaison des fouilles à corps routinières et des autres mesures de sécurité draconiennes en vigueur au sein de l’EBI s’analysent en un traitement inhumain ou dégradant contraire à l’article 3 de la Convention ».

en tant que tel, été sanctionné par la Cour européenne391, il en est autrement des conditions de détention imposées dans certains de ces quartiers392 qui peuvent être qualifiées de traitement inhumain ou dégradant393. De plus, il est important d’ajouter que les conditions de détention constituent un élément d’analyse de la « nature » et de la « durée » de l’isolement394 parfois sanctionné. Ce recours au cumul des conditions fait d’ailleurs obstacle à l’identification précise des qualifications retenues par la Cour européenne.

159. L’abandon ponctuel du critère de gravité. Il apparaît que le renforcement de la protection conventionnelle passe parfois également par un abandon total de toute référence à la gravité de l’atteinte, gravité au sens traditionnel du terme. Deux hypothèses permettent à la Cour européenne de s’écarter du critère de gravité, ou alors de déduire la gravité d’autres circonstances indépendantes des caractères intrinsèques de l’atteinte elle-même. Tout d’abord, lorsque l’atteinte active imputable directement aux autorités publiques est portée sans aucune justification, alors elle est nécessairement constitutive d’un traitement inhumain ou dégradant. Cet élément sera étudié au paragraphe consacré à l’absence de justification comme critère essentiel de l’atteinte prohibée. Ensuite, lorsqu’une atteinte a été portée avec l’intention d’humilier la personne détenue, elle doit être également sanctionnée. Il est à souligner que ce critère de la volonté d’humiliation est également en déclin.

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