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TITRE I. LES ATTEINTES ACTIVES À L’INTEGRITÉ DES PERSONNES DÉTENUES

Section 1. Le principe de sécurité au soutien de pratiques attentatoires à l’intégrité

A. L’exacerbation de la figure dangereuse

2. La contribution de la dangerosité à l’extension du principe de sécurité

248. « La stigmatisation jusqu’à l’irrationnel des figures dangereuses »570 a des incidences sur certains choix décisifs de politique criminelle. Les politiques de recours à l’incarcération sont concernées, tout comme l’évolution des pratiques carcérales de répression et de contrôle au sein de la détention.

563

Sur la loi voir notamment : LEBLOIS-HAPPE J., « Projet de loi renforçant la lutte contre la récidive : principales dispositions », JCP G, I, 2007, 29, pp. 3-4 et GARCON E., « Entre confiance et défiance à l’égard du juge pénal. Loi n° 2007-1198 du 10 août 2007, JCP G, I, 42, p. 196.

564 Articles 132-18-1 et 132-19-1 du Code pénal. Il est à noter que ces dispositions ont été supprimées par la loi n°2014-896 du 15 août 2014.

565 ALIX J., « Une liaison dangereuse », in GIUDICELLI-DELAGE G. et LAZERGES C. (dir.), La dangerosité

saisie par le droit pénal, PUF, IRJS Éditions, Paris 2011, p. 59.

566 TOURNIER, P.-V., Sur la base des données du Secrétariat général du Ministère de la Justice et des libertés / SDSE : 584 573 sanctions prononcées en en 2010 dont 52% sont des peines privatives de liberté contre 449 850 prononcées en 2000.

567 GRANGER, M.-A., Op. Cit., p. 286.

568 TRUCHET D., « L’obligation d’agir pour la protection de l’ordre public : la question d’un droit à la sécurité »,

in REDOR M.-J. (dir.), L’ordre public : ordre public ou ordres publics. Ordre public et droits fondamentaux.

Actes colloque de Caen des jeudi 11 et vendredi 12 mai 2000, Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 305.

569 Voir pour une manifestation de cette extension la loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

570

249. Politiques sécuritaires et recours à l’incarcération. « L’accroissement du nombre de détenus s’accompagne aussi d’un renforcement des contrôles et d’exigences plus fortes en matière sécuritaire à raison des risques induits par la multiplicité des activités »571. Les éléments de l’étude ici retenus ne concernent pas exclusivement les atteintes actives à l’intégrité des personnes détenues directement imputables à l’État. En effet, dans la mesure où les politiques sécuritaires encouragent la systématisation de la neutralisation par la privation de liberté, elles ont également des conséquences évidentes sur les conditions de détention qui seront étudiées au titre des atteintes passives au personnes détenues. Cependant, le surpeuplement carcéral qui découle de politiques d’enfermement n’est pas sans incidence sur le fonctionnement actif de l’institution. Le surpeuplement accroît le risque de violence et de débordement et ainsi de sévérité de la réponse étatique. Comme l’expliquent les auteurs de l’ouvrage Le monde des surveillants de prisons, en « voulant résoudre la question de l’insécurité dans la société par un accroissement de l’enfermement, on déplace celle là à l’intérieur des prisons »572 et on durcit également la répression au sein des murs.

250. La Charte de l’environnement adoptée en 2004 et intégrée depuis au bloc de constitutionnalité573 prévoit en son article 5 que « lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Le précepte prévu initialement pour limiter les risques environnementaux semble aujourd’hui être appliqué avec soin par le législateur au domaine répressif qui préfère incarcérer au delà de ses capacités plutôt que de s’attirer les foudres d’une opinion publique qui risquerait de le taxer de laxisme. En ce sens, au 1er juillet 2013, tous les records étaient battus car il y avait 68 569 détenus en France pour seulement 57 235 places574. Nombreuses sont les maisons d’arrêts qui, en termes de suroccupation sont au bord de l’explosion575.

571 SALAS D., « Vingt ans après, le grand silence », Esprit, octobre 1995, p. 109.

572

CHAUVENET A., ORLIC F. et BENGUIGUI G., Op. Cit., p. 33.

573 Loi constitutionnelle n°2005-205 du 1er mars 2005.

574 TOURNIER P.-V., ACP, n°344, 7 octobre 2013.

575

TOURNIER P.-V., ACP, n°265, 5 mars 2012 « Malgré notre insistance, l’administration pénitentiaire se refuse toujours à communiquer le niveau réel de surpopulation, c’est à dire le nombre de « détenus en surnombre » : somme des écarts entre le nombre de détenus et le nombre de places dans les seuls établissements surpeuplés. Au 1er février 2012, le nombre de détenus en surnombre, calculé par nos soins est de 11 705. Il a augmenté de 27 % en un an (9 199, il y a douze mois, soit 2 506 de plus). Au 1er janvier 2012, Le nombre de détenus dormant sur un

251. Si ces politiques pénales du risque zéro ont peu d’effet sur la délinquance, elles ont des effets dramatiques sur les conditions de détention. Si le Conseil de l’Europe prend de nombreuses recommandations dans le but de limiter les effets néfastes de ces politiques576, la Cour européenne est de manière générale assez tolérante à l’égard de ces problématiques. La Commission s’est vu confrontée à des conditions de détention qui, à première vue, paraissaient difficilement conciliables avec le respect fondamental de la dignité humaine, mais que « néanmoins, un examen plus approfondi a révélé des circonstances si exceptionnelles que le traitement apparaissait après tout justifié »577. À cet égard, lorsque Jean-Paul Costa accéda à la présidence de la Cour européenne des droits de l’homme le 19 janvier 2007, il déclara : « le problème majeur pour les droits de l’homme en France semble être celui des prisons... où les conditions de vie sont souvent à la limite des traitements inhumains et dégradants »578.

252. Ce constat trop souvent repris semble être le fruit d’une fatalité inadmissible pour les uns et incontournable pour les autres. Le garde des Sceaux fait d’ailleurs régulièrement valoir, dans le cadre de recours en responsabilité de l’État à raison de l’indignité des conditions de détention, que « le respect des dispositions du code de procédure pénale relatives à l’emprisonnement individuel doit être apprécié au regard des contraintes inhérentes à l’exercice des missions du service public pénitentiaire, que le Conseil d’État en fait une application réaliste qui tient compte du contexte, de la diversité des situations, du phénomène de surpopulation carcérale et de ses effets sur les conditions de détention »579. La surpopulation carcérale serait-elle un phénomène autonome et incontrôlable ? Ce n’est pas ce que les études du phénomène mettent en exergue580. L’argument du gouvernement est souvent celui de l’impuissance face aux décisions d’incarcération prises par le pouvoir judiciaire581. Un adage

matelas posé à même le sol était de 629, contre 204, un an avant, soit 3 fois plus. L’administration pénitentiaire ne nous a pas encore fourni le chiffre au 1er février 2012 ».

576 Notamment, la recommandation n°R99(22) du 30 septembre 1999 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale ou encore la recommandation n°R2003(22) du 24 septembre 2003 concernant la libération conditionnelle.

577 Compte-rendu du 7ème Colloque international sur la Convention européenne des droits de l’Homme à Copenhague 30 mai-2 juin 1990, p. 25.

578 Propos repris par FORT F.-X., Art. préc., p. 2250, qui souligne d’ailleurs que « ces propos ne sont pas ceux d’un détenu ou d’un responsable d’une association de défense des détenus, ils furent prononcés par Jean-Paul Costa lorsqu’il accéda à la présidence de la Cour européenne des droits de l’homme ».

579 CAA Bordeaux, 4 octobre 2011, n°10BX03196.

580

Voir notamment sur cette question les ouvrages de TOURNIER P.-V., notamment Loi pénitentiaire – Contexte

et enjeux, l’Harmattan, Paris, 2007.

581 Voir néanmoins CE, 3 avril 2014, n°363981. Légalité de la circulaire du 19 septembre 2012 de politique pénale du garde des sceaux demandant au Parquet et aux juges d’application des peines de prendre en considération dans leurs décisions l’état de surpeuplement des établissements pénitentiaires.

attribué à William Blackstone582 qui affirmait que la société préfèrerait « dix coupables en liberté plutôt qu’un innocent en prison » devrait pouvoir être opposé aux juges. Il serait courageux d’affirmer qu’il est nettement préférable que certains échappent à la détention583, plutôt que soient constatées passivement des violations graves aux droits fondamentaux des détenus et en particulier des traitements inhumains et dégradants quotidiens. Ces politiques pénales sécuritaires ont également un impact sur l’extension du contrôle carcéral.

253. Sécurité et pratiques carcérales attentatoires à l’intégrité. Nicolas Queloz déplore, concernant les politiques publiques du « tout sécuritaire », les souffrances « chez les détenus, dont la gestion est centrée voire focalisée non plus tellement sur la resocialisation et le traitement, mais sur l’étiquette de dangerosité et la réduction des risques de dommage et de récidive qu’elle suppose. À cela s’ajoute une augmentation des « contrôles physiques à l’intérieur des institutions … multiplication des fouilles … mise en place de « contrôles anti-drogues » … (et notamment) dans les pénitenciers canadiens … un ensemble de surveillances technologiques de pointe »584. L’auteur évoque à cet égard « une déshumanisation du monde

des prisons, plus ou moins forte selon les pays, les régions, le type et la taille des établissements de détention »585. Il faut impérativement veiller à ce que la lutte effrénée contre

l’insécurité au sein des établissements pénitentiaires ne conduise pas à creuser « un trou noir dans l’État de droit » 586. Le chemin pris actuellement n’est guère rassurant puisque qu’il est celui d’une intensification du recours à la répression et au contrôle dans le cadre de la détention, au nom de la sécurité.

582

William Blackstone est un jurisconsulte britannique du XVIIIème siècle.

583 Voir sur cette question les possibilités de mettre en application les recommandations européennes et notamment la recommandation n°Rec (99)22, adoptée le 30 septembre 1999, sur le surpeuplement et l’inflation

carcérale et n° Rec (2000) 22 adoptée le 29 novembre 2000 sur l’amélioration de la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté.

584

QUELOZ N., « Les prisons suisses doivent-elles s’aligner sur le « tout sécuritaire » ? », in QUELOZ N., LUGINBÜHL U., SENN A., MAGRI S. (EDS.), Druck der Öffentlichkeit auf die Gefängnisse : Sicherheit um

jeden Preis? – Pressions publiques sur les prisons: la sécurité à tout prix ?, Berne, Stämpfli, 2011, p. 8. L’auteur

cite en italique VACHERET, « Gestion de la peine et maintien de l’ordre dans les institutions fédérales canadiennes », Déviances et Société, Vol. 30, 2006, p. 289-304.

585 Ibid, p. 7

586 DELMAS-MARTY M., « Le paradigme de la guerre contre le crime : légitimer l’inhumain ? », RSC, 2007, p. 461-472. L’auteur évoque dans cet article la « guerre » contre le terrorisme.

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