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TITRE I. LES ATTEINTES ACTIVES À L’INTEGRITÉ DES PERSONNES DÉTENUES

Section 2. La redéfinition des critères des atteintes prohibées

A. Le déclin du critère de gravité

1. Les éléments de définition du seuil de gravité

143. La Cour européenne fait systématiquement référence au seuil de gravité de l’atteinte contraire à l’article 3 de la Convention. Le seuil de tolérance des atteintes étatiques à l’intégrité des détenus est donc à la fois défini par certains éléments endogènes de l’atteinte alléguée mais également par des éléments exogènes.

144. L’exigence de gravité. Conformément à ce qu’indiquait la Commission européenne en 1995, « pour qu’une peine soit dégradante et enfreigne l’article 3, l’humiliation ou l’avilissement dont elle s’accompagne doivent se situer à un niveau particulier et différer en tout cas de l’élément habituel d’humiliation associé à l’emprisonnement après une condamnation pénale »349. Cette différence exigée est plus ou moins grande. Selon Françoise Tulkens, « l’appréciation de la condition du seuil de gravité est extrêmement délicate et requiert une dialectique fine. D’un côté il y a le risque perçu par certains, d’une forme de « banalisation » du recours à l’article 3 de la Convention350 ; d’un autre côté, il y a le risque,

348

BELDA B., Les droits de l’homme des personnes privées de liberté. Contribution à l’étude du pouvoir

normatif de la Cour européenne des droits de l’homme, Op. Cit., p. 46. 349 ComEDH, 6 septembre 1995, REMER c. Allemagne, req. n°25096/94.

350 L’auteur fait ici référence à l’opinion dissidente du juge Soyer relative jointe à l’arrêt, CEDH, 27 août 1992, TOMASI c. France, req. n°12850/87.

évoqué par d’autres, de la ‘banalité du mal’ »351. Il existerait un risque de banalisation de cette prohibition si le seuil était trop bas. Il est généralement admis que tous les mauvais traitements infligés à un être humain n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. En effet, il est de jurisprudence bien établie qu’un mauvais traitement « ne tombe sous le coup de l’article 3 qu’à condition d’atteindre un « seuil minimal de souffrance »352. Les atteintes à l’intégrité des personnes incarcérées, prohibées au niveau européen, ont un contenu matériel déterminé qui est fonction de la définition jurisprudentielle des termes de torture, de traitements inhumains ou de traitement dégradants, qui semble varier selon certaines circonstances factuelles, liées à la fois aux caractéristiques de l’atteinte elle-même et au contexte spécifique dans lequel elle est commise.

145. Les éléments endogènes de l’atteinte déterminant la gravité. Il peut sembler particulièrement complexe d’appréhender la définition juridique de cette gravité et la matérialité de l’interdiction. Cette prohibition peut être « présentée comme étant une suite logique du droit à la vie […] »353, en s’opposant formellement à la torture et aux peines ou traitements inhumains ou dégradants. Le terme de torture pose moins de difficulté de définition dans la mesure où plusieurs conventions internationales l’ont précisé354. De plus, peu d’atteintes dénoncées par les personnes détenues entrent dans le champ d’application de la torture. En effet, outre un niveau de gravité important exigé des sévices imposés, pour qu’un acte soit qualifié de torture, il doit nécessairement comporter un élément intentionnel : qu’il s’agisse de l’obtention d’aveu, d’information, d’une punition ou d’intimidation355. Aussi, la question de la torture est moins présente dans le contentieux pénitentiaire étudié que dans le contentieux judiciaire ; il y est davantage question de traitements inhumains ou dégradants.

351

TULKENS F., « L’interdit de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, les développements récents de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Mélanges offerts à

Pierre COUVRAT, La sanction du droit, PUF, Paris, 2001, p. 319.

352 VERDUSSEN M., « La prohibition absolue des traitements intrinsèquement cruels, inhumains et dégradants »,

in MARCUS HELMONS S. (dir.), Op. Cit., p. 88. 353

TIGROUDJA H. et PANOUSSIS I.-K., La Cour interaméricaine des droits de l’homme, analyse de la

jurisprudence consultative et contentieuse, Droit et justice, Bruylant, 2003, p. 196.

354 Les trois éléments constitutifs de la torture repris dans l’affaire grecque sont : l’intensité des souffrances, l’intention délibérée des autorités et le but déterminé.

355 Voir notamment l’article 1er la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, du 3 décembre 1984, entrée en vigueur le 26 juin 1987, qui précise que le terme « torture » s’entend de l’infliction intentionnelle d’une douleur ou de souffrances aiguës aux fins notamment d'obtenir des renseignements, de punir ou d'intimider.

146. Il est particulièrement difficile de déterminer l’étendue exacte et le sens précis des termes « inhumain » et « dégradant » qui renvoient à de très nombreuses réalités concrètes356. Aussi, la prohibition fondamentale garantie par l’article 3 de la Convention européenne a été élaborée, en termes de contenu, par les deux organes strasbourgeois du Conseil de l’Europe, à savoir la Commission et la Cour européenne des droits de l’homme. Selon la jurisprudence européenne classique, les requêtes invoquant une violation de l’article 3 de la Convention étaient essentiellement fondées sur le contentieux de la discipline et des punitions. Par la suite, comme a vocation à l’illustrer cette recherche, la jurisprudence s’est développée vers de nombreux autres domaines du quotidien carcéral, des fouilles de détenus aux conditions de détention de droit commun.

147. La pertinence d’une éventuelle gradation des qualifications fonction de la

gravité. La gravité, au sens de l’intensité des souffrances endurées, peut apparaitre comme un

critère permettant d’établir une hiérarchie entre les différents comportements prohibés par l’article 3 de la Convention européenne357. Serait au sommet de cette hiérarchie la torture, fondement absolu et essence de l’article 3, comme en attestent les travaux préparatoires de la Convention précédemment évoqués. Le traitement inhumain serait placé ensuite et enfin, le traitement dégradant358. Il est également possible d’ajouter que la protection du droit à la vie serait « au dessus » de la prohibition de la torture et que l’atteinte physique ou morale qui ne trouverait pas de qualification sous les termes de l’article 3 pourrait éventuellement entrer dans le champ de l’article 8 qui garantit la protection de la vie privée359. Le professeur Jean-Manuel Larralde indique en ce sens que le traitement dégradant constitue le seuil de gravité « le plus

356 Voir notamment, CASSESE A., « Prohibition of torture and Inhuman or degrading treatment or punishment »,

Art. préc., p. 225. L’auteur affirme qu’il est particulièrement difficile d’établir l’exact sens et le domaine

d’application des interdictions consacrées par l’article 3, en particulier les notion de traitement ou de peines « inhumains » ou « dégradants » : traduction libre de « particularly difficult to pinpoint the exact scope and meaning of the bans enshrined in Article 3 regarding the notion of « inhuman «» and « degrading » treatment or punishment ».

357

°Torture in ANDRIANTSIMBAZOVINA J., GAUDIN H., MARGUENAUD J.-P, RIALS S. et SUDRE F.

(dir.), Op. Cit., p. 737, est indiqué concernant l’intensité des souffrances infligées aux victimes que « ce critère permet de distinguer entre les types de « traitements relevant de l’article 3 et de différencier le champ d’application de chacun des concepts ».

358

P.Nihoul évoque les « seuil inférieur », « seuil intermédiaire » et « seuil supérieur de torture » in NIHOUL P., « Les quartiers de sécurité renforcée et l’article 3 de la Convention européenne », RTDH, 1994, p. 591.

359 Béatrice Belda évoque d’ailleurs à cet égard la « véritable protection subsidiaire » offerte à la personne détenue sur le fondement de l’article 8 in BELDA, Les droits de l’homme des personnes privées de liberté. Contribution à

l’étude du pouvoir normatif de la Cour européenne des droits de l’homme, Op. Cit., p. 284. Voir en ce sens

CEDH, 14 janvier 2014, LINDSTROM et MASSELI c. Finlande, req. n°24630/10. Deux détenus avaient été contraints au port de combinaisons scellées, ils ont fait leur besoins dans leur combinaison. La Cour rejette la violation de l’article 3 mais admet violation de l’article 8 car une telle mesure n’est pas prévue par la loi.

bas », ensuite se situent « l’échelon supérieur de traitement inhumain, puis de torture »360. La pertinence de cette théorie de la classification des traitements prohibés en fonction de leur gravité mérite cependant d’être discutée.

148. Il est vrai que, dans certains arrêts, la Cour européenne expliquent qu’une atteinte peut être constitutive d’un traitement dégradant mais ne pas atteindre le seuil du traitement inhumain361. Cependant, dans une large majorité des arrêts, l’atteinte étatique contre laquelle un grief est invoqué sera qualifiée de traitement contraire à l’article 3, constitutif indifféremment d’un traitement « inhumain ou dégradant ». Il pourrait être ajouté que, d’un point de vue purement philosophique, il est difficile de considérer qu’il est « moins grave » d’infliger un traitement inhumain que de torturer. De plus, cela signifierait que les traitements dégradants sont « moins » graves. Ces doutes sont d’ailleurs confirmés par la jurisprudence de la Cour européenne, car il semble que le seuil qui délimite le domaine de la qualification n’opère pas nécessairement une partition hiérarchique. En effet, il est certain que la Cour opère une distinction entre la torture et les autres traitements prohibés362, mais parmi les traitements inhumains et dégradants, elle opte souvent pour l’indifférenciation363.

149. Il pourrait être davantage considéré que « les qualifications envisagées par l’article 3 reflètent le souci des auteurs de la Convention qu’il soit fait égard aux données objectives de chaque cause ou plus exactement, aux circonstances directement inhérentes à l’acte dénoncé »364. La diversification des termes serait donc le reflet d’un souci d’appréhender des situations différentes et différenciées. En ce sens, le professeur Françoise Tulkens affirme que « si les peines ou traitements inhumains visent l’intégrité et concernent plus particulièrement des lésions ou des souffrances physiques ou morales, les peines ou traitements dégradants s’attachent plutôt à la dignité de la personne, en suscitant chez elle, peur, angoisse,

360 LARRALDE J.M., « La protection du détenu par l’action du Comité européen pour la prévention de la torture », CRDF, n°3, 2004, pp. 29-42.

361 En ce sens, CEDH, 12 juin 2007, FREROT c. France, req. n°70204/01, §48 : « La Cour en déduit que les fouilles intégrales que le requérant a subies alors qu’il était détenu à la maison d'arrêt de Fresnes […] s’analysent en un traitement dégradant au sens de l'article 3. Il y a donc eu violation de cette disposition. Elle considère en revanche que le seuil de gravité requis n’est pas atteint en l'espèce pour qu’il y ait traitement ‘inhumain’ ».

362 CEDH, 27 juin 2000, ILHAN c. Turquie, req. n° 22277/93 , §85 : « Par ailleurs, pour déterminer si une forme donnée de mauvais traitements doit être qualifiée de torture, il faut avoir égard à la distinction que comporte l’article 3 entre cette notion et celle de traitements inhumains ou dégradants. Comme la Cour l’a noté dans des arrêts antérieurs, il apparaît qu’en distinguant la ‘torture’ des ‘traitements inhumains ou dégradants’ la Convention a voulu, par le premier de ces termes, marquer d’une spéciale infamie des traitements inhumains délibérés provoquant de fort graves et cruelles souffrances ».

363 À titre d’exemple, dans l’arrêt CEDH, 19 juillet 2012, KETREB c. France, req. n°38447/09, §115, la Cour retient concernant la punition de cellule disciplinaire imposée à une personne détenue atteinte de troubles mentaux que « cette sanction a constitué un traitement et une peine inhumains et dégradants ».

364

avilissement » 365. Une « humiliation grossière devant autrui pour un individu, lequel peut aussi être poussé à agir contre sa volonté ou sa conscience »366 doit être qualifiée de traitement dégradant. La partition des qualifications semble donc davantage horizontale que verticale, visant des comportements de nature différente et non pas plus ou moins graves. L’intérêt de cette construction théorique de hiérarchie doit également être relativisé en raison de certaines confusions jurisprudentielles notables367, mais surtout par l’absence d’incidence quant au régime juridique applicable à l’atteinte en cause et à la responsabilité des États qui en découle. En toutes les hypothèses, la Cour européenne exige que l’atteinte dénoncée atteigne un certain niveau de gravité. Quels sont les contours de cette gravité ?

150. Les éléments exogènes de l’atteinte prohibée déterminant la gravité. Selon une jurisprudence constante de la Cour européenne, le seuil de gravité atteint par un traitement inhumain ou dégradant dépend de l’ensemble des « données de la cause, et notamment, de la durée du traitement, de ses effets physiques et mentaux, ainsi que parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime »368. Ce sont des éléments exogènes à la matérialité de l’atteinte et qui sont susceptibles d’aggraver ou d’atténuer sa gravité et ainsi à faire passer une pratique donnée au-delà ou en deçà du seuil de la protection conventionnelle. Il ne semble guère que la durée du traitement puisse être considérée comme un élément exogène à l’atteinte prohibée puisqu’elle en définit la teneur même. La durée du traitement imposé doit donc être considérée comme éminemment endogène.

151. Certains de ces éléments sont propres à la personne atteinte. Le sexe, l’âge et l’état de santé de la victime peuvent constituer des facteurs d’aggravation de certaines pratiques dénoncées. La Cour européenne prend le soin de systématiquement préciser que « l’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause ». À cet égard, il peut être affirmé que « la Cour adopte une position réaliste qui consiste à adapter les critères de l’article 3 pour tenir compte de la situation

particulièrement vulnérable des personnes détenues »369. La mise à l’isolement d’une personne

365 TULKENS F., « L’interdit de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Les développements récents de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Art. préc., p. 317.

366 CEDH, 28 janvier 1994, HURTADO c. Suisse, req. n°17549/90, il s’agissait en l’espèce de l’obligation de porter des vêtements souillés.

367 CEDH, 15 juillet 2002, KALACHNIKOV c. Russie, req. n°47095/99, §101-102, la Cour retient que le traitement subi a suscité une souffrance mentale considérable mais conclut au traitement dégradant. Traduction libre de « must have caused him considerable mental suffering ».

368 CEDH, 18 janvier 1978, IRLANDE c. Royaume-Uni, req. n° 5310/71, §162, ou encore CEDH, 18 octobre 2001, INDELICATO c. Italie, n°31143/96, §31.

369 ECOCHARD B., « L’émergence d’un droit à des conditions de détention décentes garanti par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme », RFDA, 2003, p. 100.

atteinte de troubles psychiques sera appréciée plus sévèrement que celle d’une personne en bonne santé. Il semble important d’ajouter que dans certaines hypothèses, l’état de santé de la personne détenue est tel qu’il rend à lui seul sa détention inconventionnelle370.

152. Dans la mesure où l’objectif de la Cour européenne est de sanctionner la souffrance excessive imposée, la vulnérabilité particulière de la personne détenue aggrave nécessairement les circonstances de l’incarcération. Le détenu en mauvaise santé est plus vulnérable et la détention ou certaines pratiques communément admises sont susceptibles d’être qualifiées de traitement contraire à l’article 3. En ce sens, dans l’arrêt Mouisel c. France, les autorités françaises ont été condamnées pour avoir enchainé un détenu malade lors de l’administration des soins. La Cour européenne a retenu que, considérant l’inconfort du déroulement d’une séance de chimiothérapie et la faiblesse physique de l’intéressé, le port des menottes était disproportionné au regard des nécessités de la sécurité371. Cependant, comme le constate le professeur Florence Massias, « ni l’âge, ni la santé ne rendent inaptes à la privation

de liberté »372. Qu’il s’agisse d’une personne d’un âge très avancé comme Maurice Papon ou

de personnes atteintes de troubles physiques ou psychiques373 ; la Cour européenne ne considère jamais in abstracto que la détention constitue un traitement inhumain ou dégradant. La Cour en décide autrement « si la détention provoque une aggravation de l’état de santé ou créé des sentiments constants d’angoisse, d’infériorité et d’humiliation suffisamment forts »374. En ce sens également, une personne atteinte de graves troubles mentaux ne peut guère subir certaines sanctions disciplinaires375.

370 Voir infra, §524 s.

371

CEDH, 14 novembre 2002, MOUISEL c. France, req. n°67263/01, §47. En ce sens très récemment : CEDH, 26 mai 2011, DUVAL c. France, req. n°19868/08, §52-53 concernant les conditions d’extractions « l’utilisation de menottes et entraves et la surveillance d’au moins un agent de l’escorte lors des actes médicaux, au mépris de la déontologie ». « Pareilles contraintes et surveillances ont pu causer au requérant un sentiment d’arbitraire, d’infériorité et d’angoisse caractérisant un degré d’humiliation dépassant celui que comporte inévitablement les examens médicaux des personnes détenues. La Cour en conclut que les mesures de sécurité imposées au requérant lors des examens médicaux combinées avec la présence du personnel pénitentiaire s’analysent en un traitement dépassant le seuil de gravité toléré par l’article 3 de la Convention […] ».

372 MASSIAS F., « Bilan de la jurisprudence récente relative à la protection offerte par l’article 3 en matière de privation de liberté », Chron., RSC, 2003, p. 145.

373 Voir notamment CEDH, 3 avril 2001, KEENAN c. Royaume-Uni, req. n° 27229/95 et CEDH, 26 octobre 2000, KUDLA c. Pologne, req. n°30210/96.

374

RENUCCI J.-F., Traité de droit européen des droits de l’Homme, L.G.D.J, Paris, 2007, p. 124.

375 CEDH, 3 avril 2001, KEENAN c. Royaume-Uni, req. n° 27229/95, §116 : « Dans ces conditions, le fait d’infliger tardivement une sanction disciplinaire lourde – sept jours d’isolement dans le quartier disciplinaire et vingt-huit jours de détention supplémentaires – deux semaines après les faits et seulement neuf jours avant la date prévue pour sa sortie, ce qui était susceptible d’ébranler sa résistance physique et morale, n’est pas compatible avec le niveau de traitement exigé à l’égard d’un malade mental. Cette sanction doit donc passer pour constituer un traitement et une peine inhumains et dégradants au sens de l'article 3 de la Convention ». En ce sens également CEDH, 19 juillet 2012, KETREB c. France, req. n°38447/09.

153. Les effets du traitement ou de la peine imposés. Les effets d’un traitement subi par une personne détenue sont potentiellement révélateurs de la gravité de l’atteinte. Ainsi, dans l’affaire Khider c. France, le requérant, soumis à un régime de rotations de sécurité, évoquait l’impression d’être « trimbalé comme un objet ». À la suite d’une visite en France en 2006376, le CPT relevait à cet égard que le transfert continuel d’un détenu d’un établissement vers un autre pouvait « avoir des conséquences très néfastes sur son bien-être, sur ses possibilités de réinsertion, ainsi que compliquer le maintien de contacts appropriés avec son avocat et sa famille ». De plus, le CPT recommandait que l’article D. 296 du code de procédure pénale qui impose le secret sur le lieu de la nouvelle affectation377, ce qui est de nature à aggraver le sentiment d’angoisse de la personne détenue, soit abrogé. Cependant, au regard de la jurisprudence européenne, il peut être affirmé qu’il s’agit davantage d’un élément indicatif qu’indispensable. En effet, l’absence d’effet sur la santé physique ou mentale de la personne détenue ne fait théoriquement pas obstacle à la qualification de traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Dans l’arrêt Ketreb c. France, la Cour européenne retient notamment que « le traitement infligé à un malade mental peut se trouver incompatible avec les normes imposées par l’article 3 s’agissant de la protection de la dignité humaine, même si cette personne n’est pas en mesure, ou pas capable, d’indiquer des effets néfastes précis »378.

154. Le seuil de gravité des atteintes en cause dépend donc de nombreux facteurs, mais la jurisprudence est relativement constante quant aux éléments auxquels elle a recours. Il a pu être affirmé que « la France s’est donc mise en conformité (avec la jurisprudence européenne) en posant le principe de l’appréciation in concreto » 379 des conditions de détention.

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