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TITRE I. LES ATTEINTES ACTIVES À L’INTEGRITÉ DES PERSONNES DÉTENUES

Section 1. Le principe de sécurité au soutien de pratiques attentatoires à l’intégrité

B. Le « risque d’extension de la violence carcérale » 587

1. La nature du risque encouru

255. Il pourrait être affirmé que se développe, au sein des établissements pénitentiaires, une nouvelle forme de violence invisible, dont le droit peine à se saisir. L’appréciation de la proportionnalité et de la nécessité des réponses coercitives apportées par les personnels doit évoluer pour adapter le contrôle au renforcement des dispositifs sécuritaires.

256. Une violence carcérale invisible. Le directeur de la maison d’arrêt de Fleury Mérogis, Paul Louchouarn588, considère que la question de la « violence institutionnelle se pose » car en détention « on utilise très souvent la force ». Il évoque une « violence soft » qui n’est pas « pénalement répréhensible »589. Cette violence aseptisée constitue l’aspect sous-jacent et incontournable d’une professionnalisation souhaitable des personnels pénitentiaires mais cependant ambivalente. Il peut être affirmé qu’il s’agit là du « plus grand risque » 590. Alors que l’utilisation d’armes de neutralisation perfectionnées met à distance physiquement les personnes détenues et les personnels, elle rend impalpable une violence qui se généralise.

587 Cette expression correspond à un des titres de l’étude de RAZAC O., L’utilisation des armes de neutralisation

momentanée en prison, Enquête auprès des formateurs de l’ENAP, CIRAP, dossier thématique n°5, juillet 2008, p.

19.

588 Paul Louchouarn a exercé les fonctions de Directeur de la maison d’arrêt jusqu’en février 2012.

589 Propos recueillis lors d’un entretien avec Monsieur Paul Louchouarn, directeur de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, 6 juillet 2011.

590

S’il faut se féliciter que les personnels se soient nettement professionnalisés, qu’ils soient « dans la capacité d’intervenir physiquement sur un détenu qui refuse par inertie, résistance, d’obtempérer »591, la crainte est celle d’une systématisation d’une violence souvent invisible. Comme l’indiquait le directeur, « si les agents estiment qu’ils sont en rupture de dialogue, et bien ils interviennent sur le détenu. Il est proprement maîtrisé, il n’y a pas de problème, personne ne le frappe, il est par terre, menotté, maitrisé, descendu au rez-de-chaussée, audience avec l’officier ». Il mettait en outre en garde l’institution contre la solution de facilité qui consisterait à mettre en œuvre « les techniques pour un oui ou pour un non »592. Manifestement, le contentieux va évoluer.

257. Les violences volontaires par des personnels de l’administration sur des personnes détenues sont marginales, un consensus net se dégage sur ce point. Plus précisément, il apparaît que le critère de la volonté et de l’intention s’applique de manière différencié au contentieux de la détention. Dans la mesure où la Cour européenne admet que tout acte coercitif qui ne répond à aucune exigence concrète et individualisée de sécurité mérite la qualification de traitement inhumain ou dégradant, toutes les expressions de la coercition devraient être examinées au regard de ces critères. Plaquer une personne au sol, la menotter et la transporter de force dans une cellule ne devrait constituer qu’un dernier recours. La jurisprudence de la Cour européenne, mais également celle des juridictions administratives, sont attendues sur ces questions. Le critère de l’impératif de sécurité créé donc une incertitude face aux qualifications éventuelles de telles procédures par les autorités pénitentiaires. Une maîtrise par la force considérée finalement comme injustifiée entrerait dans le champ de la prohibition de l’article 3 de la Convention, et pourrait tomber sous le coup de l’obligation européenne de répression593.

258. Une perte d’individualisation dans les réponses apportées. Comme s’en inquiète Nicolas Queloz, professeur de droit pénal à l’Université de Fribourg, face aux pressions de l’opinion publique « le risque est grand que les responsables politiques s’orientent vers de mauvaises réponses qui, visant à renforcer la sécurité publique, aboutissent à élever l’exception au rang de règle générale – à savoir le condamné « dangereux » comme prototype de tous les détenus – et ainsi à limiter gravement, chez les professionnels chargés des ‘populations dangereuses’, les capacités de réflexion, d’intelligence et de prise de décision adaptées à des situations individuelles et concrètes et non à des directives et standards rigides de soumission

591 Idem.

592 Idem.

593

schématique à la sécurité ‘à tout prix’ »594. Un autre effet de la promotion des politiques sécuritaires et de la promesse du risque zéro est celui de la transformation des comportements des professionnels intervenant en milieu pénitentiaire en faveur d’une forme d’intransigeance. Ce constat, ajouté à la segmentation des fonctions, dénoncée par le directeur des services pénitentiaires Géraud Delorme595, pourrait faire perdre à la fonction d’agent pénitentiaire beaucoup d’intérêt.

259. Éviter tout contact avec la personne détenue pour diminuer les risques d’agression, exclure le dialogue lorsque la neutralisation de la personne permet de résoudre une difficulté rapidement et sans risque apparent. Ces mécanismes restreignent l’intervention de l’homme, du dialogue, de l’échange, au profit de dispositifs de surveillances automatisés, désincarnés, qui « limitent » le risque humain. Une forme de « déshumanisation » des nouveaux établissements pénitentiaires peut d’ailleurs être évoquée. En ce sens, le CGLPL s’inquiétait dans son rapport d’activité de 2011 de l’« industrialisation de la captivité » 596 , en déplorant la « déshumanisation» liée à la taille excessive des établissements et à la conception - « béton, barbelés, vidéosurveillance...» des nouveau établissements pénitentiaires. Remplacer une réponse autoritaire adaptée et individualisée, par le recours à des moyens de coercition extrêmement efficaces et totalement désincarnés, soulève des questions nouvelles sous l’angle de l’article 3 de la Convention en particulier en application du critère de l’ultime nécessité.

260. Le renforcement des dispositifs sécuritaires. L’OIP indique dans son rapport 2011 sur les conditions de détention « qu’au-delà de l’arsenal traditionnel de mesures de contrôle et de contrainte dont elle dispose, l’institution s’est engagée ces dernières années dans une fuite en avant technique et technologique visant à prévenir les évasions ainsi que les incidents (agressions et mouvements de protestation). Tout en confortant un pouvoir de police intérieure qui l’autorise à recourir à une certaine forme de violence institutionnelle (fouilles des personnes, placements en quartiers d’isolement ou disciplinaire…), l’administration

594 QUELOZ N., « Les prisons suisses doivent-elles s’aligner sur le « tout sécuritaire » ? », Art. préc., p. 22.

595 DELORME G., « Un nouveau service public pénitentiaire », Art. préc., p. 19. L’auteur affirme que « les personnels pénitentiaires se voient pourtant de plus en plus confier des tâches particulières, volontairement segmentées, qui ne leur permettront pas d’avoir une lecture globale de leur responsabilité ».

596

CGLPL, Rapport d’activité 2011, p. 63, le rapport ajoute que « cette industrialisation se marque aussi dans la conception et le fonctionnement des établissements. Si la prise en charge des personnes détenues se réalisait à travers une suite continue de contacts humains, dont la relation avec le surveillant était, nolens volens, le centre, dans une architecture conçue à cette fin, les programmes initiés depuis 1987 ont fortement diminué cet aspect, en simplifiant les procédures de construction, en uniformisant les modèles de bâtiments, en recherchant l’efficacité de la gestion, en maintenant à distance incarcérés et personnels, en multipliant les substitutions de l’homme par la machine (la commande électrique à la clef pour l’ouverture des portes et des grilles), en rendant les personnes moins visibles (effort de réduction des mouvements, glaces sans tain…), en multipliant les sécurités passives.

pénitentiaire a sollicité et obtenu le renforcement de son dispositif sécuritaire, au travers d’un investissement massif dans la sécurisation périmétrique des établissements (miradors, filins anti-hélicoptères,…) et l’armement des personnels (armes longues équipant les miradors, matraques et bâtons de défense, flash-balls, fusils équipés de balles en caoutchouc de type « gomme-cogne », grenades à éclats en caoutchouc, aérosols, grenades à gaz incapacitant…)597.

261. Tout un arsenal dont les personnels de l’administration pénitentiaire ne bénéficiaient pas précédemment et qui est susceptible d’être à l’origine d’excès nouveaux. Au nom de la sécurité, les personnels disposent de nouveaux moyens de contrainte souvent redoutables et dangereux dans la mesure où ils ne laissent pas nécessairement de traces visibles. Il semble important d’avoir conscience que les nouveaux moyens mis à la disposition des autorités pour faire respecter la « sécurité » portent en germe de nouvelles atteintes actives à l’intégrité des personnes détenues à l’égard desquelles une vigilance particulière est nécessaire.

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