Titre I. LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE DE L’ACTIVITÉ D’ENTREPRISES DES ÉTATS TIERS TOUCHANT AU MARCHÉ EUROPÉEN
Chapitre 1. L’application du droit européen de la concurrence aux entreprises des États tiers. La réglementation
22. Tout d’abord il est intéressant à noter que tout en appliquant la théorie de l’effet
22.1. Le premier cas, à notre connaissance, où apparaît cette expression est l’arrêt
§ 4. La théorie de l’effet au sein du droit européen de la concurrence. Chronique de la jurisprudence.
22. Tout d’abord il est intéressant à noter que tout en appliquant la théorie de l’effet
pendant plus de quarante ans, la Cour de Justice ne parle pas directement de cette théorie, ne donne pas des définitions, et ne la nomme même pas dans ces arrêts. Néanmoins, on trouve plusieurs références dans ces arrêts sur la notion d’ « effet sur le marché » et, par là même, on peut déduire ainsi les critères de l’applicabilité de la théorie. Ainsi, comme mentionné auparavant, on présente l’analyse de la jurisprudence dans laquelle la Cour de Justice et le Tribunal ont découvert, puis développé cette théorie fondatrice : la théorie de l’effet. La théorie qui permet d’appliquer le droit de la concurrence de manière extraterritoriale.
I. Le premier pas : l’arrêt Béguelin.
22.1. Le premier cas, à notre connaissance, où apparaît cette expression est l’arrêt
Béguelin133. Dans cet arrêt la Cour résume que « le fait, par l’une des entreprises participant à l’accord, d’être située dans un pays tiers ne fait pas obstacle à l’application de cette
132 Frédéric GERCHOUN, Stéphane PIEDELIÈVRE, Le règlement sur la loi applicable aux obligations non
contractuelles …, op.cit., p.7.
disposition [article 81 TCE], des lors que l’accord produit ses effets sur le territoire du marché commun » (point 11). C’est la première décision de la Cour de Justice qui utilise la notion des « effets » sur le marché européen comme critère d’applicabilité du droit européen de la concurrence. Toutefois, Béguelin touche aussi un autre problème : celui des ventes exclusives quand le producteur est un ressortissant d’un pays tiers et le distributeur est européen. Selon cet arrêt, un accord d’exclusivité passé entre un producteur ressortissant à un pays tiers et un distributeur établi dans un marché interne peut être incompatible avec le marché européen lorsqu’il fait obstacle, en droit ou en fait, à ce que le distributeur réexporte les produits en cause dans d’autres États membres, ou à ce que ces produits soient importés d’autres États membres dans la zone protégée, et y soient distribués, par des personnes autres que le concessionnaire ou ses clients (point 12). Il est intéressant de noter que, trente ans plus tard, l’UE est confrontée au même problème : celui où le producteur (vendeur) non‐européen interdit de distribuer (revendre) à son distributeur (acheteur) européen les produits dans les autres États membres.
Analysons à cet effet quelques exemples assez récents concernant Gazprom, une société russe qui est un des plus grand producteurs du gaz au monde (ses principaux secteurs d'activité sont l'exploration géologique, la production, le transport, le stockage, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures ainsi que la production et la commercialisation de la chaleur et l'électricité)134, et quelques sociétés européennes spécialisées elles aussi dans le domaine de l’énergie.
En 2001, la Commission Européenne a ouvert une enquête sur trois affaires de restriction à l’exportation concernant le gaz russe. L’investigation en question se fondait juridiquement sur une possible violation de l’article 81 du traité CE sur les pratiques restrictives de concurrence (article 101 TFUE). Ainsi, l’année 2001 a marqué le point de départ de l’application systématique des règles européennes de concurrence aux relations gazières entre l’UE et Russie.
Le premier résultat concret fut atteint en octobre 2003 quand les services de la concurrence de la Commission sont parvenus à régler par un accord transactionnel la situation problématique née de l’accord entre la société italienne ENI, spécialisée dans les hydrocarbures, et Gazprom, et issue plus particulièrement d’un certain nombre de clauses
contractuelles restrictives.135 Lesdites clauses interdisaient aux grossistes de revendre le gaz hors des pays où ils étaient établis (comme dans l’affaire Béguelin), ce qui constituait une violation du droit européen de la concurrence et menaçait l’effort de création du marché européen du gaz. 136
En outre, la Commission européenne a clos, en février 2005, ses enquêtes sur les contrats de fournitures de gaz entre la société de production de gaz et de pétrole autrichienne OMV et Gazprom au motif que ces deux sociétés avaient finalement accepté de supprimer les clauses contrevenant à l’article 101 TFUE.137 Ultérieurement, en juin de la même année, la Commission a, de manière similaire, mis un terme à sa dernière enquête sur les restrictions à l’exportations de gaz russe ouverte en 2001, à la lumière des améliorations apportées aux contrats de fournitures de gaz entre la société gazière allemande Ruhrgas et Gazprom, consistant à éliminer les dispositions contractuelles en non‐conformité avec l’article 101 TFUE : les deux parties ont convenu d’éradiquer les clauses de restrictions territoriales à la vente contenues dans les contrats épinglés par la Commission.138
En résumé, dans tous les trois litiges, Gazprom s’est pliée aux ordres de la Commission et a amendé les contrats à l’aune des exigences du droit européen de la concurrence, en vue de pouvoir fournir leurs services sur le marché européen. Ainsi, on voit que la question soulevée il y a plus de trente ans est toujours d’actualité aujourd’hui. Cependant, on voudrait souligner le caractère double d’une telle question : premièrement, il était possible d’obliger Gazprom à changer les clauses dans les contrats grâce à l’application extraterritoriale du droit européen de la concurrence ; deuxièmement, les clauses empêchant de revendre le produit à un autre État membre constituent une violation du droit européen de la concurrence.
135 Commission reaches breakthrough with Gazprom and ENI on territorial restriction clauses, IP/01/1345, 06/10/2003,
http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/03/1345&format=HTML&aged=0&language=EN &guiLanguage=en, 21.11.2011.
136 Ibidem.
137 Competition : Commission secures improvements to gas supply contracts between OMV and Gazprom, IP/05/195,17/02/2005,
http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/05/195&format=HTML&aged=1&language=EN& guiLanguage=en, 21.11.2011.
138 Competition : Commission secures changes to gas supply contracts between E.ON Ruhrgas and Gazprom, IP/05/2005,10/06/2005,
http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/05/710&format=HTML&aged=0&language=EN& guiLanguage=en, 21.11.2011.
II. EMI/CBS UK, EMI/ CBS Grammofon et EMI/ CBS Schallplatten. Propriété intellectuelle et l’affectation du commerce entre les États membres.
22.2. Les trois arrêts suivants EMI/CBS UK139, EMI/ CBS Grammofon140, EMI/ CBS