Titre I. LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE DE L’ACTIVITÉ D’ENTREPRISES DES ÉTATS TIERS TOUCHANT AU MARCHÉ EUROPÉEN
Chapitre 1. L’application du droit européen de la concurrence aux entreprises des États tiers. La réglementation
53. On revient ici à la question concernant les conséquences de la non‐coopération des
53. On revient ici à la question concernant les conséquences de la non‐coopération des
entreprises non‐européennes avec, cette fois‐ci les institutions européennes dans le cas d’application du droit européen de la concurrence (par exemple, le non‐respect des décisions de la Commission et/ou la Cour de Justice ou le Tribunal). Quelles sont les rôles de la Cour et du Tribunal si l’entreprise non‐européenne ne respecte pas la décision de la Commission ? Est‐il possible d’interdire l’accès sur le marché européen à une entreprise non‐ européenne qui ne respecte pas les décisions de la Commission ou de la Cour ou du Tribunal ?
Encore une fois, on doit constater l’absence de mécanisme d’exécution forcée extraterritoriale des décisions de la Commission et de la Cour et du Tribunal. Cependant, comme on l’a noté plus haut, les entreprises non‐européennes préfèrent respecter de telles décisions, coopérer avec la Commission, et payer, s’il le faut, les amendes ou s’abstenir d’une fusion, par exemple. Pourtant, il n’existe pas en droit européen un mécanisme spécial pour s’assurer de l’application forcée extraterritoriale de ce droit.
Le Règlement N° 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale du 22 décembre 2000 (Règlement « Bruxelles I ») ne s’applique qu’aux États membres de l’UE et aux décisions rendues par leurs organes judiciaires.297
La Convention sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale du 1er février 1971 faite à La Haye, laquelle compte seulement 5 États contractants (à savoir l’Albanie, Chypre, les Pays‐Bas, le Portugal et le Koweït) ne parait pas être un moyen très efficace de coopération internationale, vu le nombre limité des pays participants. Par ailleurs cette Convention ne s’applique pas aux décisions qui ordonnent des mesures provisoires ou conservatoires ni à celles rendues par les tribunaux administratifs (article 2).
297 Voir Rapport de la Commission au Parlement Européen, au Conseil et au Comité économique et social européen sur l’application du règlement (CE) N° 44/2001 du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, 21.4.2009 COM(2009) 174 final.
La Convention sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale de 30 octobre 2007 faite à Lugano (ci‐après la Convention de Lugano de 2007), qui a remplacé la Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matières civile et commerciale de 16 septembre 1988 faite à Lugano (Convention de Lugano de 1988), ne s’applique qu’à la matière civile et commerciale et exclut explicitement les matières administratives. Les États participant sont tous les États membres de l’UE plus la Suisse, la Norvège et l’Islande. Elle s’aligne, en fait, avec le Règlement Bruxelles I. En un mot comme en cent, la Convention de Lugano de 2007 ne parait pas non plus constituer un instrument efficace de coopération internationale dans le cas du conflit issu du droit de la concurrence. 298
De plus, il faut prendre en considération que les Conventions précitées ne s’appliquent qu’aux décisions judiciaires, elles ne s’appliquent pas aux décisions administratives, telles que les décisions de la Commission et les décisions des autorités nationales de concurrence des États membres.
Il est aussi intéressant à savoir que la Convention supprimant l’exigence de la législation des actes publics étrangers de 5 octobre 1961 faite à La Haye (La Convention sur l’apostille) ne s’applique pas aux documents administratifs ayant trait directement à une opération commerciale ou douanière (article 1). En plus, l’UE ne fait pas partie de cette Convention (même si tous les États membres l’ont ratifiée), ainsi, la Convention ne s’applique pas aux décisions de la Commission européenne.
L’UE ne fait pas partie non plus de la Convention relative à la signification et à la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale de 15 novembre 1965 faite à La Haye (pourtant, tous les États membres sauf l’Autriche y sont parties). Cette Convention est applicable, en matière civile ou commerciale, dans tous les cas où un acte judiciaire doit être transmis à l’étranger pour y être signifié ou notifié. Toutefois, cet instrument de coopération (assez limité en soi) ne peut être utilisé que par les autorités des États membres et non par la Commission, la Cour de Justice ou le Tribunal.
298Pour plus d’information sur la Convention de Lugano et de Règlement Bruxelles I voir Hélène GAUDEMET‐ TALLON, Compétence et exécution des jugements en Europe, 4e édition, L.G.D.J., Paris, 2010, 750p. (surtout 367‐393 pp. et 503‐543pp.).
Ainsi, après avoir analysé plusieurs conventions internationales, on ne voit pas la possibilité d’exequatur en dehors de l’UE et l’AELE des décisions de la Cour de Justice ou du Tribunal. La reconnaissance automatique et l’application directe des décisions de la Commission européenne hors de l’UE et l’AELE (voir l’article 55 de l’Accord sur l’Espace économique européen) ne parait pas possible non plus. Certains autres mécanismes de coopération internationale sont analysés dans la troisième section de ce chapitre.
Section 3. La coopération internationale.
54. Après avoir analysé la procédure interne d’application du droit européen de la
concurrence aux entreprises des États tiers, il est logique de continuer avec l’étude de la procédure de la coopération internationale dans des cas où les normes internes ne suffisent pas pour s’assurer de l’application extraterritoriale du droit européen de la concurrence. Comme déjà mentionné, il n’existe pas de mécanisme unifié ou standard pour une telle coopération et par conséquent on est contrait de procéder à chaque fois au cas par cas. Il est intéressant de noter qu’en dépit de l’absence de clarté de processus de la coopération internationale il existe très peu de littérature sur le sujet. De par l’absence de procédure universelle de la coopération, on agit sur la base d’un accord bilatéral,299 et il est par conséquent malaisé de présenter un tel processus de manière logique et cohérente. Ainsi, il faut chaque fois considérer l’accord bilatéral en question (si, par exemple, la Commission européenne est intéressée par une entreprise marocaine, il faut consulter l’accord entre l’UE et Maroc (analysé plus tard)).
L’approche la plus logique consiste donc à, tenter de classifier d’abord les accords internationaux différents par groupes et par la suite on procédera à l’analyse des accords bilatéraux entre l’UE et les États tiers. A titre préliminaire, il faut noter que la coopération entre les autorités de concurrence s’inscrit généralement en trois temps.
La phase de pré‐enquête (située chronologiquement avant la recherche des preuves) permet de coopérer en ciblant les marchés à contrôler par une enquête par secteur et les entreprises à cibler, de partager les pistes et les informations sur l’industrie en question et les entreprises du secteur, de localiser des preuves et les protéger. Les autorités peuvent
notifier mutuellement les actions d’investigation initiale en vue de faciliter les requêtes d’assistance future ciblées, la coordination des perquisitions, des fouilles ou des interrogatoires, voire le déplacement de fonctionnaires sur le territoire de l’autre autorité afin de mener un entretien‐interrogatoire. 300
La phase de l’enquête est une période de recherche de preuves et d’analyse de celles‐ci. Les autorités peuvent coordonner les mesures d’investigation, par exemple, en faisant des perquisitions simultanées, des assignations, des demandes d’information, des interrogatoires de témoins, l’échange d’information sur l’état d’avancement de la procédure en cours, l’évaluation de l’affaire, les déplacements de fonctionnaires sur le territoire de l’autre autorité dans le but de mener des entretiens‐interrogatoires de parties de nationalité étrangères pertinentes pour l’enquête des autorités de concurrence ou encore une ordonnance requérant d’une entreprise de produire certains documents en possession de ses filiales étrangères.301
La phase post‐enquête est celle de l’engagement de poursuites judiciaires, ou administratives, et de la communication des griefs ; conclue par le jugement ou la décision sur la sanction, puis son exécution. La coopération entre les autorités consiste en l’échange de preuves et d’informations que les autorités de concurrence ont obtenues, par la voie des discussions ouvertes entre enquêteurs sur le cartel, par la fourniture de copies de dossiers judiciaires publiques ou l’accès donné à des informations non publiques mais non statutairement protégées ou donnant droit à traitement confidentiel. Elle passe également par la coordination des inculpations, la notification des plaideurs coupable et des
condamnations de sociétés étrangères, c’est‐à‐dire l’adoption des décisions dans les affaires faisant l’objet d’une enquête de la part d’une autre autorité.302 § 1. Coopération directe. I. Les coopérations directes usuelles.
300 Anne M. TERCINET, Enquêtes et coopération internationale en matière de pratiques anticoncurrentielles, Revue Lamy de la Concurrence, Octobre‐Décembre 2011, N° 29, p.125.
301 Ibidem.