Titre I. LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE DE L’ACTIVITÉ D’ENTREPRISES DES ÉTATS TIERS TOUCHANT AU MARCHÉ EUROPÉEN
Chapitre 1. L’application du droit européen de la concurrence aux entreprises des États tiers. La réglementation
59. Les accords entre l’UE et les pays tiers concernant la coopération dans le domaine
E. En guise de conclusion. L’efficacité des accords bilatéraux.
59. Les accords entre l’UE et les pays tiers concernant la coopération dans le domaine
du droit de la concurrence peuvent être distingués entre les accords bien détaillés et prévoyant certains mécanismes de coopération et les accords dépourvus de tels mécanismes.
Dans la première catégorie peuvent être inclus les accords avec l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Chili, la République populaire de Chine, la Corée du Sud, les États‐Unis, le Japon, le Mexique, le Maroc, la Russie et l’accord avec la Suisse concernant le transport aérien.
Les accords avec la Russie et la Chine vont être analysés dans deux chapitres consacrés à la coopération avec ces deux pays, car ils représentent deux exemples les plus illustratifs d’adoption du modèle pro‐européenne du droit et de la politique de la concurrence (voir paragraphes 118 et s.). Ainsi, dans le cadre de ce chapitre seront examinés brièvement les accords les plus importants avec les autres pays nommés ci‐dessus.
L’accord avec l’Algérie prévoit les mécanismes de notification, d’échange des informations non‐confidentielles ou confidentielles avec la permission de la source, de coordination des mesures d’application forcée du droit de la concurrence (cependant, une telle coopération n’est pas un obstacle à l’adoption de décisions autonomes par les autorités de concurrence (voir l’article 5 point 1)), de consultations et de coopération technique.
Les accords avec le Chili et le Maroc prévoient les mêmes mécanismes. L’accord spécial avec la Corée du Sud rajoute le mécanisme de la courtoisie passive et active (les articles 5 et 6). On observe une approche analogue dans le cadre des accords avec le Mexique, la Russie et l’Afrique du Sud. L’accord avec le Japon possède les mêmes mécanismes. Cependant, l’accord avec le Japon a une exception très importante par rapport aux accords avec autres, à savoir une disposition claire prévoyant l’échange des informations confidentielles (article 4 paragraphe 4).
L’accord d’association avec la Turquie est assez spécifique dans la mesure où il prévoit l’approximation de la législation de Turquie avec la législation européenne dans le
cadre de l’Union douanière (article 39 – 43), comme elle est candidate aux membres de l’UE. Les accords avec la Croatie et la Macédoine, qui sont aussi les pays candidats à l’UE, contiennent les mêmes dispositions (articles 69 et 68 respectivement).
Il est intéressant de noter que les accords avec l’Arménie (article 43) et la Moldavie (article 50) disposent de normes identiques, pourtant ces pays ne sont pas des candidats à l’accession à l’UE.
Les accords avec les États‐Unis sont les plus riches en normes. L’accord entre le gouvernement des États‐Unis et la Commission européenne de 1991 suit la même logique que les accords de l’UE avec la Corée du Sud, le Japon, le Mexique, la Russie et l’Afrique du Sud. Pourtant, il existe un accord à part sur la courtoisie dans l’application forcée des lois de concurrence américaines et européennes, à savoir l’accord supplémentaire à celui de 1991. Il prévoit en détails le mécanisme de la courtoisie (positive comity). Il ne faut pas oublier aussi les « Best Practices on Cooperation in Merger Investigations » de 2011 qui décrivent de manière très détaillée les communications entre les autorités américaines et européennes, la coordination sur le calendrier prévisionnel de leurs investigations, la collection et l’évaluation des preuves, la prise des décisions et l’imposition des amendes par les autorités.
Selon les « Best Practices on Cooperation in Merger Investigations » les communications entre les agences en charge du contrôle d’application du droit de la concurrence se passe de la manière suivante. Les agences en charge du contrôle, par l’intermédiaire de leurs agents de liaison ou par tout autre moyen, doivent se prévenir mutuellement lorsqu’elles apprennent l’existence d’une fusion sujette à un contrôle à la fois dans l’UE et les États‐Unis. Ainsi, en de pareils cas, le chef de section du Department of Justice concerné et le Chef d’unité de la DG Concurrence (ou leurs mandataires) doivent chercher à trouver un accord sur un calendrier prévisionnel pour des consultations inter‐agences régulières, lesquelles doivent prendre en compte la nature et l’époque de la fusion. Ces consultations sont particulièrement utiles aux moments‐ clés de l’enquête, en particulier a) avant que l’agence américaine compétente ne clôture l’enquête ou n’émette une deuxième requête b) pas plus tard que trois semaines après que l’Union européenne commence une enquête de Phase I c) avant que la Commission européenne n’ouvre une enquête de Phase II ou n’autorise la fusion sans ouvrir une telle enquête d) avant que la Commission européenne n’ouvre une enquête de Phase II sans
émettre de communication des griefs ou avant que la DG Concurrence n’émette une communication des griefs e) avant que la section du Department of Justice ou que la division de la FTC concernées ne fasse parvenir leur recommandations à leurs dirigeants f) au commencement des négociations avec les entités dont la fusion est considérée et g) avant la décision finale de l’agence en charge du contrôle d’interdire la fusion.
Pour faciliter cette coopération, chaque agence devrait désigner une personne de contact responsable, entre autres, établir un calendrier pour les communications entre les équipes chargées des enquêtes, discuter avec les entités envisageant leur fusion la possibilité de coordonne les calendriers des enquêtes et coordonner la collecte d’informations.
Les « Best Practices on Cooperation in Merger Investigations » prévoient aussi la coordination des calendriers des agences de la concurrence. Ainsi, la coopération entres les agences américaines et la DG Concurrence quant aux fusions pertinentes pour les deux juridictions est encore plus efficace quand leurs calendriers prévisionnels permettent une communication fructueuse tout au long du processus d’examen de la fusion, et surtout lors de ses moments‐clés, et c’est la raison pour laquelle les deux côtés doivent se tenir informées de leurs besoins en terme de calendrier. En particulier, les agences de contrôle doivent tenter de coordonner les étapes de leurs enquêtes, par exemple en organisant des réunions communes avec les parties désirant fusionner et les autorités de concurrence américaines et européenne afin de discuter le calendrier des enquêtes. Ces entités fusionnantes sont encouragées à leur communiquer les informations pertinentes à la fusion, notamment les noms et activités de ces entités, les zones géographiques où elles conduisent leurs activités, le ou les secteur(s) en jeu, le ou les autre(s) juridiction(s) où elles désirent proposer, ou ont proposé leur fusion pour approbation avec les dates réelles ou anticipées de ces propositions, et toutes matières en rapport avec la fusion.
Les agences en charge du contrôle et les entités fusionnantes doivent se préparer à discuter des façons dont les calendriers peuvent être coordonnés, en accord avec les exigences des droits américain et européen. Une option rendue disponible à cet effet aux entités est de proposer leur projet aux entités européennes et américaines en parallèle. Elles peuvent également utiliser les souplesses en termes de calendrier disponibles après l’émission d’une deuxième requête et l’ouverture d’une enquête de Phase II dans l’UE, par exemple en concluant un accord sur le calendrier avec les autorités américaines (en fonction
de la date à partir de laquelle les parties peuvent certifier que la conformité au droit de la concurrence est assurée) et demander une extension de la période d’examen d’une durée maximale de vingt jours ouvrés. Néanmoins, il faut bien remarquer que si les procédures parallèles aux États‐Unis et dans l’UE sont si peu synchronisées qu’une décision finale dans une des deux juridictions est rendue avant que la fusion soit notifiée aux autorités compétentes de l’autre, toute possibilité de coopération s’évanouit.
Concernant le recueil et l’évaluation des preuves, les « Best Practices on Cooperation in Merger Investigations » donnes les directions suivantes. Dans les affaires qui soulèvent l’intérêt dans les deux juridictions, les agences en charge du contrôle devraient coordonner leurs efforts, sans doute dès la phase de pré‐notification à la DG Concurrence. Cette coordination pourrait comprendre le partage des informations disponibles au public et, dans la limite des obligations de confidentialité des agences concernées, des discussions sur les analyses respectives de ces agences à diverses étapes de l’enquête. A cet effet, les agences en charge du contrôle devraient encourager les parties fusionnantes ainsi que les tiers concernés à consentir à des renonciations au droit à la confidentialité, comme l’usage s’en est répandu récemment.
Ces discussions peuvent porter, par exemple, sur les définitions du marché pertinent, sur l’évaluation des effets sur la concurrence, sur les théories économiques applicables, les moyens empiriques de tester lesdites théories, les remèdes à apporter et les enquêtes et affaires antérieures pertinentes. Les agences en charge du contrôle peuvent discuter des demandes d’information adressées aux parties fusionnantes ainsi qu’aux parties tierces. Les parties fusionnantes sont également encouragées, le cas échéant, à mettre en œuvre des présentations ou à s’entretenir conjointement avec les autorités des deux juridictions.
Enfin, les « Best Practices on Cooperation in Merger Investigations » traitent de la question des remèdes et de la faculté de transiger. Selon les « Best Practices » la coopération est également fort utile quand les fusions entraînent des remèdes juridiques dans les deux juridictions. Et même si le marché pertinent n’existe que dans une autre juridiction ou si les effets de la fusion sur la concurrence ne sont pas identiques dans les deux juridictions, les remèdes proposés dans une de ces deux juridictions peuvent être liés à, dépendre de, ou avoir un effet sur ceux offert sur l’autre juridiction. Il est donc nécessaire pour ces agences, dans le contexte de leurs responsabilités respectives, de s’assurer que ces
remèdes ne soient pas en totale incohérence avec ceux décidés par leurs confrères de l’autre côté de l’Atlantique.
En outre, la coopération dans cette matière précise peut prendre la forme d’une proposition d’un ensemble unique de solutions aux problèmes relevés par les deux agences de contrôle, ce qui est parfaitement faisable par exemple si les remèdes consistent en une scission ou certaines garanties intérimaires. On peut également envisager la désignation d’un administrateur ou d’un mandataire ad hoc unique ou un accord sur un même acheteur pour les actifs objets de la scission ; en tout état de cause, les parties fusionnantes ont un rôle important à jouer dans le succès de cette coopération. La nécessité d’une coopération est particulièrement évidente quand la Commission et l’agence américaine compétente sont essentiellement d’accords sur le remède juridique mais pas sur les moyens de le mettre en œuvre. Par exemple, il y a accord sur le principe d’une scission, mais les Américains veulent imposer immédiatement un acquéreur alors que les Européens souhaitent laisser aux parties fusionnantes le choix dudit acquéreur. Les deux autorités peuvent discuter du meilleur choix et les parties proposer leur choix en temps utile afin d’éviter le risque d’incohérence entre les deux juridictions.
Les accords avec les autres pays (non analysés au‐dessus) ont un caractère très général et ne contiennent pas de normes sur les mécanismes de coopération. Toutefois, ils peuvent servir comme la base de coopération, mais il faut prendre ne considération qu’en soi ils ne prévoient pas les instruments de l’aide mutuelle et de l’activité commune (comme, par exemple, la coopération pendant l’investigation, les consultations concernant la fusion qui concerne le marché européen et celui de pays tiers, etc.). III. Coopération au sein de l’International Competition Network.