Titre I. LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE DE L’ACTIVITÉ D’ENTREPRISES DES ÉTATS TIERS TOUCHANT AU MARCHÉ EUROPÉEN
Chapitre 1. L’application du droit européen de la concurrence aux entreprises des États tiers. La réglementation
22. Tout d’abord il est intéressant à noter que tout en appliquant la théorie de l’effet
22.7. Dans la décision suivante, General Electric/Honeywell (3.07.2001,
22.6. Dans l’affaire Boeing/McDonnell Douglas (IV/M.877), la Commission
européenne a examiné l’opération entre deux sociétés américaines. En dépit du fait que ni Boeing ni McDonnell Douglas n’avait d’usine ou d’actifs dans l’UE, leurs chiffres d’affaires mondiaux satisfaisaient aux exigences du règlement sur les concentrations pour traiter l’opération comme ayant la dimension communautaire, donnant ainsi compétence à la Commission. Avant que la Commission ne rejette ces objections concernant l’opération, cette fusion a provoqué un débat sur l’autorité de la Commission pour examiner et bloquer les opérations en question. Certains critiques ont suggéré que les inquiétudes de la Commission étaient purement protectionnistes et destinées à promouvoir Airbus. Les tensions entre l’UE et les autorités américaines ont augmenté, poussant le Président Clinton à annoncer que la question pourrait être invoquée devant l’Organisation Mondiale du Commerce si l’UE venait à bloquer la fusion.156 L’autorisation par la Commission de la fusion est parvenue à imposer le silence sur la plupart de critiques, néanmoins, ce cas montre bien le conflit politique et juridique possible lié à l’application extraterritoriale du droit européen de la concurrence.157 VII. General Electric/Honeywell. Deuxième conflit.
22.7. Dans la décision suivante, General Electric/Honeywell (3.07.2001,
COMP/M.2220), la Commission européenne a interdit l’acquisition, pour un montant de 42 milliards de dollars, de Honeywell par General Electric (GE).158 La Commission a décidé qu’une telle fusion aurait restreint la concurrence dans l’industrie aérospatiale de par la combinaison de la position forte de GE sur le marché des moteurs des avions et de la position également forte de Honeywell sur le marché des systèmes avioniques et non‐ avioniques. Ce qui est le plus intéressant dans ce cas, c’est que le Department of Justice des États‐Unis (DOJ) a, en revanche, approuvé cette opération. Le DOJ a conclu que la fusion
156 Il est intéressant de noter que les États‐Unis ont été toujours très opposés à l’idée de donner à l’OMC rôle plus important dans la règlementation des conflits issus du droit de la concurrence (le problème est analysé en détailles dans la deuxième et troisième parties de la thèse). Toutefois, en cas de conflit entre deux juridictions majeures il y a le besoin d’une autorité internationale pour régler tel conflit. L’OMC paraît être le meilleur forum pour résoudre le problème (voir la troisième partie de la thèse).
157 Voir Ariel EZRACHI, EC Competition Law. An Analytical Guide to the Leading Cases, Hart Publishing, Portland, 2008, p.276.
158 Voir Stefan SCHMITZ, The European Commission’s Decision in GE/Honeywell and the Question of the Goals of
serait pro‐concurrentielle et positive pour les consommateurs. Selon l’opinion du DOJ la nouvelle entité pourrait offrir de meilleurs produits et services à des prix plus attractifs que si chaque société restait séparée. Cette décision de la Commission a provoqué plusieurs critiques et l’intérêt des medias.159 La tension politique entre les États‐Unis et l’UE a augmenté encore une fois.160
Quatre ans plus tard, le Tribunal a confirmé la décision de la Commission.161 Le 14 décembre 2005, le Tribunal a rejeté les recours en annulation introduits par GE et Honeywell contre ladite décision de la Commission. Le Tribunal a invalidé l’analyse de la Commission fondée sur la théorie des effets verticaux et de conglomérat : cependant, il a jugé que la décision d’interdiction était justifiée compte tenu des chevauchements horizontaux entre les activités des parties.162
Dans son examen de la décision de la Commission, le Tribunal a appliqué les principes issus de la jurisprudence Tetra Laval163. Ainsi, selon le Tribunal, lorsque la Commission souhaite appliquer la théorie des effets congloméraux, elle doit démontrer que les trois conditions suivantes sont réunies :
1) la nouvelle entité doit être capable de se livrer à des pratiques susceptibles de produire des effets congloméraux (par exemple, elle doit être en mesure de pratiquer des ventes liées) ;
2) l’adoption de telles pratiques doit être probable ;
3) ces pratiquent doivent aboutir dans le futur relativement proche à la création ou au renforcement d’une position dominante.164
Le Tribunal a conclu que la décision d’interdiction ne contenait pas l’ensemble des démonstrations requises par la jurisprudence Tetra Laval. Certes, la Commission a établi qu’à la suite de l’opération, GE aurait été capable de se livrer à certaines pratiques commerciales (telles que les ventes liées ou les refus de vente) conduisant à des effets verticaux et congloméraux. Néanmoins, la Commission n’a pas démontré le caractère
159 Ibidem.
160 Voir aussi Valentine KORAH, An Introductory Guide to EC Competition Law and Practice, 9th edition, Hart Publishing, Portland, 2007, p.420.
161 TPI, 14.12.2005, General Electric Company c/ Commission, T‐210/01, Rec. 2005 p. II‐05575.
162 Voir Ianis GIRGENSON, GE/Honeywell: une victoire à la Pyrrhus pour la Commission?, Revue Lamy de la Concurrence, Janvier‐Mars 2006, N° 6, 14‐15pp. Voir aussi Eric BARBIER DE LA SERRE, Portée utile des recours
en matière de contrôle des concentrations, Revue Lamy de la Concurrence, Janvier‐Mars 2006, N° 6, p.67. 163 TPI, 25.10.2002, Tetra Laval BV, aff. T‐5/02 et T‐8/02, Rec. II p. 4381 ; confirmé par CJCE, 15.02.2005,
Commission c/ Tetra Laval, aff. C‐12/03, Rec. I p.987.
probable de ces pratiques. Au contraire, la Commission a systématiquement présumé que les parties auraient, «en bonne logique économique», une incitation à se livrer à de telles pratiques (considérant 349). Or elle aurait dû procéder à une analyse approfondie des incitations de GE à se livrer à des pratiques relevant des effets verticaux et congloméraux :
– d’une part, la Commission aurait dû comparer les coûts et les avantages inhérents aux pratiques en question. Par exemple, GE ne se serait pas livrée à des ventes liées à prix réduits de « packages » comprenant des réacteurs et des produits avioniques et non‐ avioniques si le coût de ces pratiques (résultant des réductions de prix pour certains produits du « package ») était supérieur à leurs bénéfices (i.e., l’accroissement des ventes grâce à l’effet de levier) ;
– d’autre part, la Commission aurait dû prendre en considération le rôle dissuasif de l’article 82 CE (102 TFUE) qui aurait pu faire renoncer GE à adopter certains comportements abusifs (tels que les refus de vente).165
Ainsi, le Tribunal a jugé que les analyses par la Commission des effets verticaux et de conglomérat de l’opération étaient entachées d’erreurs manifestes d’appréciation. Cependant, le Tribunal a maintenu les conclusions de la Commission concernant les trois marchés sur lesquels l’opération aurait abouti à des additions significatives de parts de marché (réacteurs pour avions régionaux de grande taille, réacteurs pour avions d’affaires et petites turbines à gaz marines). Le Tribunal a jugé que l’opération aurait créé ou renforcé des positions dominantes sur ces marchés et que les engagements offerts par les parties ne permettaient pas de résoudre ces problèmes. Le Tribunal a également écarté les griefs avancés par GE tirés de prétendues violations des droits de la défense (notamment en matière d’accès au dossier). Enfin, le Tribunal a rejeté l’action de Honeywell pour des raisons techniques tenant à la portée de son recours.166
Il est intéressant à noter qu’à aucun moment GE ou Honeywell n’invoquent le fait qu’elles sont deux entreprises américaines. La question de la compétence du Tribunal ou de la Commission ne se pose plus, après les arrêts Ahlström, il n’est plus nécessaire de justifier l’application du droit européen de la concurrence aux entreprises des États tiers dès qu’on constate le fait de simple vente dans l’UE. Dans sa décision la Commission mentionne brièvement que la fusion entre GE et Honeywell a une dimension communautaire (européenne) (point 7). Evidemment, comme le marché européen est un marché très grand
165 Ianis GIRGENSON, GE/Honeywell: une victoire à la Pyrrhus pour la Commission?, op.cit., p.14.
et intéressant, la plupart des entreprises multinationales vendent leurs produits sur ce marché. Pourtant, cette vente même représente le lien incontestable avec le marché, ainsi, l’application du droit européen de la concurrence ne parait pas arbitraire. Toutefois, se pose une autre question : s’il existe un lien avec le marché comme la vente, est‐il véritablement nécessaire de parler des effets sur le marché, surtout de la théorie de l’effet, tandis qu’on a la preuve substantielle de lien avec le marché en question ? C’est‐à‐dire dès qu’on vend certains produits sur le marché on produit les effets sur ce marché. Le lien de vente en soi est suffisant pour justifier l’application du droit européen de la concurrence.
Conclusion.