Titre I. LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE DE L’ACTIVITÉ D’ENTREPRISES DES ÉTATS TIERS TOUCHANT AU MARCHÉ EUROPÉEN
Chapitre 1. L’application du droit européen de la concurrence aux entreprises des États tiers. La réglementation
17. Ainsi, on voit que si une entreprise non‐européenne a une filiale établie sur le
Conclusion.
17. Ainsi, on voit que si une entreprise non‐européenne a une filiale établie sur le
territoire de l’UE et cette filiale commet une violation du droit européen de la concurrence, la société mère pourra être sanctionné ensemble avec telle filiale, si elle (la société mère) imposait l’influence déterminante sur sa filiale.101 Il est intéressant de noter que dans ce cas de figure, il n’y a pas même besoin de la théorie de l’effet, la théorie de la responsabilité parentale serait suffisante. Conséquemment, après avoir déterminé que le droit européen de la concurrence est tout à fait applicable aux entreprises des Etats tiers, suite à l’application de la théorie de l’effet ou suite à l’application de la responsabilité parentale, on passe à l’examen des normes du droit européen de la concurrence que les entreprises non‐européennes doivent prendre en considération en menant leur activité économique.
100TPI, 20.03.2002, HFB Holding für Fernwärnetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH & Co. KG and Others c/
Commission, Aff. T‐9/99, Rec. 2002 p. II‐02429, points 66 et 75; TPI, 27.09.2006, Jungbunzlauer AG c/ Commission, Aff. T‐43/02, Rec. 2006 p. II‐03435; Knauf Gips, op.cit.; CJCE, 02.10.2003, Siderurgica Aristrain Madrid SL c/ Commission, Aff. C‐196/99 P, Rec. 2003 p. I‐11005.
101 Voir Anne KRENZER, Présomption de la responsabilité des sociétés mères du fait de leurs filiales en droit
communautaire des pratiques anticoncurrentielles, Revue Lamy de la Concurrence, N15, Avril ‐ Juin 2008, 111‐
Section 2. La théorie de l’effet.
18. Il est nécessaire de commencer la recherche par la présentation de la théorie de
l’effet, la théorie qui a rendu l’application extraterritoriale du droit de la concurrence possible et même quotidienne. Ainsi, l’histoire de l’apparition de cette théorie, ces principes et son développement seront présentés et étudiés attentivement. § 1. Naissance de la théorie de l’effet. Comme c’était dit au‐dessus, la théorie de l’effet est la théorie fondamentale dans le cadre de la thèse. Sur cette théorie se fonde l’idée même de l’application du droit européen de la concurrence aux entreprises des États tiers. Il paraît pratique de rappeler l’histoire de l’invention de la théorie de l’effet dans le but de comprendre mieux ces principes utilisés tous les jours en vue de régler la concurrence et protéger les consommateurs.
19. Histoire de la théorie de l’effet. Cependant, c’est aux Etats‐Unis, et non pas en
Europe, qu’est née la théorie de l’effet. Il faut noter qu’au cours de la première partie du XXè siècle suite aux dispositions du Sherman Act, les tribunaux des États‐Unis appliquaient différemment les règles sur l’extraterritorialité du droit antitrust. Par exemple, dans l’affaire American Banana, le juge (membre de la Cour Suprême) Oliver Wendell Holmes a dit que « la règle générale et presque universelle est que le caractère d’une action comme légale ou illégale doit être déterminée entièrement par la loi du pays où cette action a été entreprise ».102
Cependant, les arrêts ultérieurs ont infirmé cette position, laquelle éliminait beaucoup des possibilités. Finalement, dans l’affaire Alcoa, en 1945, le juge Learned Hand a formulé « la théorie de l’effet », répondue aujourd’hui partout dans le monde. L’arrêt était consacré au cartel des producteurs d’aluminium situés en Suisse qui avait fixé des quotas de la production ce qui a abouti à la hausse des prix. La cour (The Second Circuit Court of Appeals) a décidé que le Sherman Act pouvait être appliqué aussi à la société non‐américaine
102 « The general and almost universal rule is that the character of an act as lawful or unlawful must be
determined wholly by the law of the country where the act is done ». American Banana Co. v. United Fruit Co.,
(canadienne, dans le cas d’espèce) qui a participé à ce cartel. Le juge Learned Hand affirma que le Sherman Act a été appliqué aux accords conclus en dehors des États‐Unis, dans la mesure où ceux‐ci ont eu l’intention d’affecter les importations vers les États‐Unis et qu’ils l’ont fait en réalité.103
Il n’est pas surprenant que l’application extraterritoriale du droit antitrust des États‐ Unis fût accueillie par les autres pays du monde avec hostilité, comme on l’a vu précédemment (voir paragraphe 2), et suite à l’application extraterritoriale du droit antitrust américain « une guerre des lois » se produit dans le monde entier.
Toutefois, les cours américaines étaient assez sensibles à cette situation. Dans l’arrêt Timberlane the Ninth Circuit Court of Appeals a mentionné la notion de « international
comity » ‐ « la communauté internationale » dans ce contexte. « Comity » signifie vivre en paix avec les autres nations dans le respect mutuel et le respect de leurs intérêts, « comity » inclut dans ce sens « les règles de la politesse, la convenance et la bonne volonté observées par les États dans leurs rapports mutuels sans être obligé de le faire en vertu de la loi »104. Ainsi, dans l’arrêt Timberlane le juge Choy a posé les trois questions suivantes : « Les lois antitrust demandent en premier lieu que l’effet – réel ou intentionnel – sur le commerce américain doive exister avant que les cours fédérales puissent exercer légitimement la compétence. Deuxièmement, […] il faut montrer que les effets sont assez substantiels pour qu’ils puissent causer un dommage au requérant et par suite violer les normes du droit antitrust. Troisièmement, il y a une question supplémentaire propre aux normes internationales […] ‐ est‐ce que l’effet sur l’économie américaine est assez fort vis‐à‐ vis aux autres nations pour justifier l’expression de l’autorité extraterritoriale … ».105
Répondre à la dernière question était nécessaire parce que « à certains égards les intérêts des États‐Unis sont trop faibles et l’intérêt de l’harmonie internationale est très fort
103 Alison JONES, Brenda SUFRIN, EC Competition Law. Text, cases and materials. Third edition. Oxford University Press, NY, 2008. pp. 1358‐1359.
104 Voir Oppenheim’s International Law, vol. I, edited R.Y. Jennings and A. Watts, 9th edition, Longman, 1992, 1333p., cité par Alison JONES, Brenda SUFRIN, EC Competition Law…, op.cit.,p. 1358.
105 « A tripartite analysis seems to be indicated. As acknowledged above, the antitrust laws require in the first instance that there be some effect – actual or intended – on American foreign commerce before the federal courts may legitimately exercise subject‐matter jurisdiction under those statutes. Second, a greater showing of burden or restraint may be necessary to demonstrate that the effect is sufficiently large to present cognizable injury to the plaintiffs and therefore a civil violation of the antitrust laws… Third, there is the additional question, which is unique to the international settings, of whether the interests of and links to the United States, including the magnitude of the effect on American commerce, are sufficiently strong, vis‐à‐vis those of other nations, to justify an assertion of extra‐territorial authority…». Timberlane Lumber Co. V. Bank of America, 549 F.2d597 at 613 (9th Cir. 1976).
pour justifier l’application extraterritoriale » ; le Juge Choy a remarqué aussi que les facteurs suivants doivent être prises en considération : le degré du conflit avec le droit étranger ou la politique étrangère, la nationalité des parties et les lieux principaux où l’activité a eu lieu, l’importance des effets sur le marché des États‐Unis comparés à l’importance de ces effets sur les autres pays, en prenant en compte le but d’affecter ou d’endommager le commerce américain, la prévisibilité de tels effets, et l’importance relative de ces effets sur le marché des États‐Unis106. Ces critères étaient complétés dans l’affaire Mannington Mills107 où la Cour a ajouté les critères suivants : l’effet possible sur les relations extérieures si la cour exerce la juridiction ; si la demande était approuvée par la cour, la possibilité que la partie puisse être dans une position telle qu’elle sera forcée de commettre une action illégale dans un des pays où il y aura des exigences contradictoires; la probabilité que l’ordonnance d’accorder la demande serait admise aux États‐Unis s’il était fait par l’autre pays dans des circonstances similaires ; est‐ce qu’un traité avec les États‐Unis aborde la question.
On retournera à la notion de « comity » encore une fois en analysant les accords internationaux concernant la coopération entre les pays dans le domaine du droit de la concurrence. Toutefois, le droit de la concurrence n’est pas le seul droit où on peut observer l’application de la théorie de l’effet. Le droit d’origine de cette théorie est le droit international public. Pendant des siècles les juristes posaient la même question : quel droit serait applicable dans le cas imaginaire où, par exemple, un chasseur poursuit un animal près de la frontière avec le pays voisin, tire une balle, en restant toujours sur la territoire de son Etat, mais la balle traverse la frontière et tue par accident un autre chasseur sur le territoire d’un autre Etat. L’acte a été commis sur le territoire de l’Etat A, mais les effets se sont produits sur le territoire de l’Etat B. Ainsi, on vise à déterminer la place de la théorie de l’effet au sein du droit international public, d’où elle est issue.
106 « At some point the interests of the United States are too weak and the foreign harmony incentive for restraint too strong to justify an extraterritorial assertion of jurisdiction (…) so the following factors should be taken into account: the degree of conflict with foreign law or policy, the nationality or allegiance of the parties and the locations or principal places of business of corporations, the extent to which enforcement by either state can be expected to achieve compliance, the relative significance of effects on the United States as compared with those elsewhere, the extent to which there is explicit purpose to harm or affect American commerce, the foreseeability of such effect, the relative importance to the violations charged of conduct within the United States as compared with conduct abroad ». Timberlane, 549 F.2d at 609.
§ 2. La théorie de l’effet et le droit international public.