Titre I. LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE DE L’ACTIVITÉ D’ENTREPRISES DES ÉTATS TIERS TOUCHANT AU MARCHÉ EUROPÉEN
Chapitre 1. L’application du droit européen de la concurrence aux entreprises des États tiers. La réglementation
32. Le marché pertinent peut se définir comme celui au sein duquel une entente ou
§ 2. Le marché pertinent.
32. Le marché pertinent peut se définir comme celui au sein duquel une entente ou
un abus de position dominante produisent leurs effets anticoncurrentiels. Une même entreprise peut en effet agir sur plusieurs marchés de référence ; de manière identique une catégorie de biens ou de services peut relever en réalité de plusieurs marchés pertinents. Par exemple, une entreprise peut vendre des véhicules de tourisme et utilitaires ; un véhicule de tourisme peut être de qualité médiocre ou de grand luxe. 237
La délimitation du marché pertinent joue un rôle primordial dans le cadre de l’abus de position dominante, que l’abus résulte du comportement d’une ou plusieurs entreprises, d’une entente ou d’une opération de concentration. En effet, avant même de savoir si le
234TPI, 18.09.2001, M6, Suez‐Lyonnaise et TF1 c/ Commission, Aff. T 112/99, Rec. 2001 p. II‐02459.
235 TPI, 23.10.03, Van den Bergh Foods, Aff. T‐65/98, Rec. 2003 p. II‐04653.
236 Christian GAVALDA, Gilbert PARLEANI, Droit des affaires de l‘UE, LexisNexis, Paris, 2009, 583 p.
comportement d’une ou plusieurs entreprises est abusif, il faut s’assurer préalablement qu’elle(s) est (sont) effectivement en position dominante. Dès lors, c’est à l’égard d’un ou plusieurs marchés pertinents que sa position dominante sera envisagée. 238 Afin de déterminer le marché pertinent, les autorités de la concurrence retiennent deux types de marchés : géographique et de produits/ services.
Le marché géographiquement pertinent répond à la logique suivante: pour entrer dans le champ d’application du droit européen de la concurrence il faut que le comportement litigieux déploie ses effets sur une partie substantielle du marché intérieur. A défaut, les conséquences éventuellement anticoncurrentielles de la position dominante, de l’entente ou de la concentration relèveront de l’appréciation des autorités nationales. Afin de déterminer l’étendue du marché géographique, la Commission EU s’appuiera sur le type de bien ou de service proposé, les opérateurs concurrents et enfin l’attitude des consommateurs européens à l’endroit des mêmes biens et services239. Ce n’est que si le comportement litigieux a des répercussions sur celui des principaux opérateurs et consommateurs européens qu’il deviendra pertinent. 240
Ainsi, un marché géographiquement pertinent peut donc être limité au territoire d’un seul État membre si, d’une part, les principaux opérateurs et consommateurs actuels s’y trouvent et si, d’autre part, un tel marché constitue dans l’avenir pour des opérateurs et consommateurs étrangers un marché de référence241. Par analogie avec les libertés fondamentales de circulation, le comportement litigieux constitue dans cette hypothèse une forme de restriction quantitative ou de mesure d’effet équivalent à la pénétration du marché par des marchandises ou des services étrangers242. 243
Le marché pertinent des produits ou des services est plus difficile à circonscrire. En effet, un bien ou un service peut relever selon ses caractéristiques ou ses dentinaires de marchés distincts. En vue d’affiner la détermination du marché pertinent des produits ou des services la Commission et la Cour de Justice ont eu recours à la notion d’interchangeabilité. Pour savoir si un ensemble de biens ou de services relèvent du même marché il faut que les 238 Ibidem. 239 Décision de la Commission, 16.06.1999, Scottish & Newcastle, IV/35.992/F3, à propos du marché de la bière. 240 Christophe MAUBERNARD, Droit matériel de l’UE, Ellipses, Paris, 2007, pp.255‐257. 241 CJCE, 9.11.1983, Michelin c/ Commission, Aff. C 332/81, Rec. 1983 p. 03461. 242 TPI, 27.07.2005, Brasserie nationale c/ Commission, Aff. T‐49 à 51/02, Rec. 2005 p. II‐03033. 243 Christophe MAUBERNARD, Droit matériel de l’UE, Ellipses, op.cit., pp.255‐257.
conditions de l’offre et de la demande soient interchangeables. Le juge européen précise toutefois que ces conditions ne sont pas cumulatives, puisque la seule interchangeabilité de l’une ou de l’autre peut suffire à identifier un marché pertinent244. 245
L’interchangeabilité de l’offre suppose que les entreprises qui proposent un type particulier de bien ou de service soient en mesure de le faire selon des procédés techniques, industriels ou commerciaux similaires. Une entreprise A pourrait donc en théorie produire un bien ou prester un service dans des conditions identiques ou équivalentes à celles pratiquées par l’entreprise B. 246
Il est évident que la délimitation du marché pertinent joue le rôle crucial dans le cadre d’application du droit européen de la concurrence aux entreprises des États tiers, comme si l’activité de telle entreprise ne touche pas le marché européen le droit européen de la concurrence ne sera pas applicable.
§ 3. La considération du contexte économique.
33. Comme noté par la Cour déjà dans la décision Béguelin, « il convient de prendre en considération, non seulement les droits et les obligations découlant de l’accord, mais encore le contexte économique et juridique » (point 13).
Il ressort d’une jurisprudence constante que l’examen des effets restrictifs de concurrence doit tenir compte du cadre concret dans lequel un accord, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée déploient leurs effets et, notamment, du contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, de la nature des produits ou des services visés ainsi que des conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché concerné (voir arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‐374/94, T‐375/94, T‐384/94 et T‐388/94, Rec. p. II‐3141, point 136).
Il faut souligner que la considération du contexte économique pour les entreprises multinationales est très important, comme elles agissent dans le monde de l’économie
244 TPI, 8.07.2003, Verband e.a. c/ Commission, Aff. T‐374/00, Rec.2003 p. II‐02275, point 133.
245 Voir Christophe MAUBERNARD, Droit matériel de l’UE, op.cit., pp.255‐257.
globale, mais selon les règles juridiques qui se différent d’une frontière à l’autre. Ainsi, il est très difficile de considérer le contexte économique global et le juger selon les règles locales.
Une des affaires récentes où les requérants non‐européens invoquent le principe de la nécessité de prendre en considération le contexte économique ainsi que le contexte juridique est l’arrêt du Tribunal MasterCard Inc. e.a. c/ Commission.247 Le recours a été rejeté par le Tribunal, toutefois, il a confirmé que la Commission doit toujours prendre en considération le contexte économique en investiguant une violation possible du droit de la concurrence (voir points 84, 87, 90, 127, 137 et 139). Conclusion.