Titre I. LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE DE L’ACTIVITÉ D’ENTREPRISES DES ÉTATS TIERS TOUCHANT AU MARCHÉ EUROPÉEN
Chapitre 1. L’application du droit européen de la concurrence aux entreprises des États tiers. La réglementation
22. Tout d’abord il est intéressant à noter que tout en appliquant la théorie de l’effet
22.5. Dans l’arrêt ultérieur Gencor Ltd c/ Commission le Tribunal a stipulé que « selon
V. Gencor. Le « bras long » de la Commission. 22.5. Dans l’arrêt ultérieur Gencor Ltd c/ Commission le Tribunal a stipulé que « selon l'arrêt Pâte de bois, le critère de la mise en œuvre de l'entente est satisfait par la simple
vente dans la Communauté, indépendamment de la localisation des sources
d'approvisionnement et des installations de production » (point 87).149
Gencor, une société constituée en vertu du droit sud‐africain, et Lonrho Plc (Lonrho), une société constitué en vertu du droit anglais, ont proposé d’acquérir un contrôle conjoint d’Impala Platinum Holdings Ltd (Implats), une société constituée en vertu du droit sud‐ africain. L’opération était approuvée par le South African Competition Board. La Commission européenne a aussi examiné l’opération selon le Règlement sur les concentrations150 et était concerné à cause de l’effet d’une telle opération sur le marché européen. Suivant son investigation, la Commission a bloqué l’opération sur le fondement qu’elle pourrait créer un duopole dominant sur le marché mondial du platine et du rhodium et que, partant, la concurrence serait restreinte de manière significative sur le marché commun. Dans son
148 Conclusions de l’Avocat général M. Marco Darmon, Aff. jointes 89, 104, 114, 116, 117 ET 125 À 129/85, 25 mai 1998, Rec. 1988 p. 05193.
149 Les italiques sont à moi.
150 Aujourd’hui c’est le Règlement (CE) No 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises analysé auparavant. A l’époque de l’arrêt c’était le Règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises JO n° L 395 du 3.12.1989 p. 0001 – 0012. Voir aussi Livre vert sur la révision du Règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil du 11 décembre 2001 [(COM(2001) 745 final ‐ Non publié au Journal Officiel].
appel au Tribunal pour l’annulation de la décision, Gencor a invoqué, parmi les autres moyens, que la Commission n’avait pas de compétence pour examiner l’opération.151
Le Tribunal a rejeté l'argument de la Commission selon lequel la requérante, en lui notifiant l'accord de concentration en vue de son examen et en faisant de son approbation une condition préalable de sa mise en œuvre, se serait soumise volontairement à sa compétence. En effet, la violation des obligations de notification et de suspension prévues par le règlement sur les concentrations152 pour toute opération de concentration de dimension européenne est assortie de fortes sanctions pécuniaires153. Ainsi, on ne saurait déduire de la notification ou de la suspension de la mise en œuvre de l'accord de concentration une soumission volontaire quelconque de la requérante à la compétence de l’UE. Cependant, pour apprécier cette compétence à l'égard d'une opération de concentration, la Commission doit, au préalable, pouvoir examiner ladite opération, ce qui justifie l'imposition d'une obligation de notification à la charge des parties à la concentration. Cette obligation ne préjuge pas de la compétence de la Commission pour statuer sur la concentration en cause (point 76).
S'agissant de la première question, il convient de rappeler que le règlement sur les concentrations154 s'applique à toutes les opérations de concentration de dimension européenne. Le règlement n’exige pas que pour avoir la dimension européenne (communautaire) les entreprises doivent être établies dans l’UE ou que les activités exercées par la concentration doivent être réalisées sur le territoire de l’UE (points 78‐86).
Selon l'arrêt Pâte de bois, le critère de la mise en œuvre de l'entente est satisfait par la simple vente dans l’UE, indépendamment de la localisation des sources d'approvisionnement et des installations de production. Or, il n'est pas contesté que Gencor et Lonrho réalisaient des ventes dans l’UE avant la concentration et auraient continué à le faire après (point 87). Dans ces conditions, en appliquant en l'espèce le règlement sur les concentrations à un projet de concentration notifié par des entreprises ayant leur siège social et déployant leurs activités d'extraction et de production en dehors de l’UE, la Commission n'a pas fait 151 Voir Ariel EZRACHI, EC Competition Law. An Analytical Guide to the Leading Cases, Hart Publishing, Portland, 2008, p.275. Voir aussi Alison JONES and Brenda SUFRIN, EC Competition Law. Text, cases, materials. 3rd edition, Oxford University Press, NY, 2008, p.1379.
152 Articles 4 et 7 du Règlement n° 4064/89.
153 Article 14 du Règlement n° 4064/89.
une appréciation erronée du domaine d'application territorial du règlement en question (point 88).
A la suite de l'accord de concentration, les rapports de concurrence existant préalablement entre Implats et LPD, notamment en ce qui concerne leurs ventes dans l’UE, auraient été éliminés. Cela aurait modifié la structure de la concurrence à l'intérieur du marché interne, dès lors que, au lieu de trois fournisseurs sud‐africains de platinoïdes, il n'en serait resté que deux. La mise en œuvre de la concentration projetée aurait entraîné non seulement la fusion des activités d'extraction et de production des platinoïdes des parties exercées en Afrique du Sud, mais aussi celle de leurs activités de commercialisation partout dans le monde et plus particulièrement dans l’UE, où Implats et LPD réalisaient des ventes non négligeables (point 89).
Ainsi, selon le Tribunal, lorsqu'il est prévisible qu'une concentration projetée produira un effet immédiat et substantiel dans le territoire de l’UE, l'application du règlement sur les concentrations est justifiée au regard du droit international public (points 90‐101).
Le Tribunal examine ensuite si l'exercice de cette compétence par l’UE a violé un principe de non‐intervention et le principe de proportionnalité. Dans ce cas il n’avait pas de conflit entre le cours d’actions exigées par le gouvernement sud‐africain et ceci exigé par la Commission européenne, en prenant en considération le fait que les autorités de concurrence de l’Afrique du Sud ont tout simplement conclu que l’accord de concentration n’a pas donné lieu aux inquiétudes du point de vue de la politique de concurrence, sans avoir exigé que tel accord soit conclu (points 102‐105).
L’application extraterritoriale du règlement sur les concentrations est devenue très répandue. Deux décisions de la Commission particulièrement remarquables et qui accentuent la tension causé par une telle compétence juridictionnelle « au bras long » ont été rendues quelque temps après dans les affaires Boeing/McDonnell Douglas et General Electric/Honeywell.155
VI. Boeing/McDonnell Douglas. Premier conflit.
155 Voir Ariel EZRACHI, EC Competition Law. An Analytical Guide to the Leading Cases, Hart Publishing, Portland, 2008, p.276. Voir aussi Alison JONES and Brenda SUFRIN, EC Competition Law. Text, cases, materials. 3rd edition, Oxford University Press, NY, 2008, p.1387.
22.6. Dans l’affaire Boeing/McDonnell Douglas (IV/M.877), la Commission
européenne a examiné l’opération entre deux sociétés américaines. En dépit du fait que ni Boeing ni McDonnell Douglas n’avait d’usine ou d’actifs dans l’UE, leurs chiffres d’affaires mondiaux satisfaisaient aux exigences du règlement sur les concentrations pour traiter l’opération comme ayant la dimension communautaire, donnant ainsi compétence à la Commission. Avant que la Commission ne rejette ces objections concernant l’opération, cette fusion a provoqué un débat sur l’autorité de la Commission pour examiner et bloquer les opérations en question. Certains critiques ont suggéré que les inquiétudes de la Commission étaient purement protectionnistes et destinées à promouvoir Airbus. Les tensions entre l’UE et les autorités américaines ont augmenté, poussant le Président Clinton à annoncer que la question pourrait être invoquée devant l’Organisation Mondiale du Commerce si l’UE venait à bloquer la fusion.156 L’autorisation par la Commission de la fusion est parvenue à imposer le silence sur la plupart de critiques, néanmoins, ce cas montre bien le conflit politique et juridique possible lié à l’application extraterritoriale du droit européen de la concurrence.157 VII. General Electric/Honeywell. Deuxième conflit.