Titre I. LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE DE L’ACTIVITÉ D’ENTREPRISES DES ÉTATS TIERS TOUCHANT AU MARCHÉ EUROPÉEN
Chapitre 1. L’application du droit européen de la concurrence aux entreprises des États tiers. La réglementation
55. Les coopérations directes usuelles représentent les formes de la coopération
55. Les coopérations directes usuelles représentent les formes de la coopération
informelle. Elles sont fondées sur des dispositions nationales ad hoc autorisant l’autorité de concurrence à coopérer directement avec ses homologues étrangères ; elles peuvent aussi être fondées sur des accords de coopération spécifiques ou non du droit de la concurrence ; enfin, elles peuvent prendre la forme d’une coopération et d’un échange d’information basées sur l’autorisation donnée par une entreprise (bénéficiaire d’une amnistie au titre d’une procédure de clémence). 303 A. Pick up the phone cooperation. 55.1. Le premier type de coopération informelle est la pick up the phone cooperation qui se repose principalement sur la Recommandation de l’OCDE de 1995.304 Il faut dire que la Recommandation de 1995 invite à deux types de coopération : la coopération pour la mise en œuvre de la législation dans des cas d’espèce et, d’une façon plus générale, un respect mutuel et la volonté de recourir à une approche fondée sur la coopération lorsque cela est possible. Elle sert en quelque sorte de modèle d’inspiration, d’exemple aux autres accords sur la coopération dans le cadre du droit et politique de la concurrence, lesquels sont analysés plus tard dans le cadre de ce chapitre.305
a) Atouts. Une coopération pick‐up the phone est rapide et efficace. Une telle coopération est très active entre les États‐Unis et le Japon, entre les États‐Unis et l’UE, entre les États‐Unis et Israël, les États‐Unis et l’Allemagne. 306
303 Anne M. TERCINET, Enquêtes et coopération internationale en matière de pratiques anticoncurrentielles, Revue Lamy de la Concurrence, Octobre‐Décembre 2011, N° 29, p.125.
304 Revised recommendation of the Council concerning Co‐operation between Member Countries on Anticompetitive practices affecting International Trade, 27‐28 July 1995, OECD, C(95) 130/final, 7p. Voir aussi OCDE, Coopération efficace en matière de mise en œuvre international du droit de la concurrence: échange
d’informations confidentielles et autre assistance mutuelle, Rapport du groupe de travail n°3,
DAFFE/CLP/WP3(94) 1.
305 Terry WINSLOW, Recommandations de l'OCDE en matière de concurrence, pays en développement et
éventuelles règles de concurrence de l'OCDE, Revue sur le droit et la politique de la concurrence, 2001/1 Vol. 3,
p. 127‐152.
306 Anne M. TERCINET, Enquêtes et coopération internationale en matière de pratiques anticoncurrentielles, Revue Lamy de la Concurrence, Octobre‐Décembre 2011, N° 29, p.125.
b) Défauts. Cependant, cette coopération est limitée. La base juridique (la Recommandation de l’OCDE de 1995) n’est pas suffisante, ce qui peut provoquer des violations des dispositions relatives au secret professionnel ou aux secrets d’affaires, et plus généralement à la confidentialité. 307
Aussi les restrictions imposées à l’usage des informations transmises viennent de l’autorité de concurrence adressant telles informations ou du droit positif de l’État de l’autorité de concurrence recevant ces informations. Ainsi, l’usage est limité à la connaissance d’une telle information par l’autorité de concurrence. La dernière ne peut pas utiliser ladite information comme preuve devant la juridiction, ni poursuivre une personne physique. L’autorité de concurrence peut l’utiliser seulement pour des sanctions administratives à l’adresse des personnes morales. 308
B. L’autorisation donnée par l’entreprise (partielle ou totale).
55.2. Le deuxième type de coopération informelle est basé sur l’autorisation partielle
ou totale donnée par l’entreprise, laquelle constitue un vecteur supplémentaire d’information. Ce n’est pas un mécanisme de coopération entre autorités de concurrence. C’est une autorisation donnée par une entreprise qui fait l’objet d’une enquête, à une ou plusieurs autorités de concurrence de différents pays, d’échanger des informations (même confidentielles), obtenues de l’entreprise en cause par une des autorités de concurrence, souvent dans le cadre des procédures de clémence. 309
a) Atouts. Une telle coopération lève évidemment l’obstacle de la confidentialité. Les échanges d’information et des preuves entre autorités de concurrence, basés sur l’autorisation donné par les entreprises, sont utilisé aux trois stades : avant enquête, pendant de conférences téléphoniques, avec les notification des premières mesures d’enquêtes, l’échange d’information relatives au marché pertinent, la coordination des perquisition et des interrogatoires ou entretiens, l’échange de documents confidentiels
307 Anne M. TERCINET, Enquêtes et coopération internationale en matière de pratiques anticoncurrentielles, Revue Lamy de la Concurrence, Octobre‐Décembre 2011, N° 29, p.125.
308 Ibidem.
concernant les entreprises en cause et les personnes impliquées, puis lors de l’enquête avec des échanges constatant permettant autant la coordination des mesures et des procédures afin d’éviter les conflits issus de procédures parallèles. 310
b) Défauts. Ce type de coopération provoque la nécessité d’optimiser des programmes de clémence. L’octroi d’une autorisation par le demandeur de clémence est à l’entière discrétion de celui‐ci. Aucun programme de clémence ne pose comme condition l’acceptation expresse de la divulgation de l’ensemble des informations et documents à une autorité tierce. En réalité, les refus des entreprises de donner l’autorisation se justifient soit parce que les programmes de clémence ne sont pas harmonisés, l’autorité souhaitant avoir accès aux informations révélées ayant des conditions d’accès à la clémence beaucoup plus exigeantes ; soit parce que l’autre autorité n’a pas de programme de clémence (toutefois, l’hypothèse de plus en plus rare), et que cette dernière ne se soit pas engagée par écrit à ne pas poursuivre. 311 II. Les accords de coopération et la coopération basée sur les dispositions internes ad hoc. A. La coopération fondée sur des dispositions internes ad hoc.
56.1. Les accords de coopération ad hoc représentent les dispositions du droit
national permettant à l’autorité de concurrence à coopérer directement avec d’autres autorités de concurrence à l’étranger.
a) Atouts. Les dispositions du droit national autorisant l’autorité nationale de concurrence à conclure des accords de coopération ont permis de développer de la coopération fondée sur les Mutual legal assistance treaties (MLAT) ou autres accords de coopération non spécifiques au droit de la concurrence (comme, par exemple, les accords de libre‐échange).
310 Anne M. TERCINET, Enquêtes et coopération internationale en matière de pratiques anticoncurrentielles, Revue Lamy de la Concurrence, Octobre‐Décembre 2011, N° 29, p.125.
b) Défauts. Malheureusement aucune des autorités concernées (Bundeskartellamt, Bureau de concurrence canadien, le Conseil de la Concurrence roumain ; le DoJ et la FTC peuvent conclure des accords d’assistance mutuelle permettant des échanges de preuves) disposant de telles dispositions n’a à notre connaissance cité de cas d’application. B. Les accords de coopération de première génération.312 56.2. Les accords de première génération sont ceux qui contiennent les normes sur la
courtoisie active ou passive. Pourtant, ils ne prévoient pas les échanges des informations confidentielles.
a) Atouts. Comme on l’a mentionné ci‐dessus, de tels accords contiennent des normes sur la courtoisie active ou passive applicables dans le domaine de la coopération internationale sur le droit et la politique de la concurrence.
La courtoisie (Comity) traditionnelle ou passive demande qu’un pays examine comment il lui serait possible d’empêcher que les mesures d’application de sa législation ne portent atteinte aux intérêts importants de l’autre pays, avec lequel il a conclu un accord. Un tel mécanisme peut diminuer le risque de conflits de compétences. Il est présent dans tous les accords de coopération de 1ère génération.
La courtoisie (Comity) active peut être deux types:
1) coopérative ‐ le pays requérant ne suspend pas son enquête ; et
2) partagée – le pays requérant suspend toute procédure d’enquête au profit de la ou des autorités du pays requis estimée(s) plus compétentes pour traiter la pratique en question.
Un exemple de courtoisie active partagé se trouve dans le supplément de 1998 à l’accord de coopération entre le gouvernement des États‐Unis et la Commission européenne 312 Le premier accord de coopération en matière de concurrence était conclu entre les États‐Unis et l’Allemagne en 1976 – « Agreement between the Government of the United States of America and the Government of the Federal Republic of Germany relating to Mutual Cooperation Regarding Restrictive Business Practices » 23 June 1976.
de 23 septembre 1991.313 Ici la courtoisie active n’est pas une obligation mais une faculté (voit l’article IV‐4 in fine dudit accord). On trouve l’adoption de la courtoisie active dans l’accord entre les États‐Unis et l’Allemagne de 23 juin 1976, entre les États‐Unis et Canada de 1995, entre les États‐Unis et Israël de 1999, entre les États‐Unis et l’Australie de 1999, entre les États‐Unis et Brésil de 1999, et entre les États‐Unis et Mexique de 2000. Aussi dans les accords conclus entre l’UE (CE) et Canada en 1999 et entre l’UE et le Japon en 2003.
On la trouve aussi (sans qu’elle soit nominée) dans l’accord entre l’UE et les États‐ Unis de 1991 en son article V qui prévoit que si l’une des parties estime que des actes anticoncurrentiels commis sur le territoire de l’autre affectent ses intérêts importants, la première peut demander la seconde de prendre les mesures d’application adéquates. Le pays requis doit « considérer » la demande et informer le requérant de sa décision concernant une éventuelle enquête. Une telle procédure a été utilisée pour la première fois à la demande de DoJ dans l’affaire Amadeus en 1997314.
L’idée de courtoisie active apparait aussi dans des recommandations de l’OCDE dès 1973 préconisant qu’un pays A ou B remédie aux pratiques anticoncurrentielles préjudiciables à A et B. 315
b) Les défauts. Il n’y a pas d’échange de l’information confidentielle dans le cadre des accords de première génération. La coopération est ainsi limitée. Néanmoins, l’existence des accords bilatéraux spécialisés dans la coopération internationale en cas d’application du droit de la concurrence est un grand progrès et même si la plupart des accords aujourd’hui représentent les accords de la première génération (ainsi, sans la possibilité spéciale
313 Accord entre les Communautés européennes et le gouvernement des États‐Unis d’Amérique concernant la mise en œuvre des principes de courtoisie active dans l’application de leurs règles de concurrence de 3 et 4 juin 1998.
314 US DoJ Press Release, « Justice Department Asks European Communities to Investigate Possible
Anticompetitive Conduct Affecting U.S. Airlines’ Computer Reservation Systems » 28.04.1997,
http://www.justice.gov/atr/public/press_releases/1997/229081.htm 28.02.2012; European Commission Press release, “Commission opens procedure against Air France for favoring Amadeus reservation system” 15.03.1999, http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/99/171&format=HTML&aged=1&language=EN& guiLanguage=en 28.02.2012; OCDE, Improving International Co‐operation in Cartel Investigations, DAF/COMP/GF(2012)6, 13.02.2012. Voir aussi Maher M. DABBAH, The Internationalisation of Antitrust Policy, Cambridge University Press, 2003, pp. 112‐115; Handbook of Research in Trans‐Atlantic Antitrust, edited by Philip MARSDEN, Edward Elgar Publishing Ltd., pp. 653‐665.
315 Sur la courtoisie voir aussi John T. SOMA, Eric K. WEINGARTEN, Multinational Economic Network Effects and
the Need for an International Antitrust Response from the World Trade Organization : a Case Study in Broadcast‐Media and News Corporation, University of Pennsylvania Journal of International Economic Law, Vol.
d’échange de l’information confidentielle), ils sont toutefois bien utiles et permettent d’avoir une sorte de coopération organisée.
Cependant, l’existence d’un accord international multilatéral, qui peut assurer un autre degré de sécurité juridique316 pour les entreprises, est plus désirable, car aujourd’hui les entreprises multinationales, les entreprises les plus modernes et efficaces, doivent prendre en considération plusieurs normes du droit de la concurrence, qui varient d’un pays à l’autre, de même que l’absence ou l’existence des accords bilatéraux, en même temps, certains entreprises peuvent profiter de l’absence d’accords de coopération ou même de celle du droit de la concurrence dans certains pays. Ainsi, l’existence d’un forum global (comme, par exemple, OMC), dans le cadre duquel l’accord international peut être adopté, serait plus adapté à la protection de la concurrence mondiale et des intérêts des consommateurs.
C. Les accords de seconde génération.
56.3. Les accords de seconde génération sont les accords les plus avancés dans le
domaine de la coopération, ils prévoient surtout l’échange des informations confidentielles. a) Les atouts. Le plus grand atout de ces accords est, évidemment, la possibilité d’échange d’information confidentielle. Le premier accord de ce type est celui conclu entre les États‐Unis et Australie de 1999 (Antitrust Mutual Enforcement Assistance Agreement (AMEAA)).317
L’échange d’informations confidentielles est prévu à l’article 4‐4 de l’accord entre le gouvernement du Japon et le gouvernement des États‐Unis concernant la Coopération en
316 Sur la notion de la sécurité juridique voir, par exemple, Jean‐Paul JACQUÉ, Droit constitutionnel national,
Droit communautaire, CEDH, Charte des Nations Unies. L’instabilité des rapports de système entre ordres juridiques, Revue française de droit constitutionnel 1/2007 (n° 69), p. 3‐37, www.cairn.info/revue‐francaise‐de‐
droit‐constitutionnel‐2007‐1‐page‐3.htm ; Philippe Malaurie, L'intelligibilité des lois, Pouvoirs 3/2005 (n° 114), p. 131‐137, www.cairn.info/revue‐pouvoirs‐2005‐3‐page‐131.htm ; Dominique J.M. SOULAS de RUSSEL, Philippe RIMBAULT, Nature et racines du principe de sécurité juridique: une mise à point, Revue internationale de droit compare, Vol. 55 N° 1, 2003, pp. 85‐103. Voir aussi Elodie BORDES, Radioscopie jurisprudentielle du
principe de sécurité juridique, VIII Congrès national de l’A.F.D.C., Nancy, 16‐18 juin 2011,
http://www.droitconstitutionnel.org/congresNancy/comN7/bordesTD7.pdf .
317 A cette époque les sanctions en droit australien étaient de nature administrative et pas pénale comme maintenant.
matière d’activités anticoncurrentielles. On trouve aussi la même disposition dans l’article 4‐ 4 de l’accord entre le gouvernement du Japon et l’UE concernant la coopération en matière de pratiques anticoncurrentielles de 10 juillet 2003 (voir Annexe 2).
b) Les défauts. Le défaut de tels accords est clair : tous les pays n’ont pas dans leurs dispositions de tels accords. Cependant, comme on a mentionné auparavant, même les accords bilatéraux les plus développés ne peuvent pas substituer un accord multinational qui aurait pu poser les mêmes règles du jeu pour tout le monde en prévenant ainsi les abus de toutes sortes et garantissant aux entreprises un niveau de sécurité juridique important. D. Les accords entre l’UE (ou la Commission européenne) et les pays tiers (ou leurs autorités nationales) et les associations régionales et les autres concernant la coopération dans le domaine du droit de la concurrence.