Titre I. LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE DE L’ACTIVITÉ D’ENTREPRISES DES ÉTATS TIERS TOUCHANT AU MARCHÉ EUROPÉEN
Chapitre 1. L’application du droit européen de la concurrence aux entreprises des États tiers. La réglementation
22. Tout d’abord il est intéressant à noter que tout en appliquant la théorie de l’effet
22.4. Un des arrêts les plus importants dans le cadre de cette recherche est l’arrêt
IV. Pâte de Bois. L’arrêt fondamental.
22.4. Un des arrêts les plus importants dans le cadre de cette recherche est l’arrêt
Ahlström143 (aussi connu comme Wood Pulp ou affaire « Pâte de Bois ») qui donne les critères de base de l'application extraterritoriale du droit européen de la concurrence en utilisant la mise en œuvre d'un accord comme le critère principal de la confirmation de la compétence juridictionnelle. La Cour a souligné que l’application du droit européen de la concurrence ne dépend pas de l’existence « des filiales, agents, sous‐agents ou succursales établis dans la Communauté » (point 17). Ainsi, l’accent est mis sur la vente sur le marché
européen.144
Dans ce cas, la Commission a adopté la décision contre les producteurs non‐européens de pâte de bois qui exerçaient les différentes pratiques visées de restreindre le commerce dans le cadre de l’UE (CE). Un certain nombre de producteurs n’avait pas de filiale ou de succursale dans l’UE et un parmi eux, KEA, était une association américaine d’exportation de Webb‐Pomerene145. La Commission a déclaré que l’article 81 TCE (101 TFUE) est applicable 143 CJCE, 27.09.1988, A. Ahlström Osakeyhtiö et autres c/ Commission, Aff. jointes 89, 104, 114, 116, 117 et 125 à 129/85, Rec. 1988 p. 05193. 144 Voir Ariel EZRACHI, EC Competition Law. An Analytical Guide to the Leading Cases, Hart Publishing, Portland, 2008, pp. 273‐274. Voir aussi Alison JONES and Brenda SUFRIN, EC Competition Law. Text, cases, materials. 3rd edition, Oxford University Press, NY, 2008, p.1374.
145 La loi Webb‐Pomerene du 1918 (An act to promote export trade, ch.50, 40 Stat. 516 (1918)) permet aux entreprises dans un secteur donné à exporter leurs production par le biais d'une agence unique de vente. Il est une exception aux principaux de lois antitrust, qui interdisent normalement concurrents d'agir ensemble. Son but déclaré est d'améliorer la position compétitive des entreprises américaines à l’étranger et, ainsi, d'augmenter les exportations des États‐Unis. Il existait deux raisons de l’existence de telle exception. Premièrement, la combinaison permettait aux petites entreprises dans les industries compétitives d’obtenir des économies d'échelle dans les leurs ventes à l'étranger (to obtain economies of scale in their overseas sale). Deuxièmement, les associations d'exportation étaient un instrument pour permettre aux exportateurs américains, indépendamment de structure de leur industrie, faire face plus efficacement avec les cartels
aux pratiques restrictives qui peuvent affecter le commerce entre les États Membres même si les entreprises et les associations participant à de telles pratiques sont établies hors de l’UE. Les défendeurs étrangers ont argué, entre autres, que la Commission n’était pas compétente car ils étaient situés en dehors de l’UE. La Cour de Justice a rejeté cet argument et prononcé que le droit européen est tout à fait applicable aux entreprises non‐ européennes, si elles mettent en œuvre une fixation de prix, conclue à l’étranger, par la vente aux consommateurs sur le marché européen.146 La Cour a rappelé que les principales sources d'approvisionnement en pâte de bois sont situées en dehors de l’UE, à savoir au Canada, aux États‐Unis, en Suède et en Finlande, et que le marché a, en conséquence, une dimension mondiale. Lorsque des producteurs de pâte établis dans ces pays effectuent des ventes directement à des acheteurs établis dans l’UE et lorsqu'ils se livrent à une concurrence de prix pour emporter les commandes de ces clients, il y a concurrence à l'intérieur du marché européen (point 12). II s'ensuit que, lorsque ces producteurs se concertent sur les prix qu'ils consentiront à leurs clients établis dans l’UE et mettent en œuvre cette concertation en vendant à des prix effectivement coordonnés, ils participent à une concertation qui a pour objet et pour effet de restreindre le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché européen, au sens de l'article 101 TFUE (article 85 TCEE) (point 13).
Dans ces conditions, la Cour a conclu que la Commission, en appliquant, dans les conditions de l'espèce, les règles de concurrence du traité à l'égard d'entreprises ayant leur siège social en dehors de l’UE, n'a pas fait une appréciation erronée du domaine d'application territorial de l'article 101 TFUE (article 85 TCEE).
A l'appui du moyen tiré de l'incompatibilité de la décision avec le droit international public, les requérants ont fait valoir que l'application des règles de concurrence en l'espèce a été fondée sur les seules répercussions économiques à l'intérieur du marché commun qu'auraient produites des comportements restrictifs de la concurrence qui auraient été adoptés en dehors de la l’UE (point 15).
étrangers. Voir David A. LARSON, An Economic Analysis of the Webb‐Pomerene Act, Journal of Law and Economics Vol. 3, No 2 (October 1970), pp. 461‐500.
Il faut souligner qu’aujourd’hui ils n’existent que sept associations profitant de la loi Webb‐Pomerene enregistrées par la Federal Trade Commission des États‐Unis. Source : http://www.ftc.gov/os/statutes/webbpomerene/index.shtm , 28.11.2011.
Voir aussi, Elaine METLIN, Alicia J BATTS and James R MARTIN, The Webb‐Pomerene Act : a relic that outlived its
usefulness, The Antitrust Review of the Americas, 2006, pp. 84‐86.
146 Voir Ariel EZRACHI, EC Competition Law. An Analytical Guide to the Leading Cases, Hart Publishing, Portland, 2008, p.273.
II convient de souligner, à cet égard, qu'une infraction à l'article 101 TFUE (85 TCEE), telle que la conclusion d'un accord qui a eu pour effet de restreindre la concurrence à l'intérieur du marché commun, implique deux éléments de comportement, à savoir la formation de l'entente et sa mise en œuvre. Faire dépendre l'applicabilité des interdictions édictées par le droit de la concurrence du lieu de la formation de l'entente aboutirait à l'évidence à fournir aux entreprises un moyen facile de se soustraire auxdites interdictions.
Ce qui est déterminant, c’est donc le lieu où l'entente est mise en œuvre147 (point 16). En l'espèce, les producteurs ont mis en œuvre leur entente de prix à l'intérieur du marché européen (point 17).
Dans ces conditions, la compétence de l’UE pour appliquer ses règles de concurrence à l'égard de tels comportements est couverte par le principe de territorialité qui est universellement reconnu en droit international public (point 18).
En ce qui concerne l'argument tiré de la violation du principe de non‐intervention, la Cour a précisé que les requérants membres de la KEA se sont référés à une règle selon laquelle, lorsque deux États ont compétence pour édicter et pour exécuter des normes et que leurs normes aboutissent à ce qu'une personne se voit imposer des ordres contradictoires quant au comportement qu'elle doit adopter, chaque État serait tenu d'exercer sa compétence avec modération. Les requérants en ont conclu qu'en appliquant son droit de la concurrence en méconnaissance de cette règle, l’UE a porté atteinte au principe de non‐intervention (point 19).
Sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur l'existence en droit international d'une règle telle que celle invoquée, il suffit de constater que les conditions d'application n'en sont, en toute hypothèse, pas remplies. En effet, il n'y a pas, en l'espèce, de contradiction entre le comportement prescrit par les États‐Unis et celui prescrit par la Communauté, étant donné que la loi Webb‐Pomerene se borne à exempter de l'application des lois antitrust américaines la conclusion de cartels d'exportation, sans imposer la conclusion de tels accords (point 20).
Cependant, la Cour souligne que les autorités des États‐Unis n'ont pas soulevé d'objections tirées d'un éventuel conflit de compétence, lorsqu'elles ont été consultées par la Commission, conformément à la recommandation du Conseil de l'OCDE du 25 octobre 1979 (Actes de l'Organisation, vol. 19, p. 376) concernant la coopération des États membres
en cas de pratiques commerciales restrictives affectant les échanges internationaux (point 21).
Dans ces conditions, la Cour a conclu que la décision de la Commission n'était contraire ni à l'article 85 du traité (101 TFUE) ni aux règles de droit international public invoquées par les requérants (point 23).
L’Avocat général Darmon a supporté l’adoption de la théorie de l’effet en affirmant dans ses conclusions que « ni la nationalité ni la localisation géographique de l'entreprise, mais bien la localisation de l'effet anticoncurrentiel constitue le critère d'application du droit communautaire de la concurrence » (point 9).148 V. Gencor. Le « bras long » de la Commission.